Yali 08/09/2004 @ 00:02:20
   Pour mille mains
   Episode n°1 : Yali



   — Jim ?!
   — Quoi encore ?
   — Où on va ?
   Jim suspendit sa foulée, se retourna, baissa les yeux sur son compagnon de route et le toisa de la tête aux pieds. Putain, y avait pas à dire, le compagnon de route payait vraiment pas de mine. Même qu’ainsi, on aurait dit un oisillon perdu dans une salopette. Un oisillon blond, les cheveux en bataille, le regard aussi clair que celui d’un ange qu’aurait pas oublié d’être plus gentil que ses frangins, avec, sur la face, un sourire enfantin, innocent, charnel, le truc à vous ravager le cœur d’une maman, n’importe laquelle en trente secondes… Ça non, on pouvait pas dire, il payait pas de mine !
   — Où on va ? répéta l’oisillon.
   — Où on va, j’en sais foutrement rien, mais je sais où on est : dans la merde on est ! et elle sent salement mauvais ça tu peux me croire ! Putain, mais qu’est-ce qui t’a pris ? T’as pas oublié d’être dingue toi !
   — J’l’ai pas fait exprès !
   — Pas fait exprès ?! Tu lui colles un flingue sous le pif, tu la regardes pile dans les yeux et tu lui dis : « Si tu bouges beauté, je t’explose la tronche ! ». Elle tressaille, remue à peine, qu’est-ce que je dis : elle frémit genre allure lente « façon mime Marceau », et pan : tu lui exploses la tronche. « Pas fait exprès ?! » Bordel, y avait de la cervelle partout.
   « Et même pas quatorze ans le môme… » Jim soupira, enfourna les mains dans les poches de son blouson, pesta contre le froid, la vie, le reste, haussa les épaules et reprit sa marche, l’oisillon sur les talons.
   La route grimpait, se bordait de blanc amoncelé et souillé, de bois sombres et touffus, puis elle disparaissait quelque part dans le brouillard, vingt mètres plus loin. À chaque pas, toujours, vingt mètres plus loin.
   Pour trouver une bagnole, sûr que ça allait être coton ! Si tant est qu’il en passe jamais une dans ce foutu coin perdu.
   Dire qu’à cette heure-ci, ils auraient dû être loin, rouler tranquille, chauffage à fond et musique idem, et dans l’une de ces grosses berlines allemandes encore. L’une de ces machines silencieuses, discrètes, et qui vous transporte loin de tout, et vite. Discrète, pour peu bien sûr, que l’on n’ait pas fraîchement redécoré l’intérieur dans les tons cervelle, fragments d’os, sang, et que l’on n’ait pas un cadavre, la tête en bouillie, assis à la place du conducteur : conductrice en l’occurrence…
   « Tiens-moi ça deux minutes », il avait dit, en filant le flingue à l’oisillon.
   Il avait dans l’idée de fouiller le sac de la bonne femme, d’en récupérer le blé, son portable, de gentiment la prier de descendre et de l’abandonner là, au milieu de nulle part et point barre.
   « Merde ! Ça lui apprendra à faire confiance à un gosse dont on ne savait trop ce qui lui courait dans la caboche. »
   — Dis donc l’oisillon ?!
   — J’aime pas quand on m’appelle comme ça. Mon nom c’est Moineau…
   Jim se figea.
   — …pas l’Oisillon mais Moi-neau.
   — Ta gueule l’oisillon ! … j’entends un bruit de moteur et… Ouais, c’est ça, on dirait bien qu’il se ramène dans le coin.
   — M’en occupe !
   Jim esquissa un geste pour le retenir, mais déjà le môme était au centre de la route, jambes écartées, bras tendus et flingue en mains. En deux enjambées, il le rejoignit, le ceintura et le ramena sans ménagement sur l’accotement neigeux.
   — Putain, mais d’où tu le sors ce calibre ?
   — L’était dans la boîte à gants de la Mercedes avec…
— Oh bordel. …Bon, suffit les conneries pour aujourd’hui, range-moi ça, on va faire à ma manière.
   — Y avait aussi…
   — Écoute, on va se la jouer petit Poucet perdu sur le grand chemin de la vie. Tu te fous au milieu de la route, tu chiales comme si on venait de te becter tes miettes de pain, et… Et c’est bien le diable si le conducteur ne s’arrête pas. Et surtout, tu ne t’occupes de rien d’autre, de RIEN, compris ?!
   — Compris !
   L’oisillon fit comme Jim disait, tandis que lui se planquait derrière une congère. De là, il avait une vue imprenable : ça ne pouvait pas foirer, ça ne devait pas foirer. Puis, soudain, alors qu’une paire de phares jaunes naissait dans l’épais brouillard, Jim eut envie de précisions.
   — L’oisillon ?!
   — J’m’appelle Moineau.
   — Ouais, comme tu veux, y avait quoi d’autre dans la boîte à gants ?
   — Un truc de police… Un insigne que ça s’appelle, je crois…
   Un insigne ?!!! Bordel, manquait plus que ça !!! Et… Et rien, parce que quelque vingt mètres plus loin, surgissait de la purée blanche une camionnette bâchée. Plus le temps de réfléchir.

