La voie entre honneur et Palais de justice

Cet ouvrage est tiré d'une thèse de sociologie, ce qui est original pour une période généralement étudiée sous l'angle historique. Il s'agit ici d'une sociologie historique du droit qui a pour but d'analyser les modes de résistance en France des Avocats et des magistrats.
Si elle n'est pas plus fréquente en pratique pour les Avocats, elle est néanmoins un peu plus facile, du fait de l'organisation de la profession : il s'agit d'une profession libérale, dont l'exercice est contrôlé par un Conseil de l'ordre, déconcentré en barreaux départementaux. Il n'y a pas d'équivalent pour la magistrature.
Dans les deux cas, il est étudié le statut des prévenus et accusés du fait de la législation vichyste. Avocats et Magistrats peuvent se fonder, selon leur position, sur le droit positif ou le droit naturel. Le droit positif est le droit applicable au moment où l'on veut l'exercer, et s'en prévalent et l'exécutent ceux qui y sont plutôt favorables, ou ceux qui ne veulent pas se mouiller. Le droit naturel est le droit transcendal applicable à la nature humaine, que le droit positif ne saurait violer ; auquel cas, ce dernier pourrait être écarté en cas de violation au droit naturel, et s'en prévaloir permet de défendre, de relaxer ou acquitter les cibles des lois vichystes. Et c'est là tout l'intérêt de l'ouvrage, montrer en quoi le droit est l'un des instruments les plus efficaces contre une arme juridique liberticide, à savoir une loi discriminatoire, que ce soit sur la race ou les positions politiques.

Le plus intéressant est le mode d'organisation des résistances de ces deux professions. Cet ouvrage fait suite à un autre de Robert Badiner, qui faisait référence en la matière, selon l'auteur de celui-ci.
Les avocats ont pu être à l'origine de tentations xénophobes, puisque certains d'entre eux ont demandé un accés différencié à la profession des Etrangers et des Français d'origine étrangère. Les avocats résistants se sont regroupés en organisations, clandetines pour la plupart évidemment, le principal étant celui que Germaine Tillion a pu dénommer le groupe des avocats du Musée de l'Homme.
Pour les magistrats, le statut, la subordination de principe au pouvoir et la tentation du positivisme (cf Auguste Comte, mais surtout Carré de Malberg : l'application du droit positif, cf plus haut) rendent l'engagement de résistance plus difficile. C'est ce qu'ont étudié les Professeurs Danièle Lochak (Nanterre, libertés fondamentales) et Jacques Chevallier (Panthéon-Assas, science administrative, sociologie du droit). C'est justement l'utilisation du droit dit "naturel" et une bonne dose d'imagination qui leur a permis de relaxer des prévenus ou de prononcer des peines symboliques contre eux. C'est d'abord dans le cadre de leurs fonctions qu'ils ont pu avoir une activité militante et de résistance, sans passer par un réseau organisé, comme cela se fait généralement. Mais cette méthode se complique par l'intrusion grandissante de la Gestapo dans le déroulement de la justice.

Des comités sont créés, comme notamment le Front national de la justice, FNJ, groupe de résistance, dont la dénomination a été reprise a été reprise à dessein par un parti politique d'extrême-droite en 1972. C'est l'organisation et l'activité de ces comités qui est ensuite étudiée, puis l'épuration à la Libération des avocats et magistrats par des commissions ad hoc ou par les Conseils de l'ordre des différents barreaux. C'est là qu'on retrouve la lutte d'influence entre Résistants communistes et Résistants non communistes.

Cet ouvrage est passionnant, très riche, voire un peu trop, et risque de paraître un peu complexe - un peu seulement - pour les non-initiés de l'organisation des institutions et carrières judiciaires. Voilà en tout cas un éclairage original d'une période sur laquelle on pensait que tout était dit. Les mêmes choses sont en réalité ressassées.

Brillant, passionnant et très utile.

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  Robes noires, années sombres [Texte imprimé], avocats et magistrats en résistance pendant la Seconde guerre mondiale Liora Israël

  de Israël, Liora
  Fayard / Pour une histoire du XXe siècle
  ISBN : 9782213622880 ; 16,88 € ; 01/08/2005 ; 547 p. ; Broché

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