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Forums  :  Vos écrits  :  CONVERSATION: Dessert

Sibylline 29/07/2005 @ 17:59:08
J’adore la cuisine chinoise. Je sais que c’est une des plus déséquilibrée du monde et qu’avec toutes ses graisses saturées et frites on se demande comment il peut exister des Chinois de plus de cinquante ans. Je sais que je passe une grande partie du temps que je consacre à mes repas à calculer les calories et l’équilibre de mon alimentation, mais j’adore la cuisine chinoise, alors quelquefois, je me lâche.
Et là, je m’étais lâchée. Seule, je m’étais octroyé un petit «time out» dans ce fabuleux vieux restau mandarin, J’avais choisi une toute petite table d’une personne dans le coin du fond, près de l’antique cabine téléphonique, une comme on n’en trouve plus. Celle avec le poste téléphonique mural en bakélite ; et ça marchait ! J’avais déjà vu quelqu’un s’en servir. J’avais plus qu’à moitié envie de l’utiliser moi aussi, pour me croire un peu plus dans le Macao, d’il y a 30 ans et j’étais en train de me demander qui je pourrais appeler, et pour lui dire quoi. Que j’étais en Chine ?
Comme je ne suis pas quelqu’un de sociable et que j’ai renoncé à faire semblant de l’être, je m’étais assise dos à la salle. Seule, et face au mur. Vous imaginez le tableau. Les autres convives devaient me prendre pour une folle désespérée et particulièrement mal embouchée… et il n’en était rien. J’étais de fort bonne humeur ma foi, l’âme légère, le sourire aux lèvres et tout, mais je suis comme ça. J’aime être seule et je profite avec de moins en moins de retenue des moments où je peux me permettre de le rester. Je commence à me moquer un peu de ce qu’on peut en penser ou en conclure, mais à m’en moquer vraiment, c'est-à-dire, pas à adopter cette attitude avec raideur ou contre qui ou quoi que ce soit, mais à l’adopter avec satisfaction, parce qu’elle m‘est confortable.
Je finissais le poulet au gingembre et au soja. C’était à s’en lécher les doigts. Il y avait là dedans du miel qui donnait à l’ensemble cette douceur inimitable, ce plaisir du sucré-salé… un délice. Je pensais à la suite. Chez les Chinois, il n’y a pas de fromage, quant au dessert… c’est la porte ouverte à toutes les déceptions. Je ne vais pas jusqu’à rappeler que ce sont les derniers restaus où l’on ose proposer à la carte la glace Gervko, genre mini bouteille de champagne en sorbet, Mystère ou orange givrée. Le «Lotus de Pékin» n’en était tout de même pas là, mais les litchis, les salades de fruits exotiques étranges baignant dans un sirop uniforme, les beignets d’ananas ou de banane ne me tentaient guère. Pourtant, j’avais encore un peu faim et pas très envie de partir déjà. J’hésitais.
Dans mon dos, un nouvel utilisateur avait pris place dans l’antique cabine. Veinard. Qu’est-ce qu’il pouvait bien avoir à raconter ? Qu’est-ce que je pourrais bien raconter moi-même pour entrer là dedans moi aussi ? Voir si l’annuaire, perforé à la chignole était enchaîné à la tablette, si le flexible de métal qui protège le fil du combiné était cassé au moins à un endroit, s’il y avait des numéros de téléphone notés sur les murs. Et pourquoi pas «Passy 32 32 » ? Ca n’existait plus tout ça.
Et pourtant, c’était là.
Je louchais un peu, en biais, par-dessus mon épaule. Gare au torticolis ! J’avais envie de voir qui téléphonait.
Oh mais, ça s’agitait là dedans. Une sorte de rombière en manteau de fourrure, des renards argentés sans doute, faisait de grands gestes comme si de mimer ces phrases pouvait aider son interlocuteur à comprendre. Ou alors, c’est elle que cela aidait. Elle semblait en effet en avoir gros sur la patate. Fallait que ça sorte et elle ne le lui envoyait sans doute pas dire.
Oui, mais quoi ?
Généralement, je n’épie pas ce que font les autres. Je n’en ai aucun mérite, cela tient plus de l’indifférence que de la discrétion, mais là, peut-être parce que c’était un peu MA cabine téléphonique, en somme, j’ai tendu l’oreille. Pas trop difficile, j’étais assise presque contre la porte et elle gueulait
"J'en veux deux! Oui, deux! On se débrouillera, tu m'entends?!"
Elle était furax. Exigeante et furax. Qu’est-ce qu’elle voulait donc si fort et qui était si difficile à obtenir? D’autres manteaux de fourrures ? Elle va en massacrer combien de ces pauvres bêtes, pour se tenir chaud ?
J’ai une vraie aversion pour les porteurs de manteaux de fourrure.
Elle continuait.
« Tu vas sortir? Donne moi ton portable. J’te connais, sinon, tu m’rappelleras pas. »
Elle se coince le combiné entre l’épaule et l’oreille et, grotesque, tonitrue les numéros en même temps qu’elle les note sur un bout de l’annuaire qu’elle a déchiré.
Je note les chiffres sur ma serviette.
Elle raccroche sèchement et vide les lieux en tentant de claquer la porte qui, pépère, se referme en fait mollement.
J’ai mon baladeur. Un Sanseverino y somnole justement. Je suis contente. Je vais pouvoir téléphoner. Je demande l’addition. Le temps qu’elle arrive, je m’installe avec délectation dans la fabuleuse cabine années 50. Ca pue un peu le parfum. La dame a vraiment tous les mauvais goûts. Je fais le numéro qu’elle vient de me donner et, quand ça décroche, j’envoie «André II»
« Aaaarrêtez de faire des manteaux avec la peau des animaux
Aaaarrêtez de faire des manteaux avec la peau des animaux »
Et tout le reste de la chanson.
Cool. J’ai eu mon dessert.
;-)))))))