Olivier Michael Kim
08/09/2004 @ 00:17:38
J'ai lu d'une traite.

C'est le genre de début que j'aime.
C'est le genre d'histoire que j'aime.

Il y a de bons ingrédients :
du suspens,
des interrogrations,
des personnalités bien établies.

Un regret, tu aurais pu choisir un autre prénom que Jim. Ca fait anglais. J'aime la littérature anglo-saxonne. Mais pour la suite, des personnes vont peut-être se sentir obligé de voir l'histoire en Australie (ou USA, ou UK...).

Kilis 08/09/2004 @ 00:20:14
Très beau début de texte à mille pattes!
Bravo Yali, là les images on les voit, on a les sons, l'ambiance , le rythme de la marche, la température, l'odeur de la trouille et celle de la poisse, le goût du pas-de-chance mêlée à çui du sang... Merci.


On dirait le début d'un film, d'un road movie,
peut être un film de Manuel Poirier...
ça me fait penser aussi au livre de Williams "Fantasia chez les ploucs" ou alors à Steinbeck...

Olivier Michael Kim
08/09/2004 @ 00:24:38
Moi ca me rappelle "Bienvenue chez les Rozes" :

Deux mecs pas doués avec un flingue.
Il fuient.
L'un deux est adulte et plus malin.
Le plus jeune est gaffeur.
Tous les deux se disputent sur le chemin à cause du coup de feu tiré.
Il ont du quitté un moyen de transport pour continuer la cavale à pied.

Ca me rappelle bien "Bienvenue chez les Rozes"

Yali 08/09/2004 @ 00:46:19
Connais pas fantasia chez les ploucs, encore moins Bienvenue chez les Rozes…
Qu'importe : au boulot !

Felixlechat

avatar 08/09/2004 @ 00:48:32
Ton texte remplit mes sens d'allégresse. C'est chaud , il me fait beaucoup de bien: la franche camaraderie, l'amour d'autrui, les plaisirs de la vie... Tout est rose jusque là. Mais je pressens qu'un futur sordide attend les acteurs de ton songe.
Alice était rêvée par le Roi Rouge. Elle-même rêvait de lui. Quelqu'un la prévient que s'il se réveille, elle s'éteindra. Peut-elle empêcher le dormeur de se réveiller? Et tes personnages qui attendent dans la nuit, peuvent-ils influer
sur l'avenir que tu leur destines?

Monique 08/09/2004 @ 07:44:03
Yali, 00h02mn, y a déjà du laisser-aller...

Monique 08/09/2004 @ 07:57:43
Début de récit très vivant, oui, pourtant on parle d'une morte, et comment !
Un début par dialogue, c'est délicat, ici c'était ce qu'il fallait faire au vu de la vitesse à laquelle se déroule l'épisode. Personnages bien campés, enfin, un : l'oisillon, parce que l'autre, à part qu'il est plus grand que Moineau, on ne sait rien.
Pour ce qui est des personnalités, ça y est, elles sont également en place.
Et le décor aussi est bien rendu, ce paysage calme d'hiver humide aux congères sales et au brouillard épais. J'ai bien aimé : "quelque part dans le brouillard, vingt mètres plus loin. À chaque pas, toujours, vingt mètres plus loin."
Yali, tu as placé la barre haut...

