Kalie
avatar 09/07/2021 @ 10:26:22
Il est vrai que l'accès à la lecture ne se limite plus aux livres papier, que leur vente n'est plus le seul critère (le développement des échanges via les boites à livres - même si dans celle près de chez moi un malotru a cru qu'il s'agissait d'une déchetterie : j'ai dû faire le ménage et retirer toutes les publicités et journaux entassés), et que les bibliothèques existent toujours. C'est vrai aussi qu'il y a toujours des passionnés même chez les jeunes. Mais ces lecteurs sont les arbres qui cachent une forêt de personnes qui ne connaissent pas ce que c'est que de vivre un histoire à travers un bon roman. Sauf à ce qu'il ait une proportion importante cachée de lecteurs qui ne liraient que chez eux sans parler de leur lecture à personne. Même avant l'apparition des smartphones les gens que je côtoyais, par exemple dans une salle d'attente, préféraient s'impatienter sans rien faire s'étonnant de me voir un livre à la main l'air d'apprécier ce moment.

Kalie
avatar 09/07/2021 @ 10:38:14
Ce qui est paradoxal quand même c'est la pléthore de parutions chaque année (voire le nombre de bouquins qui sortent à chaque rentrée littéraire)!


Oui sans compter une part de plus en plus importante d'influenceuses/influenceurs, de people qui s'improvisent écrivains. Leurs écrits ? : du niveau de ma liste de courses.

Patman
avatar 09/07/2021 @ 11:11:28
Ce qui est paradoxal quand même c'est la pléthore de parutions chaque année (voire le nombre de bouquins qui sortent à chaque rentrée littéraire)!



Oui sans compter une part de plus en plus importante d'influenceuses/influenceurs, de people qui s'improvisent écrivains. Leurs écrits ? : du niveau de ma liste de courses.


Oui, le côté "commercial" est un créneau très important. Il y a beaucoup de "livres-kleenex" aujourd'hui, des bouquins qui collent à l'actu et qui sont obsolètes au bout de 3 mois. Depuis quelques années la mode est aussi aux livres de politiques, chacun y va de sa petite autobiographie-programme-bilan... Et, pour rester dans le métro, depuis un petit moment il y a maintenant des affiches grands formats, genre pub pour le cinéma, pour des bouquins (avec photo de l'auteur s'il/elle est jeune et sexy.)

Saint Jean-Baptiste 09/07/2021 @ 11:20:08
Je partage largment le pessimisme de Kalie...

Je pense qu'il n'y a pas de hasard: tout cet état de fait résulte d'un mouvement général, une grande déculturation qui commence avec le baisse du niveau scolaire, la relativisation générale (tout se vaut...), une baisse (ressentie) de la créativité, la domination des loisirs "faciles" comme les jeux vidéos, internet, etc...
,
C'est bien dit !

Saint Jean-Baptiste 09/07/2021 @ 11:22:00
Il y a une cinquantaine d’années une enquête avait été faite dans les trains de longue distance : un tiers des passagers regardait par la fenêtre, un tiers causait ou sommeillait, un tiers lisait.

Il y a une vingtaine d’années je prenais tous les jours un train bondé de navetteurs. Tous les lecteurs se retrouvaient dans un même wagon qui était plein comme un œuf. (Parce que le pire pour les lecteurs dans les trains ce sont les gens qui parlent et qui parlent toujours pour tout le wagon). Tout le monde lisait dans ce wagon, même debout sur les plates-formes ou faisait des sudokus ou des mots croisés.
En deux fois trente minutes de trajet tous les jours, j’ai lu une bibliothèque entière de livres.

Aujourd’hui dans les trains il y a plus de téléphoneurs et de consultants d’écran que de lecteurs. On lit moins qu’avant, c’est certain.

Dans ma ville de 25.000 habitants il y a un marchant de journaux qui affiche les livres d’Anne Sainclair, de Fanny Ardant ou de Adamo et ne seule librairie convenable qui est maintenant reprise par Furet du Nord.

Saint Jean-Baptiste 09/07/2021 @ 11:37:57
Ce qui est paradoxal quand même c'est la pléthore de parutions chaque année (voire le nombre de bouquins qui sortent à chaque rentrée littéraire)!



Oui sans compter une part de plus en plus importante d'influenceuses/influenceurs, de people qui s'improvisent écrivains. Leurs écrits ? : du niveau de ma liste de courses.
C’est vrai, ça décourage beaucoup de gens qui ne savent plus à qui se fier.
Maintenant avant chaque livre, je regarde ce qu’en dit CritiquesLibres et le nom du critiqueur. A la longue on connaît les goûts de chacun.
Mais avant je me fiais a Bernard Pivot et aux critiques des journaux et j’ai acheté des livres qui étaient des vrais navets, niveau liste de courses de Kalie. ;-))

Radetsky 09/07/2021 @ 15:10:03
@ SJB
....
Mais avant je me fiais a Bernard Pivot et aux critiques des journaux et j’ai acheté des livres qui étaient des vrais navets, niveau liste de courses de Kalie. ;-))

Et il n'y a pas que ceux qu'on achète...! Sachant que j'aimais lire, on m'a fait assez souvent des "cadeaux" qui n'étaient en réalité que le reflet des goûts de celui qui offrait, ou le résultat du battage médiatique entretenu à la sortie de "chefs d'oeuvre" que tout le monde se "devait" d'avoir lu...mais que j'avais jusque là soigneusement évité d'acheter.
Hélas (trois fois).
Mais je me suis bien emm.... avec ces cadeaux, des pavés souvent, nauséabonds parfois, à propos desquels je me suis empressé de faire une contre-publicité sur CL.

Je ne brûle pas un livre en bloc (c'est le boulot des Inquisiteurs, Nazis et autres sauvages), mais je ne vais pas non plus empoisonner le cerveau des gens en le donnant (bon, c'est mon appréciation), je n'allume pas non plus mon poêle chaque jour avec ses pages : j'ai trop d'estime pour le travail de mes camarades qui l'impriment, le distribuent, etc.
Donc... :
Comme disait le père K.M., ils sont "abandonnés à la critique rongeuse des souris"

