Myrco

avatar 08/09/2016 @ 09:40:56
rien à gagner;-(((( et non ;-))) évidemment !

Bolcho
avatar 28/09/2016 @ 14:43:14
Allez, on fait court ce mois-ci :

Monde Diplo octobre 2016

1. Les Etats-Unis tentés par le risque, Serge Halimi
Une candidate aussi expérimentée et entourée que Mme Hillary Clinton peut-elle être battue par un homme aussi brutal et controversé, y compris dans son camp, que M. Donald Trump ? Même si elle n’est pas la plus probable, cette issue, qui dépendra du vote d’une Amérique oubliée, n’est plus exclue.
Le « haro sur l’État » caractérisait la plupart des campagnes précédentes. Aujourd’hui, même des électeurs conservateurs réclament que la puissance publique intervienne davantage dans la vie économique. Les sempiternelles homélies à la réduction des dépenses sociales, à la « réforme » des retraites, à l’amputation des aides aux chômeurs ne font d’ailleurs pas partie du programme de M. Trump. Et, en matière de libre-échange, sujet central de sa campagne, il veut déchirer les traités négociés par ses prédécesseurs, républicains comme démocrates, et imposer des droits de douane aux entreprises américaines ayant délocalisé leurs activités.
En somme, le consensus bipartisan en faveur de la mondialisation et du néolibéralisme a volé en éclats. À force d’afficher leur cynisme et leur rapacité, les grandes entreprises américaines ont détruit l’idée d’un lien obligé entre leur prospérité et celle du pays.
Même si Mme Clinton a promis de confier des missions importantes à son mari, grand architecte de la droitisation du Parti démocrate il y a un quart de siècle, leur formation n’a plus le visage que tous deux façonnèrent lorsqu’ils occupaient la Maison Blanche. Ses électeurs sont plus à gauche, moins tentés par les compromis ou les capitulations : le terme de « socialisme » ne les effraie plus...
Mme Clinton a dû donner des gages aux partisans de M. Sanders.
Les diatribes de M. Trump contre l’immigration mexicaine et l’islam, son sexisme, ses élucubrations racistes inspirent un tel dégoût qu’ils empêchent parfois de remarquer le reste. Pourtant, qu’il s’agisse de dépenses sociales, de politique commerciale, de droits des homosexuels, d’alliances internationales ou d’engagements militaires à l’étranger, M. Trump a répudié avec une telle insistance les tables de la Loi de son parti qu’on imagine mal un revirement prochain des dirigeants républicains sur tous ces points. « Nos politiciens, estime M. Trump, ont promu avec vigueur une politique de mondialisation. Elle a enrichi l’élite financière qui contribue à leurs campagnes. Mais des millions de travailleurs américains n’en ont retiré que misère et mal au cœur. » 
Au fil des ans, le Parti démocrate est devenu l’instrument des classes moyennes et supérieures diplômées. En affichant les symboles de sa « diversité », il a recueilli néanmoins une majorité écrasante de suffrages noirs et hispaniques ; en s’appuyant sur les syndicats, il a conservé une base électorale ouvrière. 
Une élection marquée par de tels bouleversements idéologiques, et même par un désir de renverser la table, peut-elle néanmoins se conclure par la victoire de la candidate du statu quo ? Oui, dès lors que celle-ci a pour adversaire un outsider encore plus détesté qu’elle. 
Au lieu de chercher à grappiller quelques voix dans un électorat latino et noir hostile aux républicains, M. Trump a fait le pari inverse. Celui d’accroître son avantage auprès des Blancs non hispaniques.   Ils ont beau représenter une fraction déclinante de la population, elle constituait encore 74 % de l’électorat en 2012.
Si les métropoles assurent une part croissante de la prospérité du pays et de sa production d’imaginaire, c’est plutôt dans les États de la « périphérie » que se joue l’élection.  L’Ohio, la Pennsylvanie, le Michigan, le Wisconsin tiennent leur revanche.
Et que découvre-t-on ? Que ces États, plus blancs, plus âgés et souvent moins instruits que la moyenne, ont perdu des centaines de milliers d’emplois en raison des délocalisations et de la concurrence chinoise ou mexicaine, qu’ils accumulent les friches industrielles, qu’ils ont moins profité de la reprise économique que le reste du pays. Le discours protectionniste et inquiet de M. Trump y est donc bien accueilli ; Mme Clinton peine davantage à vendre le « bon bilan » du président Obama.
Avec M. Trump dans l’arène, les démocrates ne peuvent plus être certains que ce qui leur reste de base ouvrière n’a d’autre refuge électoral que le leur. 
Truqué ou non, on saura bientôt si le système américain est devenu assez fragile pour se donner à un homme comme lui. Mais, à supposer que, dans les semaines qui viennent, un attentat, une mauvaise prestation télévisée ou la découverte de correspondances compromettantes suffise à écarter Mme Clinton de la Maison Blanche, preuve serait alors faite que, loin de combattre efficacement la droite autoritaire, le parti du statu quo néolibéral constitue dorénavant son principal carburant.

