Zou 23/06/2005 @ 15:47:21
Voici notre humble contribution à FéeClo et à moi. Et pour se faire pardonner de poster en avance et de ne pas avoir créé un nouveau pseudo, on vous propose la promo de l’été : deux fins pour le prix d’une !


Le soleil plombait la rue du village.
Pas une ombre.
Les volets gardaient jalousement les secrets des familles.
Mêmes les femmes se taisaient.
Seul les douze coups de midi rompirent la torpeur.
Vincèns repoussa chaise et assiette et se dirigea péniblement vers son fauteuil.
La chaleur n’arrivait pas à réchauffer ses vieux os perclus de rhumatismes.
Il somnola quelques heures, la tête renversée et la bouche entr’ouverte.
De temps en temps, sa main s’agitait pour chasser quelques mouches aventureuses et puis retombait mollement sur l’accoudoir élimé jusqu’à ce que son horloge interne l’avertisse de ce que l’heure du rendez-vous quotidien des anciens avait sonné.
Il passa ses mains ravinées sur son visage pour chasser les derniers voiles du sommeil et se remit doucement en mouvement.
Sur le seuil, un rais de lumière vive l’immobilisa quelques instants. Juste le temps pour ses pupilles de s’en accomoder et il se dirigea à petits pas vers le banc qu’ombrageait un vieux platane.
Les oiseaux avaient repris leur babillage et les vieilles rentraient le linge en houspillant les gamins toujours accrochés à leurs amples jupons noirs.
Vincèns avait le souvenir de s’être réveillé ce matin là avec un sentiment désagréable.
A nouveau, ce malaise le reprit et il n’avait toujours pas réussi à en identifier la cause lorsqu’il rejoignit Marcèu.
- Coume vai, Vincèns ?
- Balin-balan, Marcèu.
- C’est vrai que tu n’as pas l’air dans ton assiette ! Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
- Noun sai.
- Allez, t’as mal où mon bèau ?
Vincès s’assit sur le banc, souffla jusqu’à ce que ses poumons soient tout à fait vides et reprit une bouffée d’air. Il cherchait les raisons de son désagrément. Il eut à peine le temps de commencer à fouiller sa mémoire que l’air inspiré par ses narines lui apportait la réponse. Il lui manquait sa pureté habituelle.
- Marcèu, je ne peux pas me tromper ! Nous sommes le 1er juillet, non ?
- Je pense bien, mais pourquoi tu m’dis ça ? demanda Marcèu d’un air perplexe.
- Tu n’as pas senti ? Cette odeur !
Marcèu respira profondément. Ce faisant, son corps courbé par l’âge se redressa lentement. Il resta en apnée quelques secondes puis se recroquevilla aussitôt. Dans son expiration, il dit tristement :
- Tu as raison, Vincès, ils sont revenus !
A peine ces mots prononcés, ils virent au loin, sur la route côté est, un campingcar.
- Et voilà les premiers, maugrea Vincès. Qui nous fera l’honneur cette année ?
Parisiens, hollandais, allemands ?
En prononçant ces noms évoquant des pays qu’il ne connaissait pas, Vincès voyait défiler des visages de touristes. Des centaines. Blancs et pâles comme des morts à l’arrivée, ils repartaient rotis comme des poulets après quinze jours.
Le coup de coude de Marcèu le ravit à ses pensées.
- Vincès, je crois que nous allons rire, c’est une plaque belge ! On va pouvoir leur raconter des blagues !
En effet, le campingcar qui approchait arborait une petite plaque blanche aux lettres rouges. Les deux vieux pouvaient deviner les mines réjouies de ses occupants : un homme au volant, une femme, à ses côtés et deux gamins, apparemment pressés d’arriver, qui se cramponnaient à l’arrière.
Vincès fit une grimage.
- Ben, moi ça ne m’amuse pas du tout, Marcèu ! Tu oublies qu’ils sont tous pareils ? Quelque soit le nombre de kilomètres qu’ils ont parcouru pour venir polluer notre beau village !
- Cesse de fougner ! T’es jamais content, toi !
Le campingcar s’arrêta à leur hauteur. Le conducteur était en marcel et suitait comme une éponge imbibée.
- Pardon, Messieurs, le camping du Soleil, s’il vous plait ?
Chacune de ses épaules était flanquée d’un p’tit rouquin mastiquant à grand renfort de déglutition et fixant Vincèns et Marcéu comme s’il s’était agi de martiens.
Vincèns feignit d’ignorer la question.
Marcèu finit par indiquer la direction d’un geste du menton.
Le campingcar en redémarrant manqua de renverser deux motards dont pourtant la présence avait été annoncée et même devancée par des vrombissements assourdissants.
Chacun finit par se remettre en route en s’arrosant copieusement d’injures dont il n’était nul besoin de traduction pour en saisir toute l’élégance.
- Et ça ne fait que commencer, maugréa Vincèns.
De fait, la procession de grosses allemandes, de fières italiennes et de lourdes caravanes qui traversa le village tout au long de l’après-midi lui donna raison.
Vincèns fit l’impasse sur l’apéro du soir et regagna sa maison le front buté et la rage au cœur. Et dire que pendant deux mois, il allait falloir endurer ça. Sans compter les jeunes chevelus qui viendraient se vautrer au bord de la fontaine et les vieilles bourgeoises qui photographieraient jusqu’au moindre caillou avant de s’accaparer les deux seuls parasols de la terrasse de Jousè.
Aqui n’y a proun ! Il ne supporterait pas ça une année de plus…et à son âge elles lui étaient comptées. Sa décision était prise, il irait passer la belle saison chez Mireio, sa sœur exilée depuis 40 ans dans une petite ville du Nord. Chaque année elle insistait pour qu’il vienne la voir. Et lui de refuser systématiquement. Mais aujourd’hui, il allait l’exaucer.
Le cœur soudain allégé par ce projet, il poussa la vieille porte de bois aussi déssèchée que lui.