Minoritaire

avatar 09/07/2021 @ 18:35:36
Le discours sur la responsabilité de l'enseignement sur la "disparition de la lecture" me gonfle un peu. Pour l'essentiel, le goût de la lecture se communique de façon affective dès le plus jeune âge, le plus souvent dans la sphère familiale, même s'il arrive épisodiquement que l'école tienne ce rôle. Ça tient alors à une relation particulière avec l'instit' ou le prof'. Mais à l'école, dès le fondamental, la lecture est un devoir avec à la clé résumé, questionnaires et dissection syntaxiques, lexicales et grammaticales. Le but de l'opération n'est pas de donner le goût de la lecture, mais d'obéir au Programme de français.
Comme de nombreux apprentissages, bons ou mauvais, la lecture se fait par imitation. Il ne suffit donc pas de lire des histoires à son enfant et d'ainsi partager un moment de complicité, même si cela compte pour beaucoup, il faut encore que l'enfant voie des adultes lire pour leur plaisir personnel.
Dans mon quartier de travail, les parents des enfants dont je m'occupe sont souvent peu scolarisés, même dans leur langue d'origine et la lecture ne tient pas culturellement une grande place. L'illettrisme, comme la pauvreté (ou le dé-goût de la lecture !) est une maladie héréditaire.
Concernant l'influence des écrans, elle ne se limite pas à la lecture, elle agit aussi sur les rapports sociaux. J'avais un jour (il y a plus de 10 ans) été très choqué de voir cette maman dans le tram, les yeux rivés sur son gsm et ignorant l'enfant qui la regardait depuis sa poussette, là où quelques années plus tôt, dénuée de son écran, elle lui aurait sans doute fait des grimaces ou des câlins. Je n'ai par contre jamais vu un parent se plonger dans son bouquin face à son enfant éveillé.

Radetsky 09/07/2021 @ 19:16:14
.......
Comme de nombreux apprentissages, bons ou mauvais, la lecture se fait par imitation. Il ne suffit donc pas de lire des histoires à son enfant et d'ainsi partager un moment de complicité, même si cela compte pour beaucoup, il faut encore que l'enfant voie des adultes lire pour leur plaisir personnel.....

Bien vu, bien dit, Mino. Le premier apprentissage, chez tous les animaux développés, se fait par mimétisme. Ce qu'on y acquiert est imprimé pour toujours dans le comportement. Il faut juste apprendre aussi à contrôler ce réflexe mimétique en grandissant. Ce qui est loin d'être gagné d'avance. Faute de quoi on ne fait que copier les comportements de son groupe, famille, parti, tribu, clan, etc. etc.

Frunny
avatar 09/07/2021 @ 19:25:08
Quoi ? On m’aurait menti ? 94% de réussite au Bac et ça ne lit pas ?
Je suis sur le cul…

Shelton
avatar 09/07/2021 @ 19:31:13
D'ailleurs même les ventes de manga, massivement lus dans les transports en commun japonais, se sont effondrées je crois à cause des nouvelles pratiques (smartphone).


Mais lire un manga sur écran reste de la lecture de manga (est-ce une lecture, la question mériterait un long développement).

Beaucoup lisent quand même mais sur écran et pas que des mangas. C'est effectivement un changement mais l'humanité n'a pas toujours lu, le livre papier est finalement récent à l'échelle de l'humanité...

Après, il faut distinguer les questions : lecture, diffusion du livre, réseaux de librairies, Amazon...

Enfin, je pense que je vais continuer à lire, sans me poser trop de questions et je vous l'avoue, j'ai des petits-enfants qui lisent... et qui m'appellent "Papy bibliothèque"... sans compter une fille autrice !

Alors chez nous la petite-fille espérance est encore en vie !!!

Saint Jean-Baptiste 10/07/2021 @ 11:05:25
94% de réussite au Bac
L’enseignement est une vocation et la qualité des enseignants ne doit pas être remise en cause.
Mais l’objectif actuel imposé par le politique aux enseignants c’est : la réussite pour tous. Ce qui veut dire : nivellement.
Mais il s’agit certainement d’un nivellement par le haut, n’est-il pas…

Septularisen

avatar 12/07/2021 @ 20:07:35
Quoi ? On m’aurait menti ? 94% de réussite au Bac et ça ne lit pas ?
Je suis sur le cul…


Si, si ils lisent... les critiques et les résumés su CL...
Il n' y a qu'a regarder comment le nombre de vues augmente sur CL l'année ou le livre est au programme du BAC! ;~DD)))

Septularisen

avatar 12/07/2021 @ 20:15:28

Je vais voir sur Youtube Laure Kim, Nabolita, Margorito


Je ne connais pas la troisième, mais l'amateurisme des deux premières me fait toujours rire!

Laure KIM : "Je ne connais rien au théâtre, mais je vais quand même vous en faire la critique"!..
ou encore "William FAULKNER a eu le prix Nobel dans les années 40 ou 50... Je crois"!..

Nabolita : "J.M. MACHADO De ASSIS est un auteur brésilien qui a eu le Prix Nobel"...

Euh... Non Mademoiselle, désolé mais malheureusement aucun auteur brésilien n'a été lauréat du Nobel...
C'est même une des choses que je reproche le plus a l'Académie Suédoise!..

Shelton
avatar 13/07/2021 @ 08:35:42
Sur la lecture de la bande dessinée et des mangas, il faut lire le rapport du CNL qui dresse un tableau de l'évolution entre 2010 et 2020... Passionnant mais pas toujours optimiste !

Hiram33

avatar 13/07/2021 @ 17:46:19
Dans Communication et Langage (n° 159, 2009), l'historien de l'édition analyse ce sujet :


Dans une conférence donnée en 1998 à Venise, dans le cadre d’un séminaire adressé à de jeunes libraires italiens, Umberto Eco déclara : « Je suis poursuivi depuis quelques années par une question que l’on me pose dans chaque interview ou dans chaque colloque où je suis invité : que pensez-vous de la mort du livre ? Je ne supporte plus la question. Mais comme je commence à avoir quelque idée à propos de ma propre mort, je comprends bien que cette interrogation répétée traduit une véritable et profonde inquiétude ».

2
Il nous faut donc la considérer avec sérieux et ne pas nous contenter de constater que jamais, dans toute l’histoire de l’humanité, n’ont été produits et vendus autant de livres. Les évidences statistiques ne suffisent pas à apaiser les anxiétés face à la possible disparition du livre tel que nous le connaissons, et, du coup, l’effacement des manières de lire que nous associons spontanément avec ce « cube de papier composé de feuillets » comme dit Borges.
La double nature du livre