2. De l'art d'ignorer le peuple, la gouvernance contre la démocratie, Anne-Cécile Robert
Ceux qui, comme l’ancien premier ministre Alain Juppé (Les Républicains), estiment que les « conditions » ne sont pas réunies pour un référendum en France sur les questions européennes, ou qui, comme le premier ministre socialiste Manuel Valls, qualifient d’« apprentis sorciers » les personnes souhaitant une telle consultation, dévoilent leur véritable préoccupation : comme la classe dirigeante n’est pas assurée d’une réponse positive, elle préfère ne pas consulter les électeurs. Ainsi, on gouverne sans le soutien du peuple, au moment même où on organise, traité après traité, des transferts de souveraineté de plus en plus importants à Bruxelles. Parmi les plus déterminants figurent les pouvoirs monétaire et budgétaire.
L’Union européenne agit comme le révélateur d’une délégitimation de la démocratie, également à l’œuvre à l’échelle nationale. Il ne s’agit plus d’une crise, mais d’un changement progressif de régime politique dont les institutions de Bruxelles constituent un laboratoire. Dans ce système, nommé « gouvernance », le peuple n’est que l’une des sources de l’autorité des pouvoirs publics, en concurrence avec d’autres acteurs : les marchés, les experts, la « société civile ». On connaît le rôle stratégique attribué à l’expertocratie par les rédacteurs des traités communautaires.
Entré en vigueur en 2009, l’article 11 du traité de Lisbonne recommande aux institutions européennes d’entretenir « un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile ». Appelée en renfort pour combler le « déficit démocratique », celle-ci fait l’objet d’une définition très large pouvant se prêter à toutes sortes d’interprétations : acteurs du marché du travail, organisations non gouvernementales (ONG), organisations dites « de base », communautés religieuses. On peut donc y trouver des syndicats et des associations très progressistes, mais aussi des lobbys, des groupements patronaux, des cabinets d’experts, voire des sectes, etc. La « société civile » ne repose en effet sur aucun critère de représentativité ou de légitimité. Protéiforme, elle est aussi le règne de l’inégalité puisque ses acteurs disposent de moyens extrêmement variables, suivant les intérêts qu’ils défendent.
La « société civile », tout énigmatique qu’elle soit, devient le porte-parole autoproclamé des citoyens.  Et le peuple dans tout ça ? Il n’est plus qu’un groupe de pression parmi d’autres. Dans une Union européenne qui se méfie des bulletins de vote, la partie n’est pas égale.
La marginalisation de la souveraineté populaire par la gouvernance explique la facilité avec laquelle les dirigeants européens, et notamment français, contournent le verdict des urnes.
En prenant de front la souveraineté populaire, la gouvernance reformule la question démocratique telle qu’elle a émergé avec les Lumières au XVIIIe siècle. Les classes dirigeantes, de nouveau habituées à gouverner entre elles, confondent de manière symptomatique « populisme » et démagogie. L’attention portée aux revendications populaires est perçue comme du clientélisme primaire, quand la défense débridée des intérêts dominants est présentée comme le nec plus ultra de la modernité. 
Ce n’est pas seulement la crise sociale, l’explosion des inégalités et des injustices qui aujourd’hui« soulèvent le goudron  », mais tout autant les reculs de la souveraineté populaire qui les ont rendues possibles.

