Radetsky
avatar 02/11/2011 @ 11:25:17
Le titre allemand de l'ouvrage célèbre de Max Weber, Kirchen und Sekten (Eglises et sectes) résume, de manière concise, bien mieux de quoi il s'agit, par rapport à sa traduction française. D'une conception ecclésiastique maintenue dans une communauté de croyants en vue de l'avènement d'une Fin Dernière, on passe brusquement, via l'idéologie de la justification par la foi défendue par Luther et Calvin, à la déstructuration et de l'instance ecclésiale et des injonctions qui lui sont liées ; ce qui ouvre la possibilité infinie d'une multiplication des attitudes face à la croyance. Autrement dit, il devient possible à quiconque de s'instaurer comme juge et partie dans le face à face entre l'homme et la divinité, récupérée et "arrangée" aux besoins particuliers, d'où le processus de dégradation de l'église en sectes démultipliées à volonté (ce qui est le cas aujourd'hui notamment aux Etats-Unis). Le "Beruf" ("devoir", ou "responsabilité civile") weberien, comme instance primaire de ce processus va donc servir de base à la transformation du capitalisme en véritable religion, en soi et pour soi, s'autodéfinissant et s'autojustifiant à l'infini. Quelques marxistes "déviants", tels Ernst Bloch ou Walter Benjamin vont décortiquer le processus, notamment dans les analyses qu'ils produiront au travers d'ouvrages tels que "Thomas Münzer, théologien de la révolution" (Julliard, 1964 pour la traduction française), ou dans des notes critiques de Benjamin (voir :
http://pensamientocritico.info/articulos/…

Avada

avatar 02/11/2011 @ 14:03:33
C'est bizarre mais je trouve que le titre français correspond parfaitement à l'objet du livre qui démontre le lien qui existe entre la morale protestante et le capitalisme.

Je viens de lire ton lien qui est très intéressant. Je n'ai pas le temps pour le moment mais j'y reviendrai plus tard. J'espère que le sujet ne va pas finir en dénonciation primaire du capitalisme ;-).

Radetsky
avatar 02/11/2011 @ 17:58:35
C'est bizarre mais je trouve que le titre français correspond parfaitement à l'objet du livre qui démontre le lien qui existe entre la morale protestante et le capitalisme.
Je viens de lire ton lien qui est très intéressant. Je n'ai pas le temps pour le moment mais j'y reviendrai plus tard. J'espère que le sujet ne va pas finir en dénonciation primaire du capitalisme ;-).

Le titre français n'est pas faux... il n'en dit pas assez et laisse supposer que la chose ne dit rien d'autre. Weber, "auf Deutsch", inclut la descendance de la généalogie qu'il décrypte.
Quant à faire de "l'anticapitalisme primaire", ça coule de source ! Désolé de tromper tes espérances

Saint Jean-Baptiste 02/11/2011 @ 18:24:13
J'espère que le sujet ne va pas finir en dénonciation primaire du capitalisme ;-).

.



Ha ! ha ! ça va être difficile, Avada… ! ;-))

Saule

avatar 02/11/2011 @ 18:44:16
Je vais lire attentivement le lien, ce sujet me passionne.

Le livre "L'idolâtrie du marché" de théologiens de la libération montrait très bien que le marché capitaliste est une idôle (idôle = un faux Dieu, mais il n'y a pas de faux Dieux pour ceux qui y croient).

http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/21700

Pour moi ça a été une révélation intellectuelle: ça montre comment le christianisme a été perverti et inversé à l'aube de la modernité (le Dieu des pauvres est devenu le Dieu des riches). C'est passionnant.

Avada

avatar 02/11/2011 @ 19:29:22
Intéressant ton lien, Saule.
Mais quand tu dis que "le christianisme a été perverti et inversé à l'aube de la modernité", tu parles de quelle époque ?

Je crois qu'il y a plusieurs manières de remettre en question le capitalisme. Personnellement, je préfère essayer de comprendre d'où il vient, comment il a évolué, ce qu'il a apporté et s'il est aussi "naturel" qu'on le prétend.