Monique 08/09/2004 @ 08:04:43
Et Olivier, je te signale que si tu reproches le prénom de Jim par peur que cela influence les autres, que dire de tes comparaisons avec les films que tu cites ???

Erika 24
avatar 08/09/2004 @ 08:48:57
Yali tu as placé la barre TRES haut. Sinon j'aime beaucoup et je penses qu'on peut faire un texte très sympa tous ensemble. Bien des suites sont possibles et j'espère qu'on aura toujours cette possibilité avec les autres jets.

Paikanne 08/09/2004 @ 10:02:19
Yali tu as placé la barre TRES haut.
Effectivement et je ne suis pas très grande (!) Pourquoi diable ai-je eu cette idée saugrenue de "m'inscrire" ...

Olivier Michael Kim
08/09/2004 @ 11:00:29
Et Olivier, je te signale que si tu reproches le prénom de Jim par peur que cela influence les autres, que dire de tes comparaisons avec les films que tu cites ???


Je n'ai fait qu'UNE SEULE référence pas plusieurs.

Mais OK Mo, je n'aurais pas du. Je l'admets.

Milles excuses...

Voilà qui est dit.

J'espère que c'est pardonné.

Monique 08/09/2004 @ 11:14:45
Une petite louche Olivier : évite de sauter des lignes, ça prend une place pas possible et ça n'avance à rien !!
Zut, mon message aussi il prend de la place pour pas grand chose...

Benoit
avatar 08/09/2004 @ 16:32:05
Bien, bien, bien. Attends la suite.

Kicilou 08/09/2004 @ 17:41:40
Yali tu as placé la barre TRES haut.
Effectivement et je ne suis pas très grande (!) Pourquoi diable ai-je eu cette idée saugrenue de "m'inscrire" ...

Je suis pas loin de penser comme Païkanne! Sauf que je suis bien contente de m'être inscrite mais je ne réussirai jamais à franchir cette barre là! Même en me dopant!
Mais si les critiques sont indulgentes alors ça ne me gêne pas, je suis pas là pour faire mieux que Yali (j'ai pas cette prétention) mais de mon mieux (le mien à moi).

Yali 08/09/2004 @ 19:23:29
Ben t’as bien raison Kicilou, c’est avant tout du plaisir et puis, faut bien commencer par sauter le pas un jour.
Haut les cœurs !

Jadsmine 08/09/2004 @ 19:45:00
Yali tu as placé la barre TRES haut.
Effectivement et je ne suis pas très grande (!) Pourquoi diable ai-je eu cette idée saugrenue de "m'inscrire" ...

Je suis pas loin de penser comme Païkanne! Sauf que je suis bien contente de m'être inscrite mais je ne réussirai jamais à franchir cette barre là! Même en me dopant!
Mais si les critiques sont indulgentes alors ça ne me gêne pas, je suis pas là pour faire mieux que Yali (j'ai pas cette prétention) mais de mon mieux (le mien à moi).


bon, ben, moi non plus, je ne serai pas au niveau de Yali, mais tant pis, on va y mettre tout notre coeur quand même !

Jadsmine 08/09/2004 @ 19:45:57

Haut les cœurs !



Tiens... tu cites le film de Solveig Anspach ? ou c'est un hasard ???

Paikanne 08/09/2004 @ 20:02:33
Un nombre minimal de caractères a-t-il été "imposé" ? Ca m'a tellement "stressée" d'être déjà la suivante que j'ai écrit la suite cet après-midi mais je n'arrive à une longueur correspondant qu'à la moitié du texte de Yali >>> faut-il allonger ?

Benoit
avatar 08/09/2004 @ 20:04:03
Le nombre de signes ne dépend que de toi : pas de contrainte de longueur (le maximum a été fixé à 3000 mais surout pas de minimum!!!). Chacun écrit ce qui lui chante!!

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