FIN 1

Un petit rectangle blanc se détachait sur la terre cuite.
Pourtant ce n’était pas Noël et il y avait bien longtemps qu’il réglait ses conflits de voisinage autrement que par courrier d’avocat ! Il se baissa difficilement pour ramasser la lettre, s’installa à la table de la cuisine et chaussa ses lunettes pour déchiffrer cette fine écriture qu’il ne connaissait pas.
« Tonton Vincèns. Maman Mireio a été souffrante. Nous avons du la placer en convalescence dans une maison de retraite, à tout le moins pour quelques mois. Nous profiterons de nos congés pour descendre te donner des nouvelles de vive voix et rester un peu près de toi. Nous arriverons le 2 juillet. Nous espérons que cette petite lettre arrivera avant nous. Sinon nous t’en ferons la surprise. A bientôt. Françoise, Guy et les enfants. »

FIN 2

Il se dirigea directement vers la chambre et ouvrit toutes grandes les portes de la garde robe. Celles-ci, peu habituées, protestèrent par des grincements offusqués. Vincès s’abaissa, une main apuyée sur le dos pour prendre sa petite valise. Il la posa sur le lit et fit des allers-retours de la garde-robe au lit pour la remplir. Il avait presque terminé, quand il entendit quelqu’un frapper à la porte.
- Vincèns, t’es là ?
Il reconnut la voix de son ami.
- Entre, Marcèu, je suis dans la chambre
Il entendit Marcèu ouvrir la porte, la refermer derrière lui, traverser la salle à manger, déposer une casserole sur la table, puis reprendre sa marche tout en commençant déjà à lui parler
- Vincèns, je t’ai apporté de la bourride. Tereso en a préparé une grande marmite et ….
Marcèu s’arrêta net à l’entrée de la chambre.
- Qu’es acò ? dit-il en montrant la valise
- Je pars chez ma sœur dans le Nord. Je ne supporterai pas deux mois avec ces étrangers dans le village.
Marcèu se mit à rire, un rire franc et gras, qui se termina en une quinte de toux.
- Mon bèau, tu me fais mourir de rire ! Toi qui déteste les touristes, tu vas faire comme eux ? N’oublie pas ton appareil photo numérique, ta crème solaire et tes boules de pétanque, ajouta-t-il en riant et toussant de plus belle.
Vincèns lui lança un regard coléreux tout en cherchant une remarque acerbe à lui décocher. Puis il s’assit sur le lit, réfléchit un moment et se laissa doucement envahir par la bonne humeur de son ami.
- Tu as raison, Marcèu, je ne peux pas devenir un vacancier ! Je vais arriver là-haut bronzé et en revenir tout blanc. A mon retour, tu ne me reconnaîtras plus. D’accord, je vais rester ici et on apprendra à jouer aux boules aux p’tits belges qui sont arrivés cet après-midi.
- Ah ! Tu retrouves la raison Vincèns. Tu sais, peut-être que cette année on va bien se gaudiner !
Ils retournèrent s’asseoir sur leur banc. La bourride attendrait bien un peu.Le flot des voitures s’était un peu tari et Marcèu rit sous cape lorsqu’en coin il vit Vincèns répondre au salut de deux jeunes gens juchés sur un gros cube japonais. Décidément, ces deux mois se révélaient prometteurs.