Saule

avatar 02/11/2011 @ 20:08:42
Ce fût à l'aube du 19ème siècle, au moment ou la théorie économique moderne naquît (Adam Smith écrivît son ouvrage de référence "La richesse des nations" fin du 18 ème).

Les théologiens de la libération qui ont mis à jours les racines théologiques de l'économie sont loin de faire une critique "primaire", tout comme Marx et sa théorie de la valeur travail d'ailleurs. Et je pense comme toi, ce qui m'intéresse c'est de comprendre comment le capitalisme a évolué. Il a apporté une certaine prospérité (naissance de la classe moyenne, suppression de la misère dans nos pays,..). Mais à l'époque des théologiens de la libération, on peut parler d'un combat des Dieux : le Dieu des pauvres (celui des théologiens de la libération) contre le Dieu "anti-vie" des ultra-libéraux américain. La droite conservatrice américaine a durci sa position doctrinaire (anti-communisme primaire ?). Si on analyse le discours d'un Hayek par exemple (ce que font les théologiens de la libération dans le livre en question), on voit qu'on est dans la religion à 100% (messianisme, sacrifice,..): mais alors, loin d'être naturelle, la croyance dans le marché est devenue religieuse.

Savoir si le capitalisme est "naturel", c'est la clé. J'adhère à 100% à une critique existentielle du capitalisme (Arnsperger), qui montre que le capitalisme est une manière particulière (et perverse) de vivre nos angoisses existentielles. Mais à nouveau, si on adhère au capitalisme, c'est qu'on y trouve notre compte, qu'il remplit une fonction importante pour nous: tout n'est pas mauvais. Et moi-même, comme tout les alter-économistes, je suis fortement attaché au capitalisme par certain aspects.

Radetsky
avatar 02/11/2011 @ 21:05:01


... le capitalisme est une manière particulière (et perverse) de vivre nos angoisses existentielles.

C'est un des aspects du problème. La sentence "greed is good" laisse transparaître un stade archaïque du développement affectif, qu'on retrouve notamment chez les collectionneurs compulsifs, les avares, et autres psychopathes "légers". On situe généralement ces attitudes dans un créneau temporel que la psychanalyse a défini "sexualité de type anal", laquelle en principe évolue vers autre chose... Il doit s'y rencontrer aussi une faille, une cassure, toujours dans le domaine des affects, qui semblerait montrer un gros déficit de "lien" avec la mère, puis avec l'ensemble du monde sensible. A y bien regarder, le curriculum vitae de bien des capitalistes majeurs justifierait qu'on les eût dirigés vers une clinique à un moment ou à un autre.
Mais c'est donner bien de l'importance à des explications tournant au psychologisme et in fine à l'absolution.
De manière plus pragmatique et pour revenir au fil de la discussion, les interdépendances entre la religion et l'argent ont depuis longtemps suscité la colère de quelques uns ; à commencer par ce barbu palestinien qui définissait ainsi la ligne du parti il y a presque 2000 ans : "vous ne pouvez pas servir Dieu et l'argent". La malédiction attachée à l'argent s'est maintenue, vaille que vaille, malgré les comportements indignes de l'église, qui suscitèrent ici et là des révoltes diverses (Rebaptisés de Münster, Taborites, etc.) jusqu'à ce que saute le verrou théorique de la justification par les actes. Alors, la bête immonde (voilà que je parle comme St Jean l'évangéliste !) a vérolé le monde entier. Luther, Calvin, au vu de leurs actions concrètes, ne méritent guère la louange : misogynes, antisémites, flagorneurs des puissants, méprisant les pauvres, sanguinaires à l'égard de leurs adversaires.
L'histoire intellectuelle de ces conflits a été illustrée, entre autres, par l'étude d'Ernst Bloch sur Thomas Münzer, où il démonte les mécanismes du conflit où Luther va appeler au massacre des Anabaptistes, surtout coupables d'avoir réclamé la justice et, plus encore, avoir récusé l'autorité du pouvoir incarné par les princes allemands.
Le noyau du processus de naissance du capitalisme est là. Le reste est affaire d'historiens.
Les sociétés humaines ont suscité depuis toujours la création de communautés où existait la propriété indivise et collective des moyens de production (en montagne, notamment), où les femmes avaient le même droit de suffrage que les hommes, à partir du moment où elles avaient la responsabilité d'un foyer. Comme quoi rien n'est inéluctable, surtout pas l'exploitation du travail humain, dernier avatar de l'esclavage (lequel a disparu grâce... aux moines).

