Tistou 15/08/2004 @ 20:25:39
Le bus de la TBS venait de s'arrêter à la gare routière de Quatre Bornes, une des villes banlieues de Port Louis.
17h30 et le crépuscule mauricien pointait le bout de son nez. La nuit tropicale, noir d'encre, allait à nouveau les envelopper de sa touffeur.
Il se demandait encore, en posant le pied sur la chaussée, comment la nuit pouvait tomber si brutalement et changer si radicalement les perceptions. Il l'attendit, encore perchée sur le marchepied bringuebalant du bus, qui laissait la foule s'écouler. Elle était manifestement fourbue de la journée passée et semblait aussi surprise que lui de l'univers de ténèbres qui s'était si vite mis en place.
Trois jours qu'ils étaient là.
Trois jours qu'ils étaient descendus de l'avion d'Air France à Plaisance, l'aéroport de Maurice.
"Pas trop crevée?"
Pffh, je n'en voyais plus le bout. J'ai failli dormir au départ de Port Louis."
Le bus redémarrait lentement, dans un halo malodorant, digne du nuage d'encre d'une pieuvre qui s'échappe.
Les derniers passagers, sur le marchepied, s'accrochaient aux mains courantes et disparaissaient progressivement dans le ventre du monstre qui s'éloignait en cahotant.. D'autres bus étaient arrivés, arrivaient et libéraient leur flot de nouveaux venus. Pour la plupart claquettes aux pieds, chemisette au vent, un sourire vissé aux lèvres. Toujours le sourire.
Il fallait se secouer, sortir de la cohue et prendre la direction de leur campement, l'appellation locale du petit bungalow qu'ils louaient pour le mois, dans le haut de Quatre Bornes. Comme hébétés, leur sac aux pieds, ils cherchaient la meilleure voe pour se dégager de l'îlot de béton de la gare routière où ils étaient réfugiés. Abrutis par la foule qui grouillait de tous côtés, les bus arrivant qui cornaient et les voitures, devant, sur la route, qui passaient sans discontinuer, contournant piétons, nids de poule et vélos qui traversaient en tous sens.
La nuit maintenant tombée, les bruits n'étaient plus les mêmes. Comme assourdis mais plus inquiétants aussi du fait de leur origine indéterminée. Il y avait un certain vertige à tenter d'identifier à l'oreille ce qui provenait d'un côté sans la vision de la chose, ou alors une vision décalée dans le temps.
L'éclairage public de la grande route qui traversait de part en part Quatre Bornes avait été allumé et jetait un halo étrange sur l'agitation de tout un peuple qui rentrait chez lui.
Il leur fallait traverser la route. Puis remonter la place perpendiculairement, celle où les petits marchands de légumes ; pommes d'amour, piments, brèdes ou de fruits ; mangues, papayes, goyaves, étaient installés par terre.
"Allez. On y va?"
Ils s'insérèrent dans un flux transversal de piétons et de cycles et se retrouvèrent rapidement au bord de la place. Les vendeurs de samossas, bonbons piment ; le "fast food" local, avaient allumés des lumignons sur leurs étals à roulettes qui ressemblaient à des commodes de cuisine des années cinquante. La lumière vacillante dessinait des contours étranges à leurs sourires, comme si la nuit qui venait de tomber, avait changé et les lieux et les personnes.
"Tu veux des samossas pour remonter?"
"Pas des bonbons piment en tous cas!"
Le prix était connu. L'acheteur aussi et la transaction fut rapide. Quelques roupies changèrent de mains, le temps de glisser les samossas dans un sac en papier.
Dans un réflexe pavlovien, ils les attaquèrent aussitôt.Les samossas, sortes de petits chaussons farcis avec un mélange de viande, de légumes et d'épices, leur procurèrent un réconfort inattendu. C'était comme un repère qui serait resté en place, une certitude à laquelle se raccrocher quand, abrutis de fatigue physique, de chaleur, déboussolés des changements de cadre et de codes relationnels, ils se mettaient à subir et à ne plus rien contrôler.
Toujours aussi savoureux. Et là, la nuit n'y avait rien changé.