3. Israël ou la religion de la sécurité, Gideon Levy, écrivain et journaliste au quotidien Haaretz (Tel-Aviv)
Après les attentats qui ont ensanglanté la France, de nombreux responsables politiques ont érigé en modèle la gestion par Tel-Aviv des questions de sécurité. Au risque d’en taire les effets pervers sur les plans politique, économique et social. Dans la société israélienne comme dans les territoires occupés, la réponse militaro-policière au terrorisme a montré ses limites.
Nul ne niera que le terrorisme existe. Mais on évoque trop peu les effets pervers qu’induisent les mesures prises pour y répondre. Les contrôles interminables tracassent jour après jour des citoyens rendus dociles par la peur d’un attentat. Insidieusement se façonnent des stéréotypes, s’exacerbent des préjugés qui cristallisent en racisme. Cela contribue à détruire notre pays de l’intérieur. En ira-t-il ainsi, désormais, aux États-Unis et en Europe ? Est-ce vraiment nécessaire ? N’y a-t-il pas d’autres moyens, plus justes et plus mesurés, de lutter contre le danger ?
Au nom de la sécurité, on détruit les maisons des « terroristes » et l’on procède à des châtiments collectifs interdits par le droit international.  On empêche les uns de travailler ou de se déplacer ; on en met d’autres à mort, dès lors qu’une recrue redoute une menace. Ce fut le cas pour une enfant de 10 ans qui tenait une paire de ciseaux à la main. Abattue pour « protéger » des soldats qu’elle s’apprêtait sans doute à découper…
Rappelons que les citoyens arabes de « la seule démocratie du Proche-Orient » ont vécu sous administration militaire depuis les premières années de l’État jusqu’au milieu des années 1960. Puis vinrent cinquante années d’occupation, cinquante années d’arrestations au nom d’impératifs de « sécurité » — ce maître mot alibi évitant à Israël la qualification d’État non démocratique…
Après des années de lutte contre le terrorisme, le nombre de morts palestiniens est cent fois plus élevé que celui des morts israéliens. Mais, alors que la démocratie se fragilise, les attaques contre la liberté d’expression et les droits civils touchent désormais tout le monde. La religion sécuritaire étend son emprise : aujourd’hui dans les territoires occupés, demain à Tel-Aviv ; aujourd’hui au détriment des Arabes, demain des Juifs.
On ne peut pas tout se permettre au nom de la sécurité. Risquer de perdre la démocratie constitue peut-être un danger plus grand que le terrorisme.

Saule

avatar 29/09/2016 @ 17:27:29
Ce n'était pas dans le Monde Diplo mais dans la Libre Belgique de ce week-end : il y avait un dossier spécial sur la société InBev qui est devenue en quelques dizaines d'années un géant (numéro 1 des brasseurs, capitalisation boursière équivalente à Coca-Cola). Les actionnaires sont heureux : en une dizaine d'années le cours a crevé tout les plafonds.

Ce succès est du à la stratégie du big boss, Carlos Britto, et de son CFO (le financier de la boite) : ils achètent des concurrents, ensuite ils diminuent les couts et grace à leur poid accru ils négocient des meilleurs tarifs. Par exemple InBev vient d'acheter SABMiller (pour 112 milliard quand même), ils vont fermer le quartier général de SABMiller à Londres, et voila des économies faciles.

On voit bien que ces stratèges ne crèent aucune valeur, sauf pour les actionnaires évidemment : on peut même dire ils prennent de la richesse aux employés (qui sont licenciés) et la donne au actionnaires. On avait déjà vu ça avec Mittal qui avait racheté les acièreries traditionnelles sur base d'opérations purement financières, pour les dépeser ensuite.