Avada

avatar 02/11/2011 @ 21:25:23
Et j'avoue que je ne comprends pas bien comment on peut dire du capitalisme qu'il est une religion. Je trouve que c'est un raccourci un peu facile pour mettre dans le même panier un rejet de la religion et du capitalisme.

Pour reprendre l'article donné en lien par Radetsky :
"Donc, les pratiques utilitaires du capitalisme — investissement du capital, spéculations, opérations financières, manœuvres boursières, achat et vente de marchandises — sont l’équivalent d’un culte religieux."
Je ne vois pas en quoi toutes ces pratiques relèvent du culte, elles sont juste nécessaires au capitalisme. A ce compte-là, on peut dire que le cordonnier du Moyen Age qui fabrique entièrement une paire de chaussures et répète les mêmes gestes pour y parvenir a une pratique cultuelle.

"Les pauvres sont coupables parce qu’ils ont échoué à faire de l’argent, et se sont endettés : puisque la réussite économique est, pour le calviniste, signe d’élection et de salut de l’âme (cf. Max Weber) le pauvre est, par définition, un damné."
Cette idée est très présente dans l'Ancien Testament (mais pas dans le Nouveau, quoique...). C'est le problème du texte biblique, on peut lui faire dire tout et son contraire.

Pour ce qui est de l'idée que "le christianisme a été perverti et inversé à l'aube de la modernité", c'est au nom de cette même idée que les "hérésies" de toutes les époques ont cherché à remettre en cause l'Eglise et le Pape. Toutes ont un désir de pureté et le souhait de revenir à un christianisme originel. C'est même un élément central de la contestation luthérienne qui dénonce la simonie pratiquée par l'Eglise de façon éhontée au XVè et XVIè (ex : l'indulgence accordée à quiconque participerait à la construction de la basilique St Pierre). Le rachat des années de purgatoire et le commerce des pénitences sont au coeur du mouvement de contestation luthérien et calviniste.
En même temps, on ne peut pas affirmer que le capitalisme est issu d'un quelconque mouvement religieux sans reconnaître que le protestantisme est issu d'un changement de mentalité et répond aux besoins de la riche bourgeoisie marchande qui souhaite, à l'époque, voir lever le tabou sur l'argent du MA et le prêt à usure.
Pour moi, le capitalisme est indissociable de la montée de la bourgeoisie qui affirme ses propres valeurs dans une société où elle a une place mineure face à la noblesse et au clergé et n'a pas de pouvoir politique en dehors des villes.

Saule

avatar 02/11/2011 @ 21:52:37

Pour moi, le capitalisme est indissociable de la montée de la bourgeoisie qui affirme ses propres valeurs dans une société où elle a une place mineure face à la noblesse et au clergé et n'a pas de pouvoir politique en dehors des villes.

Tu as surement raison, c'est un autre ordre social qui se met en place, car à l'époque industrielle l'ancien ordre féodal n'était plus adapté. Par contre, la bourgeoisie était chrétienne, et il est intéressant de voir comment le christianisme a pu s'adapter à l'émergence des inégalités incroyables. Il a fallu légitimer ces inégalités. Je pense que nos ancêtres de l'époque n'étaient pas intrinsèquement mauvais: la théorie économique est venue à point nommé pour leur dire qu'en étant riche et entreprenant ils participaient à l'avènement d'un monde meilleur (messianisme). Ce qu'ils ont cru, et pas tout à fait à tort puisque un siècle plus tard il y avait effectivement une plus grande prospérité. C'est dans ce sens que je comprends la formule "Le Dieu des pauvres est devenu le Dieu des riches"; grâce à Adam Smith, devenir riche était un devoir moral.