3
Mais, avant de déplorer sa mort annoncée, il est peut-être avisé de poser la question : qu’est-ce qu’un livre ? En 1796, dans la Doctrine du Droit de la Métaphysique des moeurs, Kant formulait déjà l’interrogation. Sa réponse distingue entre les deux natures du livre. D’un côté, le livre est un opus mechanicum, le produit d’un art mécanique et un objet matériel (körperlich) qui peut être légitimement reproduit par quiconque en a acquis la possession. Mais, d’un autre côté, un livre est un discours adressé au public par un écrivain ou par l’éditeur qui a reçu le pouvoir (mandatum) de parler au nom de l’auteur. Toute reproduction d’un texte faite sans ce mandat est donc illégitime et doit être tenue pour une contrefaçon qui viole le « droit personnel » de l’auteur. Le contrefacteur se « rend coupable d’un dommage envers l’éditeur désigné par l’auteur (et par suite seul légitime), en ce qu’il s’approprie le profit que celui-ci pouvait et voulait retirer de l’exercice de son droit ». De là, la conclusion qui devrait avoir force de loi : « la contrefaçon des livres est donc interdite par le droit » [2]
[2]Kant, « Qu’est qu’un livre ? », dans Emmanuel Kant, Qu’est-ce…
. Le livre est, tout ensemble, un bien matériel dont l’acheteur devient le légitime propriétaire et un discours dont l’auteur conserve la propriété « nonobstant la reproduction » comme écrit Kant. En ce second sens, le livre entendu comme œuvre transcende toutes ses possibles matérialisations. Selon Blackstone, avocat de la cause des libraires londoniens menacés en 1710 dans leur revendication d’un copyright perpétuel et patrimonial sur les titres qu’ils ont acquis par une nouvelle législation, « l’identité d’une composition littéraire réside entièrement dans le sentiment et le langage ; les mêmes conceptions, habillées dans les mêmes mots, constituent nécessairement une même composition : et quelle que soit la modalité choisie pour transmettre une telle composition à l’oreille ou à l’œil, par la récitation, l’écriture, ou l’imprimé, quel que soit le nombre de ses exemplaires ou à quelque moment que ce soit, c’est toujours la même œuvre de l’auteur qui est ainsi transmise ; et personne ne peut avoir le droit de la transmettre ou transférer sans son consentement, soit tacite soit expressément donné » [3]
[3]William Blackstone, Commentaries on the Laws of England,…
.

4
Lors du débat mené en Allemagne à la fin du xviiie siècle sur la contrefaçon des livres, où elle était particulièrement répandue du fait de l’émiettement des souverainetés étatiques, Fichte énonce de manière neuve cet apparent paradoxe. À la dichotomie classique entre les deux natures, corporelle et spirituelle, du livre, qui sépare le texte de l’objet, il en ajoute une seconde qui distingue dans toute œuvre les idées qu’elle exprime et la forme qui leur est donnée par l’écriture. Les idées sont universelles par leur nature, leur destination et leur utilité ; elles ne peuvent donc justifier aucune appropriation personnelle. Celle-ci est légitime seulement parce que « chacun a son propre cours d’idées, sa façon particulière de se faire des concepts et de les lier les uns aux autres ». « Comme des idées pures sans images sensibles ne se laissent non seulement pas penser, d’autant moins présenter à d’autres, il faut bien que tout écrivain donne à ses pensées une certaine forme, et il ne peut leur en donner aucune autre que la sienne propre, car il n’en a pas d’autres » ; de là, il découle que « personne ne peut s’approprier ses pensées sans en changer la forme. Aussi celle-ci demeure-t-elle pour toujours sa propriété exclusive ». La forme textuelle est l’unique mais puissante justification de l’appropriation singulière des idées communes telles que les transmettent les objets imprimés [4]
[4]Johann Gottlieb Fichte, Beweis der Unrechtmässigkeit der…
. Une telle propriété a un caractère tout à fait particulier puisque, étant inaliénable, elle demeure indisponible, intransmissible, et celui qui l’acquiert (par exemple un libraire) ne peut en être que l’usufruitier ou le représentant, obligé par toute une série de contraintes – ainsi la limitation du tirage de chaque édition ou le paiement d’un droit pour toute réédition. Les distinctions conceptuelles construites par Fichte doivent donc permettre de protéger les éditeurs contre les contrefaçons sans entamer en rien la propriété souveraine et permanente des auteurs sur leurs œuvres. Ainsi, paradoxalement, pour que les textes puissent être soumis au régime de propriété qui était celui des choses, il faut qu’ils soient conceptuellement détachés de toute matérialité particulière.

5
Pour Diderot, c’est parce que chaque œuvre exprime, d’une manière irréductiblement singulière, les pensées ou les sentiments de son auteur, qu’elle est sa légitime propriété. Il écrit dans son mémoire : « Quel est le bien qui puisse appartenir à un homme, si un ouvrage d’esprit, le fruit unique de son éducation, de ses études, de ses veilles, de son temps, de ses recherches, de ses observations ; si les plus belles heures, les plus beaux moments de sa vie ; si ses propres pensées, les sentiments de son cœur ; la portion de lui-même la plus précieuse, celle qui ne périt point ; celle qui l’immortalise, ne lui appartient pas ? » [5]
[5]Denis Diderot, « Lettre sur le commerce de la librairie », dans…

6
Avant les formulations philosophiques et juridiques du xviiie siècle, c’est dans le recours aux métaphores que pouvait être énoncée la double nature du livre. Alonso Víctor de Paredes, imprimeur à Madrid et Séville et auteur du premier manuel sur l’art d’imprimer en langue vulgaire, intitulé Institución del Arte de la Imprenta y Reglas generales para los componedores, composé autour de 1680, exprime avec force et subtilité la double nature du livre, comme objet et comme œuvre. [6]
[6]Alonso Víctor de Paredes, Institución y Origen del Arte de la…
Il inverse la métaphore classique qui décrit les corps et les visages comme des livres, et tient le livre pour une créature humaine parce que, comme l’homme, il a un corps et une âme : « J’assimile un livre à la fabrication d’un homme, qui a une âme rationnelle, avec laquelle Notre Seigneur l’a créé avec toutes les grâces que sa Majesté Divine a voulu lui donner ; et avec la même toute-puissance il a formé son corps élégant, beau et harmonieux ».

7
Si le livre peut être comparé à l’homme, c’est parce que Dieu a créé la créature humaine de la même manière que l’est un ouvrage qui sort des presses. Dans un mémoire publié en 1675 pour justifier les immunités fiscales des imprimeurs madrilènes, un avocat, Melchor de Cabrera, a donné sa forme la plus élaborée à la comparaison en dressant l’inventaire des six livres écrits par Dieu. [7]
[7]Melchor de Cabrera Nuñez de Guzman, Discurso legal, histórico y…
Les cinq premiers sont le Ciel étoilé, comparé à un immense parchemin dont les astres sont l’alphabet ; le Monde, qui est la somme et la carte de l’entière Création ; la Vie, identifié à un registre contenant les noms de tous les élus ; le Christ lui-même, qui est à la fois exemplum et exemplar, exemple proposé à tous les hommes et exemplaire de référence pour l’humanité ; la Vierge, enfin, le premier de tous les livres, dont la création dans l’Esprit de Dieu a préexisté à celle du Monde et des siècles. Parmi les livres de Dieu, que Cabrera réfère à l’un ou l’autre des objets de la culture écrite de son temps, l’homme fait exception car il résulte du travail de l’imprimerie : « Dieu mit sur la presse son image et empreinte, pour que la copie sortît conformément à la forme qu’elle devait avoir […] et il voulut en même temps être réjoui par les copies si nombreuses et si variées de son mystérieux original ».