"On y va?"
Il fallait maintenant remonter le long de la place et déja l'obscurité se faisait plus profonde. Les vendeurs de légumes finissaient de remballer et l'odeur forte des mangues et des pommes d'amour, laissées sur place écrasées corrompaient l'atmosphère. Des chiens-on aurait dit des chacals en Afrique du Nord ou des coyotes dans l'ouest américain-se faufilaient, efflanqués, la tête sournoise penchée sur le côté et la queue entre les pattes. Pas d'agressivité, comme toujours à Maurice, mais une sensation diffuse dans ce noir épais, de risque, de potentialité de dérapage, de coup de folie possible.
Ils remontaient la rue maintenant, et de chaque côté, des petits bungalows laissaient deviner une vie. Une vie mauricienne qui, dans la nuit, leur paraissait parfaitement étrangère.
Des criquets commençaient à se faire entendre. Tiens, c'est vrai, les oiseaux s'étaient tus.Les cris des oiseaux tropicaux qui, dans la journée, à la lumière, conféraient une touche exotique mais rassurante à la fois.
Dans le ciel limpide les constellations de l'hémisphère sud s'étalaient avec une splendeur toujours aussi confondante. La veille, sur leur véranda, la varangue, ils avaient pu observer la Comète de Haley. La chance d'être dans l'hémisphère sud, la bonne année, au bon moment, celui où cette comète s'observait le plus facilement. Une longue traînée blanche qui ne reviendrait pas avant 90 ans? Un signe de chance, s'étaient-ils dit.
L'obscurité n'était plus maintenant contestée que par les lumières qui émanaient des fenêtres ouvertes ou des varangues. Ils suivaient machinalement le milieu de la chaussée. Le bruit de fond de la route principale ne leur parvenait plus que par saccades, au fil des trouées entre les bungalows.
C'est au détour d'une rue, celle qu'il fallait remonter à droite qu'il les vit.
La varangue était éclairée. Un homme encore jeune, un blanc, en maillot de corps. Et sa femme? Une femme, bizaremment en maillot de bain, ou sortie de plage. Ils se tenaient sur la droite de la varangue, près de la porte et semblaient tenir un conciliabule intime.
"Regarde" murmura-t-il.
Elle ralentit son pas machinal. La scène, elle même, semblait se dérouler au ralenti. Une étrange sérénité se dégageait de l'ensemble. Indéfinissable mais certaine. Ils étaient à Maurice, les codes sociaux leur étaient passablement inconnus (ils s'en étaient aperçus encore le matin au Tribunal) mais un sentiment réconfortant les habitait à cet instant, à la vue de cet homme et de cette femme, exposés crûment à la lumière dans cette nuit tropicale, plus hostile qu'une nuit de chez eux.
Le temps s'était suspendu. Assourdis, filtrant des jacarandas de l'autre côté de la rue, leur parvenaient les échos d'une mélopée lancinante et toute en ondulations reptiliennes. Un parfum de masala, le plat à base de curry local, venait leur rappeler, lui aussi, qu'ils étaient étrangers ici. Et voyeurs pour l'occasion.
"C'est extraordinaire. On dirait le tableau de Hopper. Tu sais? Summer evening. Celui en couverture du Jim Harrison que je lis?
"Oui, souffla-t-il, c'est extraordinaire. Vraiment."
L'impression d'être sortis du temps? D'assister à la scène originelle, à celle du tableau, en 1947.
Quand un appel d'enfant retentit à l'intérieur, rompant le charme, ils s'aperçurent qu'ils avaient retenu leur souffle tout le temps de l'observation.
La femme était rentrée, l'homme avait maintenant le torse introduit dans l'ouverture de la porte ...
Ils reprirent leur marche vers le campement. La nuit était moins hostile. Tout à l'heure, après la douche, eux aussi sortiraient sur la varangue. Ils observeraient longuement la comète de Haley. Ils avaient l'impression d'avoir pénétré un des secrets de Maurice. Ils se sentaient un peu moins étrangers. Sybillin, l'évènement était plus que sybillin. Et pourtant c'est lui qui venait de les apprivoiser.