* voir à «Chanson du jour», 29/7/05 18h 05

Sibylline 29/07/2005 @ 17:59:37
• 1 Poulet entier (ou juste des cuisses)
• 1 oignon
• 2 échalotes
• 2 grosses cuillères de miel au choix
• 1 racine fraîche de gingembre ou en poudre
• 3/4 d'une petite bouteille de sauce soja ou 5 c à soupe
• 5 gousses d'ail
• 1 verre d'eau
• 4 c à soupe d'huile d'olive

Découper en morceaux le poulet ou en deux parties les cuisses.
Éplucher, dégermer, émincer les gousses d'ail.

Préparer l'oignon, les échalotes Émincer. Réserver. Hacher le gingembre éventuellement.

Verser l'huile dans la poêle, faire revenir le poulet et, dès qu'il est doré, le réserver au chaud.

Cuisson de l'ail, des échalotes, l'oignon et le gingembre...

Faire dorer le hachis dans l'huile d'olive.

Quand le mélange a une belle couleur, ajouter les morceaux de poulet. Verser la sauce soja, le gingembre (en poudre ou préparé).

Ajouter le miel, un verre d'eau. Attention ne pas saler, car la sauce soja l'est déjà. Cuire à feu doux pendant 1 heure. Ajouter un peu d'eau éventuellement.

Kilis 29/07/2005 @ 18:49:09
Merde, c’est excellent Sib !
On y est, on s’y croit et on te voit, toi.
En tous cas moi, je t’ai reconnue même si je t’ai jamais vue, là je t’ai « sentue ».

C’est tout bon.

Question : t’as osé faire ça ?
(Tu vois, j’y crois )

Eireann 32 29/07/2005 @ 19:13:04
A table, et je suis le chef ce soir a la maison. Beau texte, belle chanson, j'espère bonne cuisine( pas gagné d'avance)

Lyra will 29/07/2005 @ 19:17:54
Ben oui, Sib, tu l'as fait ?
Parce que je me demande moi aussi, ça parait tellement vrai !
Bref, histoire originale et bien racontée jusqu'au bout, avec le dessert (on espère que la dame appelait bien pour ça :0))))
Donc, j'ai bien aimé, oui !

Et merci pour la recette ;0)

Tistou 29/07/2005 @ 19:18:34
Oui moi je pense qu'elle a dû le faire. Ca serait bien elle. Ca n'était pas des peaux de chiens cela dit, juste des animaux !
2H pour écrire cela donc ? Bravo Sib, ça tient plus que la route (quand je pense au temps que je mets !).

Sahkti
avatar 29/07/2005 @ 19:58:42
Super bien vu le passage sur le dessert dans les restos chinois. C'est vrai de vrai, de bleu! Tu connais bien :)

Et puis "comme si de mimer ces phrases pouvait aider son interlocuteur à comprendre", tout aussi criant de vérité.

Succulent Sib (et pas que pour la recette!). Narratif, certes, mais ça se prête bien au tableau, à la scène que tu décris avec minutie pour qu'on en respire chaque détail. Cela se passe en douceur et en même temps, on sent la force du récit. Et la fin... un régal! Bravo!