8
Paredes reprend la même image du livre comparée à la créature humaine. Mais, pour lui, l’âme du livre n’est pas seulement le texte tel qu’il a été composé, dicté, imaginé par son créateur. Elle est ce texte donné dans une disposition adéquate, « una acertada disposición » : « un livre parfaitement achevé consiste en une bonne doctrine, présentée comme il le faut grâce à l’imprimeur et au correcteur, c’est cela que je tiens pour l’âme du livre ; et c’est une bonne impression sur la presse, propre et soignée, qui fait que je peux le comparer à un corps gracieux et élégant ». Si le corps du livre est le résultat du travail des pressiers, son âme n’est pas façonnée seulement par l’auteur, mais elle reçoit sa forme de tous ceux, maître imprimeur, compositeurs et correcteurs, qui prennent soin de la ponctuation, de l’orthographe et de la mise en page. Paredes récuse ainsi par avance toute séparation entre la substance essentielle de l’œuvre, tenue pour toujours identique à elle-même, quelle que soit sa forme, et les variations accidentelles du texte, qui résultent des opérations dans l’atelier et ont été souvent considérées comme sans importance pour sa signification. Homme de l’art, Paredes refuse une semblable dichotomie entre « substantives » et « accidentals », pour reprendre les termes de la bibliographie matérielle, entre le texte en son immatérialité et les altérations infligées par les préférences, les habitudes ou les erreurs de ceux qui l’ont composé et corrigé. Pour lui sont inséparables la matérialité du texte de la textualité du livre.

9
Une même tension entre immatérialité de l’œuvre et matérialité du texte caractérise les relations des lecteurs avec les livres qu’ils s’approprient – même lorsqu’ils ne sont ni critiques, ni éditeurs. Dans une conférence, prononcée en 1978, « El libro », Borges déclare : « J’ai pensé un jour écrire une histoire du livre ». Mais, immédiatement, il sépare radicalement ce projet d’ « histoire du livre » de tout intérêt pour les formes matérielles des objets écrits : « Je ne m’intéresse pas à l’aspect physique des livres (surtout pas aux livres des bibliophiles qui sont habituellement démesurés) mais aux diverses façons dont on a considéré le livre. » [8]
[8]Jorge Luis Borges, « El libro », in Borges oral, Madrid,…
Pour lui, les livres qui constituent le patrimoine partagé de l’humanité sont tout à fait irréductibles à la série des objets qui les ont transmis à leurs lecteurs - ou auditeurs. Un Borges « platonicien », donc.

10
Et pourtant. Lorsque, dans le fragment d’autobiographie qu’il a dicté à Norman Thomas di Giovanni, le même Borges évoque sa rencontre avec un des livres de sa vie, Don Quichotte, c’est l’objet qui, d’abord, revient à sa mémoire : « Je me souviens encore de ces reliures rouges avec les titres dorés de l’édition Garnier. Il vint un jour où la bibliothèque de mon père fut dispersée et quand je lus Don Quichotte dans une autre édition, j’eus le sentiment que ce n’était pas le vrai Don Quichotte. Plus tard, un ami me procura l’édition Garnier avec les mêmes gravures, les mêmes notes en bas de page et les mêmes errata. Toutes ces choses pour moi faisaient partie du livre ; c’était pour moi le vrai Don Quichotte. » [9]
[9]Jorge Luis Borges con Norman Thomas di Giovanni, Autobiografía…
À jamais, l’histoire écrite par Cervantes sera pour Borges cet exemplaire de l’une des éditions que les Garnier exportaient dans le monde de langue espagnole et qui fut la lecture d’un lecteur encore enfant. Le principe platonicien pèse peu devant le retour pragmatique du souvenir.
Écrits d’écran : le défi digital

11
Cette perception qui ne sépare pas le texte du livre, mais d’un livre dont la matérialité est très différente de celles des rouleaux des Anciens ou des livres des Chinois, conduit à réfléchir sur le défi le plus fondamental lancé par la textualité digitale au livre tel qu’il apparut avec le codex et tel qu’il perdure jusqu’à aujourd’hui. Dans la culture écrite telle que nous la connaissons, cet ordre est établi à partir de la relation entre des objets (la lettre, le livre, le journal, la revue, l’affiche, le formulaire, etc.), des catégories de textes et des usages de l’écrit. Ce lien qui associe types d’objets, classes de textes et formes de lecture est le résultat d’une sédimentation historique de très longue durée qui renvoie à trois innovations fondamentales.

12
La première apparaît aux premiers siècles de l’ère chrétienne, lorsque le codex tel que nous le connaissons encore, c’est-à-dire un livre constitué par des feuillets et des pages rassemblés dans une même reliure ou couverture, remplace le rouleau ou volumen, d’une structure toute différente, qui était le livre des lecteurs grecs et romains [10]
[10]Colin H. Roberts and T.C. Skeat, The Birth of the Codex,…
.

13
La seconde rupture se situe aux xive et xve siècles, avant l’invention de Gutenberg, et consiste en l’apparition du libro unitario, selon l’expression d’Armando Petrucci. Celui-ci rassemble dans une même reliure les œuvres d’un seul auteur, voire, même, une seule œuvre [11]
[11]Armando Petrucci, « From the Unitary Book to Miscellany », in…
. Si cette réalité matérielle était la règle pour les corpus juridiques, les œuvres canoniques de la tradition chrétienne ou les classiques de l’Antiquité, il n’en allait pas de même pour les textes en vulgaire qui, en général, se trouvaient réunis dans des miscellanées composées par des œuvres de dates, de genres ou de langues différents. C’est autour de figures comme Pétrarque ou Boccace, Christine de Pisan ou René d’Anjou, que naît, pour les écrivains « modernes », le livre « unitaire », c’est-à-dire un livre où se noue le lien entre l’objet matériel, l’œuvre (au sens d’une œuvre particulière ou d’une série d’œuvres) et l’auteur.

14
Le troisième héritage est, évidemment, l’invention de la presse à imprimer et des caractères mobiles à la mi-xve siècle. À partir de ce moment-là, sans qu’elle fasse disparaître, tant s’en faut, la publication manuscrite, l’imprimerie devient la technique la plus utilisée pour la reproduction de l’écrit et la production des livres [12]
[12]Elizabeth Eisenstein, The Printing Press as an Agent of Change.…
.

15
Nous sommes les héritiers de ces trois histoires. D’abord, pour la définition du livre qui est pour nous, tout à la fois, un objet différent des autres objets de la culture écrite et une œuvre intellectuelle ou esthétique dotée d’une identité et d’une cohérence assignées à son auteur. Ensuite, et plus largement, pour une perception de la culture écrite fondée sur les distinctions immédiates, matérielles, entre des objets qui portent des genres textuels différents et qui impliquent des usages différents.