Kilis 15/08/2004 @ 21:02:13
J'aime bien ton texte, Tistou. Tu as gardé le style "reporter géographique" mais cette fois il y a vraiment une histoire et qui plus est, tout à fait crédible. C'est bien vu.

Monique 15/08/2004 @ 21:24:32
Bonsoir Tistou !
Alors si on ne savait pas ce qu'était une varangue, maintenant on le sait !! Merci !
Joli carnet de voyage encore une fois. Il est vrai que si c'est en partant de souvenirs personnels de barouds que tu te sens le mieux pour écrire, je pense qu'on va pouvoir dans un proche avenir visiter encore pas mal de continents !
L'idée est bonne et bien utilisée.
Les mots imposés sont placés un peu laborieusement, surtout le dernier... Mais ce n'est pas le plus important.
En fait, je n'ai pas de critique négative. C'est agréable à lire. J'ai presque envie de suivre encore ce couple pour savoir ce qu'ils vont faire encore sur Maurice, ce qu'ils pouvaient bien fiche au Tribunal avant, etc...
Bon, il faut dire que tout ce dont tu parles sur le plan végétal, et culinaire en général m'est tellement familier que je resterais bien encore un peu là bas.

Sido

avatar 15/08/2004 @ 21:59:23
Salut, je t'attendais avec impatience. Tu me manques. hi hi hi !

Monique 15/08/2004 @ 22:01:42
Salut, je t'attendais avec impatience. Tu me manques. hi hi hi !
Bonsoir Sido, à qui t'adresses-tu donc ? A Tistou ?

Balamento 15/08/2004 @ 23:15:44
Belle balade... Je n'ai pas néanmoins vraiment accroché... Quelque chose d'un peu impersonnel me donnant l'idée d'un article 'guide du routard' m'a arrêté. Peut être parce que le texte est totalement privé de sentiments autres qu'un l'enchaînement d'étonnements de voyage et de points de vue esthétiques.

Yali 16/08/2004 @ 06:26:00
Est-ce un pur hasard que sur le côté droit apparaisse une pub pour l’île Maurice ?

C’est un genre très particulier que celui que tu pratiques Tistou, et tu y réussi pas trop mal.

Benoit
avatar 16/08/2004 @ 19:07:31
Je me suis laissé bercer par ce récit, j'ai vraiment bien aimé. De bonnes descriptions, ni trop longues, ni trop courtes, pas de surcharge de phrases... Un vrai délice!
Quant au mot, y'a qu'à sybillin où ça a un peu accroché : ça vient un peu comme un cheveu sur la soupe...
Quant aux coyotes d'Afrique du Nord ou les chiens américains, ça nous fait voyager encore plus!! Bravo, bravo!!!

Tistou 19/08/2004 @ 11:34:14
Peut être parce que le texte est totalement privé de sentiments autres qu'un l'enchaînement d'étonnements de voyage et de points de vue esthétiques.

Tiens, c'est marrant ton sentiment car ce qui est exprimé a été très fort ressenti. Si ça fait Guide du Routard, c'est que j'ai effectivement raté mon coup. J'aime bien avoir des repères connus pour greffer mes histoires et les repères, ce n'est pas tant un lieu qu'un lieu où j'ai ressenti quelque chose de particulier. Enfin quoi un lieu + une émotion.

Tistou 19/08/2004 @ 11:37:53
si on ne savait pas ce qu'était une varangue, maintenant on le sait !!

Aurais je abusé? Oui certainement! Mais écrit en vacances, dans des conditions rock'n roll pour dire d'être là au rendez-vous ...!
Visite des continents? Pas forcément, je ne suis pas le guide du routard! Mais je suis le guide de mes sentiments et mes sentiments les plus marquants sont le plus souvent associés à des voyages et des rencontres. Je me demande d'ailleurs ce que je fous chez moi!

Tistou 19/08/2004 @ 11:38:51
Est-ce un pur hasard que sur le côté droit apparaisse une pub pour l’île Maurice ?

C’est un genre très particulier que celui que tu pratiques Tistou, et tu y réussi pas trop mal.


Et quel genre particulier, je te prie?

Tistou 19/08/2004 @ 11:42:00
Salut, je t'attendais avec impatience. Tu me manques. hi hi hi !