Pour revenir sur les racines théologiques du capitalisme: indépendamment des études savantes, quand j'entends à la radio ou à la télévision, des traders dire "les marchés n'ont pas confiance dans les politiques européennes", ou "les marchés vont mettre en faillite la Grèce", etc. je pense réellement qu'on est là dans le domaine "pseudo-religieux". Est-ce ridicule de dire qu'on doit offrir en sacrifice des pensionnés Grecs ou des fonctionnaires Grecs afin de calmer l'ire du Dieu marché :-)

C'est impossible pour moi de résumer un ouvrage de 500 pages sans raccourcis saisissants, et ce faisant je risque de dénaturer leur pensée. Mais les théologiens de la libération ne rejètent certainement pas la religion, ils sont religieux (ce sont des jésuites). Leur argument, c'est que la théorie économique classique a des racines théologiques. Mais que ces racines théologiques ont été profondément enfouies et occultées, et que l'économie s'est ensuite présentée comme une science rationnelle. Juste deux exemples frappants:

- La main invisible de Adam Smith. C'est la croyance en une Divine Providence, qui, si on laisse faire le marché, va trouver la meilleure allocation des resources. C'est une croyance irrationnelle qui a pris des allures de rationnalité

- Sur le dollar américain il est écrit : "In God we trust". De quel Dieu s'agit-il ? Bon, c'est facile, mais c'est révélateur.

Mais la critique théologique va beaucoup plus loin; elle met à jours les effets mortifères (sacrificiel) de l'économie de marché. Pour le fétichisme, il y a une discussion très philosophique dans l'ouvrage, c'est un thème cher à Marx. Je n'ai pas tout compris, mais il me semble évident qu'il y a beaucoup de fétichisme dans notre rapport à l'argent (déification de la bourse,...).

Saule

avatar 02/11/2011 @ 22:02:23

La malédiction attachée à l'argent s'est maintenue, vaille que vaille, malgré les comportements indignes de l'église, qui suscitèrent ici et là des révoltes diverses (Rebaptisés de Münster, Taborites, etc.) jusqu'à ce que saute le verrou théorique de la justification par les actes. Alors, la bête immonde (voilà que je parle comme St Jean l'évangéliste !) a vérolé le monde entier. Luther, Calvin, au vu de leurs actions concrètes, ne méritent guère la louange : misogynes, antisémites, flagorneurs des puissants, méprisant les pauvres, sanguinaires à l'égard de leurs adversaires.
L'histoire intellectuelle de ces conflits a été illustrée, entre autres, par l'étude d'Ernst Bloch sur Thomas Münzer, où il démonte les mécanismes du conflit où Luther va appeler au massacre des Anabaptistes, surtout coupables d'avoir réclamé la justice et, plus encore, avoir récusé l'autorité du pouvoir incarné par les princes allemands.
Le noyau du processus de naissance du capitalisme est là. Le reste est affaire d'historiens.
Les sociétés humaines ont suscité depuis toujours la création de communautés où existait la propriété indivise et collective des moyens de production (en montagne, notamment), où les femmes avaient le même droit de suffrage que les hommes, à partir du moment où elles avaient la responsabilité d'un foyer. Comme quoi rien n'est inéluctable, surtout pas l'exploitation du travail humain, dernier avatar de l'esclavage (lequel a disparu grâce... aux moines).

Je trouve ton analyse passionnante, mais je ne comprends pas de quoi tu parles avec "le verrou théorique de la justification par les actes". Et du coup, je ne vois pas comment tu en déduis le noyau de processus de naissance du capitalisme.

Il faudrait rechercher dans les critiques de Bolcho: je me souviens d'un livre qui expliquait le développement du capitalisme dans l'histoire. Je vais chercher..

Radetsky
avatar 03/11/2011 @ 09:20:25


Je trouve ton analyse passionnante, mais je ne comprends pas de quoi tu parles avec "le verrou théorique de la justification par les actes". Et du coup, je ne vois pas comment tu en déduis le noyau de processus de naissance du capitalisme.