16
C’est un tel ordre des discours que met en question la textualité électronique. En effet, c’est le même support, en l’occurrence l’écran de l’ordinateur, qui fait apparaître face au lecteur les différents types de textes qui, dans le monde de la culture manuscrite et a fortiori de la culture imprimée, étaient distribués entre des objets distincts. Tous les textes, quel qu’ils soient, sont produits ou reçus sur un même support et dans des formes très semblables, généralement décidées par le lecteur lui-même. Est ainsi créée une continuité textuelle qui ne différencie plus les genres à partir de leur inscription matérielle. De ce fait, c’est la perception des œuvres comme œuvres qui devient plus difficile. La lecture face à l’écran est généralement une lecture discontinue, qui cherche à partir de mots-clefs ou de rubriques thématiques le fragment dont elle veut se saisir : un article dans un périodique électronique, un passage dans un livre, une information dans un site, et ce, sans que nécessairement doive être connue, dans son identité et sa cohérence propres, la totalité textuelle dont ce fragment est extrait. Dans un certain sens, on peut dire que dans le monde numérique, toutes les entités textuelles sont comme des banques de données qui offrent des unités dont la lecture ne suppose d’aucune manière la perception globale de l’œuvre ou du corpus d’où ils proviennent.

17
En 1978, Borges affirmait : « On parle de la disparition du livre, je crois que c’est impossible. » [13]
[13]Jorge Luis Borges, « El libro », in Borges oral, Madrid,…
Il n’avait pas complètement raison puisque dans son pays, depuis deux années, des livres étaient brûlés ou détruits, et que des auteurs et des éditeurs disparaissaient, assassinés. Mais, évidemment, son diagnostic exprimait autre chose : la confiance dans la survie du livre et de l’écrit face aux nouveaux moyens de communication du son et de l’image, le cinéma, la télévision, le disque. Peut-on maintenir aujourd’hui semblable certitude ? La question est si récurrente qu’elle est maintenant usée jusqu’à la corde. Et, de plus, c’est sans doute une question mal posée puisque notre présent est caractérisé, avant tout, par l’apparition d’une nouvelle technique et modalité d’inscription, de diffusion et d’appropriation des textes. Les écrans du présent ne sont pas des écrans d’images qu’il faudrait opposer à la culture de l’écrit. Ce sont des écrans d’écrits. Certes, ils accueillent les images, fixes ou mobiles, les sons, les paroles, les musiques, mais, surtout, ils transmettent, multiplient, peut-être jusqu’à un excès incontrôlable, la culture écrite.

18
Et, pourtant, nous ne savons guère comment ce nouveau support proposé aux lecteurs transforme leurs pratiques. Nous savons bien, par exemple, que la lecture du volumen dans l’Antiquité supposait une lecture continue, mobilisait tout le corps puisque le lecteur devait tenir le rouleau à deux mains et interdisait d’écrire durant la lecture. Nous savons aussi que le codex, manuscrit puis imprimé, a permis des gestes inédits. Le lecteur peut feuilleter le livre, désormais organisé à partir de cahiers, feuillets et pages. Le codex peut être paginé et indexé, ce qui permet de citer précisément et retrouver aisément tel ou tel passage. De ce fait, la lecture qu’il favorise est une lecture fragmentée [14]
[14]Peter Stallybrass, « Books and Scrolls:. Navigating the…
, mais une lecture fragmentée dans laquelle la perception globale de l’œuvre, imposée par la matérialité même de l’objet, est toujours présente. Comment caractériser la lecture du texte électronique ?

19
On peut formuler deux observations, empruntées à Antonio Rodríguez de las Heras [15]
[15]Antonio R. de las Heras, Navegar por la información, Madrid,…
. qui nous mettent à distance de nos habitudes héritées ou de nos gestes spontanés. Il ne faut pas considérer l’écran comme une page, mais comme un espace à trois dimensions, doté de largeur, hauteur et profondeur, comme si les textes arrivaient la surface de l’écran à partir du fond de l’appareil. En conséquence, dans l’espace numérique, ce n’est pas l’objet qui est plié, comme dans le cas de la feuille du livre manuscrit ou imprimé, mais le texte lui-même. La lecture consiste donc à « déplier » cette textualité mobile et infinie. Une telle lecture constitue sur l’écran des unités textuelles éphémères, multiples et singulières, composées à la volonté du lecteur, qui ne sont en rien des pages définies une fois pour toutes.

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L’image de la navigation sur le réseau, devenue si familière, indique avec acuité les caractéristiques d’une nouvelle manière de lire, segmentée, fragmentée, discontinue. Si elle convient aux textes de nature encyclopédique, fragmentés par leur construction même, elle demeure perturbée ou désorientée par les genres dont l’appropriation suppose une lecture continue, une familiarité prolongée avec l’œuvre et la perception du texte comme création originale et cohérente. Les succès des encyclopédies électroniques comme les déboires des éditeurs pionniers dans l’édition électronique des essais ou des romans attestent clairement le lien qui associe certains modes de lecture avec certains genres et, également, la plus ou moins grande capacité du texte électronique à satisfaire ou transformer ces habitudes héritées. Un des grands enjeux de l’avenir réside dans la possibilité ou non de la textualité digitale à surmonter la tendance à la fragmentation qui caractérise, à la fois, le support électronique et les modes de lecture qu’il propose.
Des livres de sable ?

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Un tel défi est particulièrement aigu pour les plus jeunes générations de lecteurs qui (au moins dans les milieux suffisamment aisés et dans les pays les plus développés) sont entrés dans la culture écrite face à l’écran de l’ordinateur. Dans leur cas, une pratique de lecture très immédiatement et très spontanément habituée à la fragmentation des textes, quels qu’ils soient, heurte de front les catégories forgées à partir du xviiie siècle pour définir les œuvres à partir de leur singularité et de leur totalité. L’enjeu n’est pas mince puisqu’en dépend soit la possible introduction dans la textualité digitale de dispositifs capables de perpétuer les critères classiques d’identification des œuvres, qui sont ceux-là mêmes qui fondent la propriété littéraire, soit l’abandon de ces critères au profit d’une nouvelle manière de percevoir et penser l’écrit, tenu pour un discours continu dans lequel le lecteur découpe et recompose les textes en toute liberté [16]
[16]Milad Doueihi, La Grande conversion numérique, Paris, Editions…
.