Charles 23/06/2005 @ 16:01:30
bon, moi je vote pour la fin N°2. La 1ère me semble totalement détachée de l'ensemble, trop "différente" au niveau de la narration, un peu comme une cheveu sur la soupe ...


avec la 2, le texte se tient bien, même très bien. On ne sent pas 2 écritures mais bien une seule. Les personnages sont "vrais", je l'imagine très bien ce vincent qui peut être chaque début d'été, ferait une petite tentative pour aller chez sa soeur et puis finallement, non, reste au village ...

Spirit
avatar 23/06/2005 @ 16:32:58
Jolis portraits, pour moi les deux fin me vont puisse qu'elles changent le cours de l'histoire l'une comme l'autre.Belle écriture.

Kicilou 23/06/2005 @ 16:58:39
Super ! avec l'accent du terroir et tout et tout !
Moi aussi, je vote pour la fin 2. La 1 m'a fait rire mais, tout de même, la deux est plus construite, plus dans la continuité.
Peut-être que ces petits vieux ils s'accomodent un peu facilement de tous ces touristes mais bon, tous ne sont pas des têtes de bûches !
Bref tout ça a un agréable parfum de vacances !

Krystelle 23/06/2005 @ 17:12:03
Voilà un texte très couleur locale qui sent bon la provence et le soleil! Vraiment on y est, on entend presque les cigales chanter.
Les notes sont parfois un peu nostalgiques et le veillard est attachant.
Vos deux plumes se marient bien et j'ai beaucoup aimé ce texte très estival.

Un seul regret: proposer 2 fins incite le lecteur à faire un choix et je trouve ça un peu dommage mais après tout... pourquoi pas!

Bluewitch
avatar 23/06/2005 @ 17:20:20
Préfère aussi la fin n°2! Bien tenu, ce texte! Sympa!
Et tellement vrai.
Bravo les filles.

Mentor 23/06/2005 @ 21:04:04
Scénario avec la fin n°2! sans hésiter! Quel terroir au fait? Mais ça va, on comprend bien malgré l'asseng... ;-)
Ils sont pittoresques ces 2 vieux. J'ai adoré la description du premier qui va d'un endroit à un autre pour dormir, autrement chaque fois, mais pour dormir... ça sonne si vrai.
Ils sont sympas les 2 copains, et j'imagine bien la horde blanche qui se pointe, et qui repartira bronzée ou brûlée selon le temps d'exposition... comme les crêpes en fait. ;-))
Très bien rendu ce moment de vie locale.

Nothingman

avatar 23/06/2005 @ 22:32:28
Très bon texte. Grâce à vous, La Provence s'offre un peu à nous. Et on a tous des souvenirs comme ceux que vous évoquez. Des gens du cru qui apprennent à jouer aux boules aux jeunes vacanciers, un peu ronchons lorsque les habitudes sont perturbées. Quant aux fins, je préfère également la deuxième plus dans le ton. La première était trop mélancolique par rapport au texte d'où un sentiment de coupure. En tous les cas, bravo à toutes les deux!

Saint Jean-Baptiste 23/06/2005 @ 22:52:16
Bravo et merci pour la promo de l'été : deux fins pour le prix d'une !
Les deux sont excellentes : la première plus originale, la deuxième plus gentille.
C'est à lire avé l'assang !
Le texte est savoureux, bien enlevé, bien écrit : deux bonnes plumes pour un bon texte qui nous raconte une belle histoire, bien de saison.
Bravo à toutes les deux.
Tiens ? Au fait, vous connaissez le provencal ?

Sahkti
avatar 23/06/2005 @ 23:30:48
Hmmmmmmm quel morceau de soleil! Et comme tout ça sent le vrai, dis donc.
Bravo les filles! Perso, je préfère la seconde fin, je la trouve plus en phase avec le début du récit. La chute de la première me laisse un peu indifférente, tandis que la seconde, je les entends d'ici se marrer.
C'est bien écrit, très réaliste, plein de chaleur et de poésie. Ils sont attachants vos deux petits vieux. Et de bleu, je suis sûre qu'il y en a un tas là-bas qui doivent réellement penser comme eux (un peu comme moi avec mes Japonais tout à l'heure dans "Conversations" :)

Lyra will 24/06/2005 @ 14:21:34
Et moi je suis toute seule, mais je préfère la 1 !!
:0))

Elle m'a fait rigoler, quoique la 2 n'était pas mal non plus, mais non, je retse sur la première :0)

Un texte sympa, qui sent l'été, les touristes, la petanque, et puis les dialogues sont drôles et plutôt crédibles :0)

Bien écrit, en effet, on ne distingue pas deux écritures différentes, mais une seule.