A la base de la "praxis" chrétienne (catholique), il y a : "la foi n'est rien sans les actes", autrement dit, peu importent tes déclarations, intentions, dévotions, actes de foi... si tu te comportes comme un salaud, tu es un salaud et surtout un hypocrite (la pire accusation : le diable est l'hypocrisie faite système). Les réformateurs, étant donné l'exemple moralement pitoyable de l'église, ont eu beau jeu de vouloir déplacer le problème ; en résumant beaucoup, taillé à la serpe :

1 - nous sommes totalement prédestinés par Dieu, dans les desseins et volontés de qui nous avons foi
2 - nous nous employons à appliquer les enseignement des Ecritures (lesquelles sont traduites dans le sens du poil, contradictoires et bourrées de ce qu'on veut bien y trouver, surtout pour l'ancien testament) par une vie digne, sobre, toute dédiée à bien faire le métier auquel nous avons été appelés, etc.
3 - si nous réussissons dans nos entreprises (dans tous les sens du terme), alors c'est que Dieu nous gratifie et nous justifie.
On a donc renversé la situation théorique : "les actes ne sont rien sans la foi". C.Q.F.D.

Il va sans dire que les motifs qui animaient, par exemple, les disciples de Valdo, longtemps auparavant, ne poussaient pas le bouchon ausssi loin, mais visaient à redonner à la chrétienté une pureté mise à mal par les comportements de l'église. Tout comme l'adhésion d'un paysan soumis à la taille, à la dîme, n'avait pas la même signification que celle d'un banquier rhénan. Bien plus tard on a vu les paysans protestants du Massif Central se mobiliser pour cacher les juifs et autres persécutés, tandis que la même chose ne semble pas avoir été entreprise chez les capitalistes patentés. Mais c'est un détail anachronique ici.

On a évacué toute référence à l'argent, souci obsessionnel des banquiers et marchands, qui adhèrent alors en masse. Un détail serait intéressant à fouiller : les Florentins, Milanais et autres, pionniers en fait de banque, sont restés catholiques (le pape était gros emprunteur, je suppose...?).

Il a bien fallu idéaliser à l'extrême un principe qui ne trouvait plus de références tierces et dogmatiques (l'Eglise), et se voyait livré à lui même dans ses développements. La disparition du culte des saints, des participations ostentatoires (processions, pélerinages, grand-messes), des dévotions traduites dans des objets concrets (statues, crucifix, médailles, amulettes, calvaires des croisées de chemins, etc.), voire même celle d'une autorité centrale, allait réclamer de fortes compensations. On n'évacue pas le signe religieux comme ça : il sort par la porte, revient par la fenêtre (que sont donc les grands défilés staliniens, nazis ou autres ?). L'Argent comme substitut de la piété ordinaire offrait toutes les caractéristiques d'une religion estampillée comme authentique :
- la matérialité (l'or, les diamants et autres bijoux ou métaux précieux), - les rituels (la Bourse, les contrats),
- les pratiques magiques (les jeux financiers, les actions, obligations),
- les assemblées de "fidèles" (guildes, chambres de commerce), sans oublier la paperasse que des armées de "théologiens" (juristes et financiers) s'évertueront à commenter, signer, falsifier, vendre, etc.
- enfin, faute de pape, on va se choisir un souverain local ou "étendu", qui sera tout bonnement l'Etat, comme référence, garant et soutien de l'ensemble (l'Etat "fondé de pouvoir" du Capital, selon Marx), avec cette astuce suprême : on va pouvoir se décharger sur lui de la responsabilité symbolique et matérielle de ce qui ne "marche pas" (injustice, violence légale).

Le Capital est une maladie, une plaie, une malédiction, une indignité absolue et son éradication promet d'être laborieuse :-((

Pieronnelle

avatar 03/11/2011 @ 11:23:11
Si je comprends bien Radesky (je dis bien "si" car c'est pas évident pour moi) c'est le mauvais exemple de la religion dans sa déviation (peut-être inéluctable..) qui a induit le capitalisme. Il a fallu remplacer un Dieu par un autre. Mais supposons que la religion n'ait pas dévié? Devait-elle absolument dévier? Si oui c'est que l'homme avait déjà dans sa nature ce besoin de dévier c'est à dire d'agir en dehors des règles, de la "morale"... Là j'ai un peu de mal car si l'homme s'est jeté dans les bras du Capital volontairement pour compenser cette perte de foi religieuse que peut-on espérer de lui?