22
La textualité électronique sera-t-elle un nouveau et monstrueux livre de sable, dont le nombre de pages était infini, que personne ne pouvait lire et qui dut être enterré dans les magasins de la Bibliothèque nationale de la rue Mexico ? [17]
[17]Jorge Luis Borges, « El libro de arena », in El libro de arena,…
Ou bien, permettra-t-elle, grâce aux promesses qu’elle offre, d’enrichir le dialogue que chaque livre engage avec son lecteur ? [18]
[18]Jorge Luis Borges, « Nota sobre (hacia) Bernard Shaw », in…
Je ne sais. Qui le sait ? La seule compétence des historiens, piètres prophètes de l’avenir, est de rappeler que, dans l’histoire de longue durée de la culture écrite, chaque mutation (l’apparition du codex, l’invention de l’imprimerie, les révolutions de la lecture) a toujours produit une coexistence originale entre les gestes du passé et les nouvelles techniques. À chaque fois, la culture écrite a conféré des rôles inédits aux objets et pratiques anciennes : le rouleau au temps du codex, la publication manuscrite à l’âge de l’imprimé.

23
C’est une telle réorganisation de la culture de l’écrit que la révolution numérique impose. Dans le nouvel ordre des discours qui se construit, je ne pense pas que le livre, dans les deux sens retenus, va mourir brutalement. Il ne mourra pas comme discours, comme œuvre dont l’existence textuelle n’est pas attachée à une forme matérielle particulière. Les poèmes homériques ou les dialogues de Platon ont été composés et lus dans le monde des rouleaux, ils ont été copiés dans des livres manuscrits puis ont circulé dans des éditions imprimées et, aujourd’hui, ils peuvent être lus dans une forme électronique. Ce qui, néanmoins, peut faire question est la possible discordance entre les manières de lire associées à l’écran et les catégories qui définissent les œuvres, ou les livres comme œuvres. En tant que « cube de papier composé de feuillets », le livre demeure aujourd’hui (et, sans doute, pour quelque temps encore) l’objet écrit le plus adéquat pour rendre perceptibles ces catégories, et pour répondre aux attentes et habitudes des lecteurs qui entament un dialogue intense et profond avec les œuvres qui les font penser, ou rêver.
Notes

[1]
Cet article est tiré d’une conférence prononcée par Roger Chartier dans le cadre des « Conférences du GRIPIC », au CELSA - Université Paris-Sorbonne, le 7 janvier 2009.
[2]
Kant, « Qu’est qu’un livre ? », dans Emmanuel Kant, Qu’est-ce qu’un livre ? Textes de Kant et de Fichte, Jocelyn Benoist (ed.), Paris, Presses Universitaires de France, 1995, pp. 133-135.
[3]
William Blackstone, Commentaries on the Laws of England, Oxford, 1765-1769, cité par Mark Rose, Authors and Owners. The Invention of Copyright, Cambridge, Mass., et Londres, Harvard University Press, 1993, p. 89-90.
[4]
Johann Gottlieb Fichte, Beweis der Unrechtmässigkeit der Büchernadrucks. Ein Räsonnement und eine Parabel, 1791 [traduction française Fichte, « Preuve de l’illégitimité de la reproduction des livres, un raisonnement et une parabole », dans Emmanuel Kant, Qu’est-ce qu’un livre ? Textes de Kant et de Fichte, op. cit., pp. 139-170, citations, pp. 145-146. Ce texte est commenté par Martha Woodmansee, The Author, Art, and the Market. Rereading the History of Aesthetics, New York, Columbia University Press, 1994, pp. 51-53 et par Bernard Edelman, Le Sacre de l’auteur, Paris, Le Seuil, pp. 324-336.
[5]
Denis Diderot, « Lettre sur le commerce de la librairie », dans Oeuvres complètes, t. VIII, John Lough et Jacques Proust (eds.), Paris, Hermann, 1976, pp. 465-567 (citation, pp. 509-510).
[6]
Alonso Víctor de Paredes, Institución y Origen del Arte de la Imprenta y Reglas generales para los componedores, Jaime Moll (ed.), Madrid, El Crotalón, 1984 (reed. Madrid, Calambur, Biblioteca Litterae, 2002, avec une « Nueva noticia editorial » de Víctor Infantes).
[7]
Melchor de Cabrera Nuñez de Guzman, Discurso legal, histórico y político en prueba del origen, progressos, utilidad, nobleza y excelencias del Arte de la Imprenta ; y de que se le deben (y a sus Artifices) todas las Honras, Exempciones, Inmunidades, Franquezas y Privilegios de Arte Liberal, por ser, como es, Arte de las Artes, Madrid, 1675.
[8]
Jorge Luis Borges, « El libro », in Borges oral, Madrid, Alianza Editorial, 1998, pp. 9-23 (citation p. 10) [tr. fr. : Jorge Luis Borges, Conférences, Paris, Gallimard, 1985, pp. 147-158].
[9]
Jorge Luis Borges con Norman Thomas di Giovanni, Autobiografía 1899-1970, Buenos Aires, El Ateneo, 1999, p. 26 [tr. fr. : Jorge Luis Borges, « Essai d’autobiographie », in Livre de préfaces suivi de Essai d’autobiographie, Paris, Gallimard, 1980, pp. 276-277].
[10]
Colin H. Roberts and T.C. Skeat, The Birth of the Codex, Londres, Published for the British Academy by Oxford University Press, 1987; Les débuts du codex, Alain Blanchard (ed.), Turnhout, Brepols, 1989; et les deux essais de Guglielmo Cavallo, « Testo, libro, lettura », in Lo spazio letterario di Roma antica, Edited by Guglielmo Cavallo, Paolo Fedeli and Andrea Giardino (eds.), Rome, Salerno editrice, t. II, pp. 307-341, et « Libro e cultura scriitta », in Storia di Roma, Aldo Schiavone (ed.), Turin, Einaudi, t. IV, 1989, pp. 693-734.
[11]
Armando Petrucci, « From the Unitary Book to Miscellany », in Armando Petrucci, Writers and Readers in Medieval Italy. Studies in the History of Written Culture, Charles M. Radding (ed.), New Haven and London, Yale University press, 1995, pp. 1-18.
[12]
Elizabeth Eisenstein, The Printing Press as an Agent of Change. Communications and Cultural Transformations in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1979 et The Printing Revolution in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1983 ; Adrian Johns, The Nature of the Book. Print and Knowledge in the Making, Chicago et Londres, The University of Chicago Press, 1998.
[13]
Jorge Luis Borges, « El libro », in Borges oral, Madrid, Alianza Editorial, 1998, pp. 9-23 (citation pp. 21-22).
[14]
Peter Stallybrass, « Books and Scrolls:. Navigating the Bible », in Books and Readers in Early Modern England, Jennifer Andersen and Elizabeth Sauer (eds.), Philadelphia, The University of Pennsylvania Press, 2002, pp. 42-79.
[15]
Antonio R. de las Heras, Navegar por la información, Madrid, Los Libros de Fundesco, 1991, pp. 81-164.
[16]
Milad Doueihi, La Grande conversion numérique, Paris, Editions du Seuil, 2008.
[17]
Jorge Luis Borges, « El libro de arena », in El libro de arena, Madrid, Alianza Editorial, 1997, pp. 130-137 [tr. fr., « Le livre de sable », in Le livre de sable, Paris, 1983],
[18]
Jorge Luis Borges, « Nota sobre (hacia) Bernard Shaw », in Otras inquisiciones, op. cit., pp. 237-242 tr. fr. « Note sur (à la recherche de) Bernard Shaw », in Autres inquisitions, Paris, Gallimard, 1986, pp. 187-191].