J'ai bien aimé !

FéeClo
avatar 24/06/2005 @ 14:30:14
SJB, on ne connait pas le provençal, mais Zou m'a fait découvrir un dico avec quelques expressions qui sentent bon le soleil!

Je vous avoue que moi-même je n'en reviens pas du mélange de nos écritures: j'ai vraiment l'impression que c'est une seule et même personne qui a pondu tout le texte... pourtant nous étions bien deux ;o)

Sorry de vous laisser choisir la fin, nous étions réèllement incapables de nous décider... Nous, c'est Zou et Fée qui pourraient s'appeler Zoufe ;o)

Tistou 24/06/2005 @ 15:59:54
Quel dommage qu'on n'ait pas un nouveau pseudo bizarre à se mettre sous la dent !
J'ai eu du mal avec le début. Phrases très courtes. Isolées les unes des autres. A partir de "De temps en temps ...", ça y est, je trouve mes aises et je rentre dans l'histoire. Qui a sa pesanteur de vieillesse et de chaleur qui vous accable. La migration des tourites qui, comme les sauterelles ... Tout est bon après.
Je préfère également la 2. La 1 n'est pas mauvaise mais elle fait clin d'oeil, trouve-je.
Petite remarque sur votre § d'entame ; "humble contribution". En quoi est-elle humble ? Contribution parait suffire.
Et moi non plus je ne distingue pas Fée ou Zou, mais vue l'expérience connue avec Bluewitch en la matière, je ne suis pas étonné.
Agréable hein ? Très. Comme votre texte !

Bolcho
avatar 26/06/2005 @ 14:52:02
On a l’accent, le chant des cigales, les odeurs qui vont avec. Beau tableau que tout ça. Et une belle unité de ton. Ce que j’aime par-dessus tout, c’est que vous nous contez une histoire au cours de laquelle l’arrivée de deux mouches sur le visage endormi de Vincèns prend presque des airs de péripétie chahutée. Et le temps coulait…

Loupbleu 27/06/2005 @ 12:07:30
Ce texte a vraiment beaucoup de charme. On entend le chant des cigales (voir les commentaires) sans que vous n'en parliez !L'évocation de l'été est particulièrement bien rendue. Les personnages sont aussi très attachants; je les aurais peut-être vu plus "blagueurs", un peu plus détachés.

Concernant le texte, je suis assez d'accord avec Tistou : le début a des résonances plus dramatiques, un ton est plus sec et la fin présente plus de souplesse, je trouve ça plus agréable.

J'aime les deux fins, et je verrais aussi volontier une suite à ces fins ! Bravo pour ce très bel exercice.

Sibylline 27/06/2005 @ 20:47:42
Joli texte provençal qui nous prépare aux vacances où nous serons... touristes! ;-)))))))

Sibylline 27/06/2005 @ 21:23:58
Joli texte provençal qui nous prépare aux vacances où nous serons... touristes! ;-)))))))

Et même belges pour certains!!! ;-))))

Saint Jean-Baptiste 27/06/2005 @ 22:57:52
Joli texte provençal qui nous prépare aux vacances où nous serons... touristes! ;-)))))))

Et même belges pour certains!!! ;-))))

Hè Hè Hè !!! Qu'est-ce que ça veut une fois dire ça !?

Saint Jean-Baptiste 27/06/2005 @ 22:58:31
Oups ! J'avais oublié : :o))))

Killgrieg 02/07/2005 @ 11:06:00
pardon mais moi j'ai un problème avec votre texte...
Il est où le pastis bordel???

sinon; plaisir... j'aime bien comme vous plantez le décor, j'aime bien les personnages (même si j'aurais préféré qu'ils soient assis à l'ombre d'un olivier plutôt qu'à celle d'un platane) j'aime mieux la première fin.
l'ensemble est vraiment bon.
vous m'avez baladé en me surprenant chaque fois, je voyais des thèmes à la mode se dessiner, vous passiez à autre chose... C'est ben écrit, bien construit... vraiment plaisir!
bravo

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