Quand j'étais étudiant en sciences éco, je pense qu'on estimait des réussites comme celles de Carlos Britto (le PDG de InBev) et de ses pairs, il y a trente ans ça ne choquait pas grand monde. Mais maintenant, moralement, ce genre de réussite parait très douteuse pour ne pas dire amorale. On voit bien que l'enrichissement des uns ce fait au détriment des autres et qu'en fait c'est de l'argent mal gagné. Par contre, et ça m'a étonné, cet aspect des choses n'était pas du tout abordé par le journaliste.

Après Amazon, voila que je vais boycotter aussi InBev. Ce sera dur car il n'y a pas beaucoup d'alternatives en Belgique. Maes (qui appartient à Heineken je pense) me semble le candidat le plus judicieux.

Myrco

avatar 29/09/2016 @ 19:30:49
.

Après Amazon, voila que je vais boycotter aussi InBev. Ce sera dur car il n'y a pas beaucoup d'alternatives en Belgique. Maes (qui appartient à Heineken je pense) me semble le candidat le plus judicieux.

Moi, depuis longtemps je boycotte tout ce qui vient d'Israël parce que je suis révoltée par la politique de colonisation des territoires occupés mais à notre échelle nanoscopique cela n'a évidemment aucune incidence; il faudrait des mouvements d'ampleur mais les gens s'en foutent; seul compte que leur besoin ou leur désir du moment soit comblé!;-(

Saule

avatar 29/09/2016 @ 20:15:42
Oui, c'est vrai aussi. Il faut dire aussi que ce faisant ils ne font qu'appliquer les règles du capitalisme, qui sont : "chacun suit son propre intérêt et ce faisant il réalise l'intérêt commun".

Il y a des gens qui pensent cela et qui n'ont aucun scrupules à acheter chez le moins cher, Amazon typiquement, car ils estiment que ce faisant ils jouent leur rôle de consommateur malin qui met les vendeurs en concurrence. Il y a d'autres aussi, malheureusement, pour qui chaque franc compte et donc ils vont acheter le lait le moins cher possible (par exemple) plutôt que de payer un peu plus pour soutenir les agriculteurs.

C'est quand même moins choquant que les sociétés qui achètent d'autres pour faire des économies d'échelles (licencier) et augmenter la valeur pour les actionnaires.

Mais, on peut toujours l'espérer, il y a aussi pas mal de gens qui commencent à comprendre que ce système du chacun pour soi n'est pas tenable et qui cherchent des alternatives.