Hiram33

avatar 13/07/2021 @ 18:09:39
Lombardo Philippe, Wolff Loup, « Cinquante ans de pratiques culturelles en France », Culture études, 2020/2 (n° 2), p. 1-92.

Synthèse : six grandes tendances

1
L’examen des informations recueillies lors des six éditions successives de l’enquête sur les pratiques culturelles, ainsi qu’une attention plus particulière portée aux dix dernières années font apparaître six tendances permettant de qualifier près d’un demi-siècle de culture en France. Ces principales tendances sont résumées ci-dessous puis analysées dans la suite de la publication.
Une place croissante de la culture dans le quotidien des Français

2
Dans la plupart des secteurs culturels, les séries historiques fournies par près de cinquante ans d’enquêtes sur les pratiques culturelles de la population confirment un développement et une diversification des pratiques quels que soient l’âge, le milieu social et le type de territoire.

3
Au-delà de l’écoute de télévision, très largement répandue au sein de la population, l’ensemble des pratiques audiovisuelles occupent une place centrale dans le quotidien des Français : la radio, mais également l’écoute de musique enregistrée, qui connaît un véritable essor au cours de la dernière décennie. Bien que la télévision et plus encore la radio soient toujours très présentes dans le quotidien des Français, elles connaissent malgré tout un léger recul dans la période récente, lié à une concurrence accrue des contenus numériques, en particulier pour les moins de 35 ans.

4
Ce succès des consommations audiovisuelles et numériques se combine à un développement de la fréquentation des lieux culturels. Les sorties au cinéma ou au spectacle, les visites de musées, d’expositions ou de monuments historiques sont de plus en plus fréquentes dans des catégories toujours plus diversifiées de publics.
L’essor considérable, en dix ans, des pratiques culturelles numériques

5
Au cours de ces dix dernières années, l’écoute de musique enregistrée est devenue une pratique courante au sein des 15 ans et plus, et cet essor doit beaucoup à la diffusion croissante des usages numériques au sein de la population. La diffusion des usages numériques favorise également la consultation de vidéos en ligne et celle des réseaux sociaux, deux pratiques qui, en dix ans, ont pris toute leur place dans le quotidien de nombreux Français, alors qu’elles étaient encore peu courantes en 2008.

6
Les jeux vidéo se sont quant à eux progressivement imposés au sein de la population française, touchant un public toujours plus large avec le vieillissement des premières générations de joueurs. Jouer à des jeux vidéo, écouter de la musique et consulter des vidéos en ligne sont désormais des pratiques majoritairement répandues chez les jeunes.
Des Français plus nombreux à fréquenter les lieux culturels, surtout après 40 ans

7
Les 15 ans et plus sont de plus en plus nombreux à sortir et à fréquenter au moins occasionnellement les lieux culturels, qu’il s’agisse de cinémas, de théâtres ou de lieux patrimoniaux. La diffusion de ces pratiques de sortie s’explique essentiellement par le développement des pratiques de visite et de sortie au-delà de 40 ans – les moins de 30 ans déclarant, tout au long de la période, des comportements de visite et de sortie en moyenne plus développés que leurs aînés. Alors que les sorties au cinéma étaient longtemps réservées aux plus jeunes, ces pratiques sont maintenant devenues courantes aux âges intermédiaires et surtout plus élevés.

8
De même, le spectacle vivant et les secteurs patrimoniaux (musées, monuments historiques) ont bénéficié de cette propension croissante des plus âgés aux sorties culturelles. Si la danse et le théâtre sont attractifs pour le jeune public, le spectacle vivant peine en particulier à attirer les 25-39 ans.
La réduction de certains écarts territoriaux et, dans certains cas, sociaux

9
La massification de certaines pratiques, notamment audiovisuelles, numériques ou encore cinématographiques, va de pair avec une réduction notable des écarts de pratiques qui pouvaient exister entre les populations des grandes villes et celles des milieux ruraux ou encore entre les milieux sociaux. Particulièrement frappante dans le cas de l’écoute de musique enregistrée, cette dynamique historique de réduction des écarts selon les catégories de population s’observe également pour la fréquentation des bibliothèques et des lieux de diffusion de spectacle vivant, en particulier de théâtre. Pourtant, malgré cette réduction significative, les écarts subsistent encore en 2018 : les plus diplômés et les catégories socioprofessionnelles supérieures continuent de fréquenter plus souvent ces équipements.

10
Si certaines dynamiques de réduction des écarts entre milieux sociaux apparaissent pour les pratiques les plus répandues (écoute de musique, fréquentation des cinémas) ou pour celles qui ont connu le développement spécifique d’un public jeune (bibliothèques), la fréquentation des lieux patrimoniaux (musées, expositions, monuments) connaît quant à elle un creusement de ces écarts : les plus diplômés et les catégories socioprofessionnelles supérieures sont aujourd’hui plus encore qu’hier susceptibles de s’adonner à ces visites.
La singularité culturelle des générations récentes

11
La dernière décennie a vu la montée en puissance des usages numériques qui se sont massifiés au sein de la population française. Cette nouvelle donne redéfinit profondément le paysage culturel des générations les plus récentes.

12
Phénomène émergent de la dernière décennie en tant que pratique de masse, les usages numériques sont ainsi devenus, en une décennie, majoritaires dans le quotidien des jeunes, qu’il s’agisse de l’écoute de musique en ligne, de la consultation quotidienne de vidéos en ligne, des réseaux sociaux ou encore des jeux vidéo. Pour cette génération, les contenus issus des médias traditionnels, en particulier de la radio, perdent de leur centralité tandis que les réseaux sociaux sont devenus une source d’information incontournable.

13
Cette irruption des usages numériques n’efface pour autant pas chez les jeunes leur goût des sorties : en 2018 comme auparavant, les jeunes (15-24 ans) fréquentent assidûment les lieux culturels, qu’il s’agisse des cinémas, des lieux de spectacle, des bibliothèques ou même des sites patrimoniaux (musée, exposition ou monument historique). En effet, bien que la hausse de fréquentation présentée plus haut soit essentiellement portée par les publics plus âgés, les niveaux de participation de la jeunesse à ces propositions culturelles sont structurellement élevés tout au long de la période.
Le déclin de pratiques associées à la génération du baby-boomers

14
Deuxième phénomène générationnel notable, après celui commenté ci-dessus pour les générations les plus récentes, la trajectoire culturelle des baby-boomers (nés entre 1945 et 1954) apparaît comme un facteur structurant du paysage culturel de ces cinquante dernières années.