Laventuriere 03/11/2011 @ 12:11:41

La malédiction attachée à l'argent s'est maintenue, vaille que vaille, malgré les comportements indignes de l'église, qui suscitèrent ici et là des révoltes diverses (Rebaptisés de Münster, Taborites, etc.) jusqu'à ce que saute le verrou théorique de la justification par les actes. Alors, la bête immonde (voilà que je parle comme St Jean l'évangéliste !) a vérolé le monde entier. Luther, Calvin, au vu de leurs actions concrètes, ne méritent guère la louange : misogynes, antisémites, flagorneurs des puissants, méprisant les pauvres, sanguinaires à l'égard de leurs adversaires.
L'histoire intellectuelle de ces conflits a été illustrée, entre autres, par l'étude d'Ernst Bloch sur Thomas Münzer, où il démonte les mécanismes du conflit où Luther va appeler au massacre des Anabaptistes, surtout coupables d'avoir réclamé la justice et, plus encore, avoir récusé l'autorité du pouvoir incarné par les princes allemands.
Le noyau du processus de naissance du capitalisme est là. Le reste est affaire d'historiens.
Les sociétés humaines ont suscité depuis toujours la création de communautés où existait la propriété indivise et collective des moyens de production (en montagne, notamment), où les femmes avaient le même droit de suffrage que les hommes, à partir du moment où elles avaient la responsabilité d'un foyer. Comme quoi rien n'est inéluctable, surtout pas l'exploitation du travail humain, dernier avatar de l'esclavage (lequel a disparu grâce... aux moines).
Je trouve ton analyse passionnante, mais je ne comprends pas de quoi tu parles avec "le verrou théorique de la justification par les actes". Et du coup, je ne vois pas comment tu en déduis le noyau de processus de naissance du capitalisme.

Il faudrait rechercher dans les critiques de Bolcho: je me souviens d'un livre qui expliquait le développement du capitalisme dans l'histoire. Je vais chercher..


C'est celui-ci que, d'ailleurs, je n'ai pu encore lire...faute de l'avoir trouvé!

http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/22251

Radetsky
avatar 03/11/2011 @ 12:24:39
Si je comprends bien Radesky (je dis bien "si" car c'est pas évident pour moi) c'est le mauvais exemple de la religion dans sa déviation (peut-être inéluctable..) qui a induit le capitalisme. Il a fallu remplacer un Dieu par un autre. Mais supposons que la religion n'ait pas dévié? Devait-elle absolument dévier? Si oui c'est que l'homme avait déjà dans sa nature ce besoin de dévier c'est à dire d'agir en dehors des règles, de la "morale"... Là j'ai un peu de mal car si l'homme s'est jeté dans les bras du Capital volontairement pour compenser cette perte de foi religieuse que peut-on espérer de lui?

Mon résumé est forcément schématique. Ceci dit, le "besoin de dévier" est inhérent à tout système contraignant. Restent alors les sens possibles que peuvent prendre les déviations. On aura d'un côté Ignace de Loyola, de l'autre les banquiers genevois, pour s'en tenir aux critères idéologiques. Mais il y a toujours plusieurs choix possibles, qui tiennent aux combinaisons des conditions du moment : structure de la propriété, développement technique, facilité des échanges (y compris intellectuels), disponibilités alimentaires, démographie, sensibilités religieuses, etc. etc., avec les conflits politiques latents ou déclarés. La liste est inépuisable et ne saurait en aucune façon devenir exhaustive. Mais, tel un système physique doté d'une masse, d'une vitesse, d'une direction, elle-même résultante d'un grand nombre de forces en jeu dans le système, il suffit d'une petite variation de l'une d'elles pour que la cinématique de l'ensemble en soit bouleversée : peuvent alors se produire des collisions, des fusions, etc. Et les propriétés de la résultante ne sont jamais identiques à la somme de ses composantes initiales.
Donc, on peut choisir de tomber dans la marmite, par le jeu de pesanteurs sociales, d'"ouvertures" inopinées d'horizons nouveaux (et délétères). C'est ce qui est arrivé aussi aux Bolchéviks.
Seules quelques "âmes fortes" savent résister et refuser ce qui apparaît comme inéluctable, mais elles existent !

Radetsky
avatar 03/11/2011 @ 12:28:41
Il faudrait que je fasse la critique du bouquin d'Ernst Bloch sur Münzer... mais comme il est rigoureusement introuvable, j'ai le temps !