Bolcho
avatar 06/11/2016 @ 16:15:35
Monde Diplo octobre 2016

1. « Quitte ou double de la Russie à Alep », Jacques Lévesque, Sciences Po Montréal
Une reprise sanglante d’Alep pourrait compromettre la dynamique diplomatique qui avait suivi l’engagement militaire direct de la Russie aux côtés du régime syrien.
En 2013 déjà, la diplomatie russe avait compliqué une éventuelle intervention occidentale contre le régime du président Bachar Al-Assad en obtenant de sa part un renoncement contrôlé aux armes chimiques.
M. Vladimir Poutine dans son discours à l’Organisation des Nations unies (ONU) du 28 septembre 2015  faisait valoir que seules les forces du régime Al-Assad et les Kurdes « affrontaient courageusement le terrorisme » et que, comme elle avait lieu à la demande du gouvernement syrien, l’action russe se situait dans le cadre du droit international, à la différence des bombardements occidentaux. Par ailleurs, il rappelait que la zone d’exclusion aérienne mise en place en Libye puis le soutien aux rebelles avaient conduit non seulement à l’élimination du régime de Mouammar Kadhafi, mais aussi à la destruction de tout l’appareil d’État, créant un terreau favorable à l’implantation de l’OEI.
En dépit de la responsabilité du régime dans le lourd bilan humain du conflit, tout cela revenait à dire à ses interlocuteurs occidentaux : entre deux maux, il faut savoir choisir le moindre. M. Poutine leur proposait de promouvoir avec lui l’idée d’un cessez-le-feu entre toutes les forces combattantes en Syrie, à l’exception de l’OEI, et, parallèlement, de chercher collectivement une solution politique.
Les dirigeants occidentaux se sont longtemps accordés à penser que le départ de M. Al-Assad constituait un préalable à toute résolution du conflit. Mme Angela Merkel fut la première à briser ce consensus. Le 23 septembre 2015, la chancelière allemande affirmait : « Il faut parler avec de nombreux acteurs, et cela implique Al-Assad.  » Elle a rapidement été suivie par le Britannique David Cameron, et finalement par M. Barack Obama lui-même. 
Dès le début, on soulignait toutefois, à Washington et ailleurs, que  e premier objectif de Moscou était de renforcer les positions du régime, menacées par d’autres que l’OEI.
Pour donner des gages à ses partenaires occidentaux et à leurs alliés, la Russie souscrivit le 18 décembre une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU proposée par les États-Unis qui exigeait une solution politique et « la formation d’un gouvernement de transition doté des pleins pouvoirs ». 
La grande coalition préconisée par Moscou est restée un vœu pieux. Il faut plutôt parler de deux coalitions. Celle menée par la Russie compte l’Iran (avec l’appui, sur le terrain, des troupes du Hezbollah libanais) et l’Irak, qui appartient aussi à la seconde. Celle des États-Unis, beaucoup plus vaste, regroupe une cinquantaine d’États. Mais elle est plus hétéroclite et comprend des États très récalcitrants à l’égard du processus, notamment la Turquie et l’Arabie saoudite.
Pour cette dernière, en Syrie comme ailleurs, le danger principal demeure l’Iran. La Turquie, elle, s’inquiète de l’émergence d’un Kurdistan syrien indépendant de facto.
M. Al-Assad sait fort bien que la Syrie est le seul point d’ancrage de la Russie au Proche-Orient, où elle cherche à retrouver une influence significative.  M. Poutine entendait donc montrer qu’il lui appartenait de fixer les conditions de l’engagement de la Russie. La prise d’Alep aurait donné au régime syrien le contrôle d’un territoire où réside 70 % de la population du pays ; elle lui aurait permis de camper indéfiniment sur ses positions et de faire échouer les négociations avec l’opposition. Mais elle n’a pas eu lieu, et un nouveau cessez-le-feu précaire a été conclu. En choisissant de prendre ses distances, M. Poutine entendait ne pas compromettre l’objectif principal qu’il poursuivait en Syrie : démontrer que la Russie était pour les États-Unis et l’Europe un partenaire désormais décisif ; et qu’on ne pouvait résoudre les grands problèmes internationaux que par des compromis où ses intérêts seraient pris en compte. En Syrie M. Poutine cherchait surtout à « briser l’isolement qui a suivi son intervention militaire en Ukraine ». En réponse, le Pentagone conduisait un renforcement sans précédent de l’OTAN depuis la fin de la guerre froide, avec le déploiement en Pologne et dans les républiques baltes d’une nouvelle force de quatre mille hommes. Ces divisions internes et les ambiguïtés qui en découlaient n’ont pas facilité la tâche de Washington.
En appuyant sans réserve apparente M. Al-Assad, la Russie a pris un risque d’isolement. Moscou a dû utiliser son droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, le 8 octobre, pour bloquer la résolution française demandant l’arrêt des combats. Seul le Venezuela a voté avec la Russie, tandis que la Chine s’est abstenue. M. Poutine entend profiter de la fin du mandat de M. Obama pour mettre ses alliés en position de force avant la recherche d’une solution politique. Mais, s’il ne trouve pas un moyen de relancer les pourparlers, le crédit de la Russie et l’avenir de ses relations avec les États-Unis et l’Europe seront hypothéqués.