Giny 29/07/2005 @ 21:10:32
J'adore Sib, j'ai dû quand même lire une seconde fois pour bien comprendre, en plus c'est un sujet auquel je suis sensible, il y a quelques jours, j'ai vu une vidéo sui montrait la façon dont ces pauvres animaux étaient traités.C'était tellement affreux que je n'ai pas pu la finir, encore moins la commencer.En fait, j'aime bien la façon dont on a retourné une situation assez dramatique en une comique et à ton avantage puisque finalement, tu l'as eu ton dessert;).

Mentor 29/07/2005 @ 22:05:23
Sib de dos, seule à une petite table et face au mur!! Tu as vraiment fait ça?! On la voit tellement ta verrue sur le nez?
:-)))
Chouette texte très visuel aussi avec cette femme en fourrure d'emblée antipathique.
Eh, tu t'es pas dit que peut-être c'était du synthétique?! ;-)
Mais ça t'a fait du bien de faire ton sms alors c'est parfait!
J'aime cet humour narratif en monologue, c'est bien rendu. Merci Sib.

Nothingman

avatar 29/07/2005 @ 22:27:21
Sib, tu as beau dire que tu étais seule à la table, en train de goûter aux mets chinois, mais, avec un texte comme celui-là, c'est un peu comme si tu nous avais tous invité à ta table, à tes côtés, à partager cette blague délicieusement drôle -)). J'ai aussi apprécié la description acérée de l'ambiance propres aux restaurants chinois. Joli texte !

Sahkti
avatar 30/07/2005 @ 22:31:31
Noyé par les rencontres, je fais remonter :)

Yali 31/07/2005 @ 12:18:18
Intraitable Sib, un final jouissif. La défense des animaux dans un restau Chinois qui plus est, fallait l'oser !

Lyra will 31/07/2005 @ 12:20:27
Intraitable Sib, un final jouissif. La défense des animaux dans un restau Chinois qui plus est, fallait l'oser !

:0)))))

Zou 31/07/2005 @ 17:25:57
Première lecture...j'ai trouvé ce récit magnifiquement écrit. J'ai savouré "les desserts dans les restaus chinois, c'est la porte ouverte à toutes les déceptions" Tellement vrai ! Mais je ne connaissais pas la chanson de Sensiverio, donc suis restée un peu sur ma faim ! Aujourd'hui, après un petit détour par la "Chanson du jour", je savoure jusqu'au bout ! Bien vu et un goût original à ton récit, c'est que les paroles-contraintes ne sont prononcées presque qu'en fin de texte ce qui laissait la place belle au début à la description de tes états d'âme et à l'âme de ce téléphone.

Bluewitch
avatar 31/07/2005 @ 19:44:50
Excellent Sib! Caustique à souhait! Il a du chien, ce texte, de la consistance et, vraiment, j'ai aimé!
Le ton que tu as donné, le style, la verve, j'ai mordu tout de suite!

Krystelle 02/08/2005 @ 13:50:00
Très bon texte oui, vraiment bien écrit et puis cette fille, cette vieille cabine, le restaurant chinois... tout se mélange parfaitement, on y est. J'ai adoré la fin! Bravo, 3 fois bravo!

Fee carabine 03/08/2005 @ 02:47:56
Oh que oui, que la cuisine chinoise est grasse! Mais ce n'est pas le cas de ton texte, Sib, celui-là, il a du peps! Et de l'ambiance aussi, on se croirait vraiment dans ce restaurant un peu vieillot, avec sa cabine téléphonique d'une antiquité presque vénérable... Et la chute est tout à fait savoureuse, même si je dois avouer que je ne connaissais pas cette chanson de Sanseverino (bonne idée de l'avoir postée sur chanson du jour...).

Fee carabine 03/08/2005 @ 02:48:58
Et merci pour la recette :-).

Bolcho
avatar 04/08/2005 @ 15:06:41
J'ai tout dégusté (non, pas encore le poulet). C'est un pur délice...jusqu'au dessert lui-même. Là, j'ai un peu calé, vaguement déçu par la "violence" de l'événement à la fin d'un texte où la mise en place, le décor, l'atmosphère, l'originalité du personnage, suffisent amplement au plaisir du lecteur. Bref, sans chute, j'aurais encore mieux aimé je crois.

Charles 08/08/2005 @ 12:26:07
Vraiment très réussi ! j'aime beaucoup ! drôle, vif, gai, visuel, bien maitrisé, intéressant ...

tiens, 12h30 !! je vais me faire un p'tit chinois !

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