Côté critique c'est un peu léger!
Côté réflexion ; te souviens tu de tes dernières paroles?
Si tu vas courir un de ces 4 fais le moi savoir.

Sahkti
avatar 19/08/2004 @ 11:45:56
J'ai bien aimé le texte de Tistou. On devine la chaleur, la torpeur, j'ai retrouvé des émotions éprouvées lorsque je retournais dans "mes" îles et que j'étais fatiguée, cette lassitude... tout cela est très bien décrit. Et puis je trouve chouette cette façon de raconter le décalage que l'on peut ressentir à l'étranger ou quand on réintègre une terre quittée depuis longtemps.

Petit bémol: cette histoire de fringues. Yali faisait une fixette sur la jupette mais je vois qu'il n'est pas le seul :)
C'est un pays chaud, on s'y promène souvent légèrement vêtu, est-ce à ce point extraordinaire qu'il faut le remarquer et insister? Suis-je passée à côté d'un truc à propos de ces vêtements?

Quelques lourdeurs ou maladresses dans le texte et le vocabulaire par moments mais ça passe plutôt bien, ça fait partir de cette ambiance langoureuse, de cette moiteur, c'est vivant tout en semblant complètement atomisé par la chaleur. Bravo!


Tistou 19/08/2004 @ 11:52:18
Petit bémol: cette histoire de fringues. Yali faisait une fixette sur la jupette mais je vois qu'il n'est pas le seul :)

Oh!!!!!!

Sido

avatar 19/08/2004 @ 18:40:32
POUR TISTOU
1 D'abord j'ai rien à dire sur ton texte.
2 Oui je me souviens mais j'ai changé d'avis.
3 demain si tu veux(pour courir) . Appelle moi sur mon ancien portable car l'autre on me l'a confisqué.
Voilà je t'embrasse très fort. Tu me manques.

Sido

avatar 22/08/2004 @ 12:06:30
je sens le bânissement qui me pend au nez.
J'irai pleurer mon exil au fin fond de la Chartreuse. Ca me donnera l'occasion de réfléchir sur mon comportement que beaucoup associent à une maladie. Je le dis et je le répette, je n'ai fait que ce que beaucoup de femmes rêvent de faire sans oser le faire. J'ai payé très cher mais je n'ai aucun regret. Au bout du chemin il y a la mort. Alors ?

Sahkti
avatar 22/08/2004 @ 13:42:01
c'est l'Afghanistan?

Monique 22/08/2004 @ 13:46:26
je sens le bânissement qui me pend au nez. J'irai pleurer mon exil au fin fond de la Chartreuse. Ca me donnera l'occasion de réfléchir sur mon comportement que beaucoup associent à une maladie. Je le dis et je le répette, je n'ai fait que ce que beaucoup de femmes rêvent de faire sans oser le faire. J'ai payé très cher mais je n'ai aucun regret. Au bout du chemin il y a la mort. Alors ?
Sido, peut-être que Tistou est au courant, nous pas. Ce que tu essayes d'exprimer par cette sorte de prose désabusée, par cette "fuite" et ces mots sibyllins ne nous éclairent pas, ne nous permettent pas de comprendre, même s'ils me disent que tu sembles avoir besoin de compréhension. Alors dis-en plus ou ne dis rien. Amicalement.

Yali 22/08/2004 @ 15:22:08
je sens le bânissement qui me pend au nez. J'irai pleurer mon exil au fin fond de la Chartreuse. Ca me donnera l'occasion de réfléchir sur mon comportement que beaucoup associent à une maladie. Je le dis et je le répette, je n'ai fait que ce que beaucoup de femmes rêvent de faire sans oser le faire. J'ai payé très cher mais je n'ai aucun regret. Au bout du chemin il y a la mort. Alors ?
Sido, peut-être que Tistou est au courant, nous pas. Ce que tu essayes d'exprimer par cette sorte de prose désabusée, par cette "fuite" et ces mots sibyllins ne nous éclairent pas, ne nous permettent pas de comprendre, même s'ils me disent que tu sembles avoir besoin de compréhension. Alors dis-en plus ou ne dis rien. Amicalement.

JE soutiens !

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