Avada

avatar 03/11/2011 @ 12:30:16
Si je comprends bien Radesky (je dis bien "si" car c'est pas évident pour moi) c'est le mauvais exemple de la religion dans sa déviation (peut-être inéluctable..) qui a induit le capitalisme. Il a fallu remplacer un Dieu par un autre. Mais supposons que la religion n'ait pas dévié? Devait-elle absolument dévier? Si oui c'est que l'homme avait déjà dans sa nature ce besoin de dévier c'est à dire d'agir en dehors des règles, de la "morale"... Là j'ai un peu de mal car si l'homme s'est jeté dans les bras du Capital volontairement pour compenser cette perte de foi religieuse que peut-on espérer de lui?

Ce n'est pas du tout la thèse de Weber. le capitalisme est directement issu du clavinisme qui, en gros (parce que c'est plus compliqué) lève le tabou sur l'argent qui existe au Moyen Age. Pour les protestants, le fait de gagner de l'argent est un signe de l'élection divine.

Un détail serait intéressant à fouiller : les Florentins, Milanais et autres, pionniers en fait de banque, sont restés catholiques (le pape était gros emprunteur, je suppose...?).

En effet. En cela, la thèse de Weber est un peu bancale.
Le protestantisme était peut-être plus dans l'esprit des pays du Nord et la position du Pape en Italie a sans doute joué un rôle.

Pour revenir sur la justification, le calvinisme est plutôt déterministe. Il propose une tout autre conception de la vie.

Mais, malgré tes explications, Radetsky, je n'adhère toujours pas à l'idée du capitalisme en tant que religion.

Radetsky
avatar 03/11/2011 @ 13:55:17


Pour revenir sur la justification, le calvinisme est plutôt déterministe. Il propose une tout autre conception de la vie.

La prédétermination est une forme de dédouanement : je peux assassiner ma grand-mère avec prédestination, si je suis acquitté au procès faute de preuves, c'est que dieu est d'accord (je force la note, hein !). Je n'ai donc pas grand chose à me reprocher.


Mais, malgré tes explications, Radetsky, je n'adhère toujours pas à l'idée du capitalisme en tant que religion.

Qu'est-ce qu'une religion ?
Bon, si tu transposes ça en "mutant" le principe moteur (Dieu) vers un opérateur différent, comme la Patrie, la Famille, le Travail... le Capital, avec des textes canoniques, des cérémonies, des dogmes, des hérésies, etc. et que tu l'hypostasies en Principe moteur de ton existence (avec d'autres en parallèle, éventuellement), qu'est-ce que c'est...??
Regarde autour de toi, tu trouveras des "adorateurs du nombril" ou des "sectateurs de la clef à molette", en matière religieuse on peut faire flèche de tout bois, chacun dans son coin.
Le communisme dans sa version historique russe, étendu via le Komintern à d'autres pays, se comportait bel et bien de manière religieuse, le nazisme itou.
Ecoute les discours des singes électoraux : la Prière au Capital y est déclinée sous de multiples formes : la Sainte Crise, le Bienheureux Déficit, les Saintes Dettes Publiques (comme les filles du même nom), la Bienheureuse Rigueur, qu'on se doit d'honorer au besoin par notre misère et notre sang. L'incantation, la mélodie psalmodiée ad nauseam sur l'inéluctabilité de la Loi du système, ça s'appelle comment, à ton avis ???
L'homme dans sa détresse crée des religions chaque jour que...Dieu fait ;-))

Radetsky
avatar 03/11/2011 @ 13:57:14
...assassiner ma grand-mère avec prédestination,

Heu...je voulais écrire "préméditation" !

Avada

avatar 03/11/2011 @ 14:24:49
Oui, d'accord... mais c'est un peu ce que je disais plus haut, si n'importe quel courant social ou politique peut être assimilé à une religion, je ne vois pas ce que ça apporte de dire que le capitalisme est une religion. Sauf pour accréditer la thèse de ce livre qui vient d'être critiqué sur CL et que j'ai très envie de lire (mais qui n'a aucun rapoport avec ce dont on parle) :
Et l'homme créa les dieux de Pascal Boyer
http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/28499

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