15
Cette génération se distingue en effet par des comportements culturels particulièrement développés, à la différence des générations antérieures comme postérieures : ses membres ont en particulier beaucoup lu de livres et continuent de le faire, ils ont été nombreux à fréquenter les lieux culturels, notamment les plus patrimoniaux (musées et salles de concerts de musique classique notamment). Cette génération, qui par ailleurs compte particulièrement beaucoup d’individus, a ainsi longtemps contribué à garantir un public fourni pour ces formes culturelles. Mais avec le vieillissement de cette génération et la moindre fréquence de ces pratiques au sein des générations suivantes, la participation à certaines activités culturelles s’érode. Prolongeant un mouvement observé dès le début des années 1990, la lecture de livres diminue durablement au sein de la population ; les publics de la musique classique peinent à se renouveler et un risque d’affaissement de la fréquentation des sites patrimoniaux (musée, exposition ou monument historique) apparaît dans les dix dernières années.
Audiovisuel : entre permanence des médias anciens et émergence de nouveaux contenus

16
Largement inscrites dans le quotidien des Français, les pratiques audiovisuelles se caractérisent par de puissantes dynamiques générationnelles accompagnant presque systématiquement une écoute historiquement croissante de ces contenus.

17
Dans ce paysage en recomposition, notamment sous l’effet des technologies numériques, l’écoute quotidienne de musique connaît un essor remarquable dans les dix dernières années, se traduisant par une réduction significative des écarts de pratiques aussi bien en termes d’âge, de milieu social, que de territoire. Et si les technologies numériques ont favorisé une certaine convergence des pratiques en matière d’écoute musicale, les constats sont très différents pour la télévision, la radio et la consommation de vidéos en ligne, où de nouveaux clivages générationnels apparaissent entre 2008 et 2018 : alors que les générations plus anciennes conservent une grande proximité avec les médias traditionnels (télévision, radio), les générations récentes – tout en gardant un lien fort avec les contenus télévisuels, mais plus distendu avec la radio – développent de nouveaux usages en lien avec les plateformes numériques.
Essor et convergence de l’écoute quotidienne de musique au fil des générations

18
Parmi les pratiques culturelles observées depuis près d’un demi-siècle dans l’enquête (voir « Six éditions de l’enquête sur les pratiques culturelles, 1973-2018 », p. 5), l’écoute quotidienne de musique hors radio [1]
[1]Afin de conserver la comparabilité avec les informations…
est celle qui a connu le développement historique le plus dynamique, porté notamment par l’évolution des technologies : de l’arrivée des chaînes hi-fi dans les ménages aux baladeurs et jusqu’aux smartphones, désormais premier terminal culturel nomade. Huit personnes âgées de 15 ans et plus résidant en France métropolitaine sur dix ont écouté de la musique en 2018 : elles étaient 66 % en 1973 (tableau 1, p. 6). Et si la pratique occasionnelle d’écoute s’est développée, c’est en particulier l’écoute quotidienne qui connaît la progression la plus spectaculaire : en 2018, 57 % des personnes écoutent de la musique tous les jours ou presque – elles étaient 34 % en 2008 (un quasi-doublement en une décennie) et seulement 9 % en 1973.
Six éditions de l’enquête sur les pratiques culturelles, 1973-2018
Prolongeant une série initiée en 1973 pour sa première édition, puis poursuivie en 1981, 1988, 1997 et 2008, l’enquête sur les pratiques culturelles a été reconduite pour une sixième édition, dont le terrain s’est déroulé de février 2018 à mars 2019 [*]. Cette nouvelle édition bénéficie de moyens étendus : un doublement de la taille d’échantillon, qui est passé entre 2008 et 2018 de 5 000 à 9 200 répondants pour la France métropolitaine.
Dispositif d’observation unique en France abordant les pratiques culturelles de façon transversale sur l’ensemble du champ (spectacle vivant, industries culturelles, patrimoines…), au niveau national et avec une telle profondeur historique, cette série d’enquêtes sur les pratiques culturelles occupe une place centrale au sein des dispositifs mobilisés par l’administration française pour objectiver et penser son action. Depuis ses débuts, elle est en effet restée fidèle aux quatre objectifs aux origines de sa conception :

observer les comportements et pratiques culturels de la population résidant en France, en conservant une acception large de ce qui fait culture, pour mieux appréhender la diversité des rapports à la culture ;
fournir des analyses détaillées sur l’évolution de ces comportements et pratiques ;
adapter le questionnement aux comportements et pratiques émergents (notamment liés aux nouvelles technologies et nouveaux modes d’accès à la culture) ;
mieux identifier les facteurs d’accès ou au contraire de distanciation aux pratiques culturelles.

Le dispositif, bien qu’ayant connu quelques évolutions notables, est resté remarquablement stable depuis ses débuts aussi bien dans sa méthodologie que dans ses objectifs et dans la formulation des questions. Les éditions successives constituent ainsi un corpus de données cohérent, qui a pu donner lieu à des exploitations longitudinales (en coupes répétées et quasi-panels). Ce corpus permet aujourd’hui d’actualiser la connaissance des transformations structurelles qui touchent depuis près d’un demi-siècle les comportements pouvant être qualifiés de « culturels » au sens large – intégrant aussi bien la « culture cultivée » (lecture de livres, fréquentation des musées, théâtre, cinéma…) que des pratiques de loisir (jardinage, tricot, spectacles sportifs…).
Les analyses présentées ici s’inscrivent dans la lignée de deux publications parues en 2011 : Pratiques culturelles 1973-2008 – Dynamiques générationnelles et pesanteurs sociales (Olivier Donnat, CE-2011-7) et Pratiques culturelles 1973-2008 – Questions de mesure et d’interprétation des résultats (Olivier Donnat, CM-2011-2).
Tableau 1
Évolution des pratiques culturelles, 1973-20081,2,3
Tableau 1

Saint Jean-Baptiste 19/07/2021 @ 09:37:43
Mauriac disait déjà à ses compères : il ne faut pas se faire d’illusion, ceux qui nous lisent sont les adolescents et les femmes.

Mais il disait ça au temps où les femmes ne travaillaient pas. Elles restaient à la maison. Elles étaient maman, bonne d’enfants, éducatrice, couturière, femme de ménage, cuisinière, bonne-à-tout-faire, garde malade occasionnelle, aide médicale si besoin… C’était le temps où le frigo, le surgélateur, la machine à lessiver, le séchoir, le micro-ondes, le mix-soupe, la cafetière électrique et la plus belle invention du XXè siècle le lave-vaiselle, n’existaient pas.
Bref, elles ne travaillaient pas, elles restaient à la maison…

Sacré Mauriac, va !

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