2. « Casse-tête américain à Mossoul », Akram Belkaïd, journaliste
M. Barack Obama a salué un « pas décisif vers la destruction totale » des forces djihadistes et estimé lui aussi que la reprise de Mossoul permettrait à l’Irak de retrouver sa cohésion. Une cohésion mise à mal, faut-il encore le rappeler, par une guerre (1991), une décennie d’embargo (1990-2003), puis par une invasion et une occupation militaire américaine (mars 2003 - décembre 2011).
Ces deux dernières années, les États-Unis ont aidé Bagdad à accélérer la réorganisation de l’armée, avec la constitution d’unités spéciales entraînées aux combats urbains.  M. Obama a prévenu que la bataille serait « difficile et marquée par des avancées et des revers ». Il y va de la réussite de son diptyque stratégique : pas de présence au sol autre que celle des conseillers et formateurs, mais un usage intensif de l’aviation pour affaiblir l’ennemi djihadiste et cibler sa chaîne de commandement.
Une nouvelle déroute de l’armée irakienne — ou son incapacité à l’emporter rapidement — aurait pour conséquence de permettre à d’autres acteurs armés de s’imposer. Cela vaut surtout pour les diverses milices et groupes paramilitaires chiites, que Washington ne souhaite pas voir pénétrer les premiers dans Mossoul, ville dont une large majorité de la population est de confession sunnite.
Les États-Unis cherchent avant tout à signifier à l’Iran qu’ils demeurent influents en Irak, et que Téhéran ne saurait tirer profit de la situation en endossant les habits du vainqueur de l’OEI. Une telle évolution provoquerait la panique des monarchies du Golfe, qui exigent que Washington garde toujours un pied en Irak. 
Second objectif des Etats-Unis : perturber le rapprochement en cours entre Bagdad et Moscou qui est en bons termes avec le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi en Égypte, qui approuve son action en Syrie, la Russie est donc en embuscade en Irak — ce que les Américains ne peuvent ignorer.
En se déplaçant fin octobre à Bagdad, le secrétaire d’État à la défense américain, M. Ashton Carter, a tenté de convaincre le dirigeant irakien d’accepter que l’armée turque, la deuxième en effectifs de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), puisse participer aux combats contre l’OEI.  M. Al-Abadi a tergiversé et opposé un refus de façade. Tout le monde sait que le président turc veut imposer sa présence à la table des négociations le jour venu et que son armée, alliée aux peshmergas irakiens et aux modestes troupes mobilisées auprès des tribus sunnites, sera partie prenante de la bataille de Mossoul. Un problème de plus à gérer pour Washington, dans une région où les stratégies concurrentes de ses alliés ne cessent de lui compliquer la tâche.

3. « Masochisme électoral », Serge Halimi
Singulier paradoxe, l’héritage de Margaret Thatcher est répudié dans son pays au moment où ses potions économiques les plus amères font école en France. Le 5 octobre dernier, la première ministre britannique Theresa May assénait aux militants de son parti un discours qui a dû en décontenancer quelques-uns. Dénonciation d’une société gangrenée par les privilèges des riches, défense du rôle de l’État, mention insistante des « droits des travailleurs », éloge de l’impôt, « prix que nous payons pour vivre dans une société civilisée », panégyrique des services publics, notamment d’éducation et de santé, dont le personnel fut ovationné, relance des dépenses publiques dans les secteurs du logement et des transports : même verbal, un tel tête-à-queue programmatique a suscité un haut-le-cœur chez les amants inconsolables de la Dame de fer. L’un d’eux a d’ailleurs dénoncé une « contre-révolution antilibérale  ».
Qu’il se rassure : son héroïne vient d’obtenir, à titre posthume, l’asile politique de l’autre côté de la Manche, où un pot-pourri de mesures néolibérales fait office de programme commun de la droite française.  On annonce déjà la victoire de candidats conservateurs qui promettent aux électeurs le report de deux à trois ans de l’âge du départ à la retraite, quatre heures supplémentaires de travail hebdomadaire sans augmentation de salaire, la suppression de l’impôt sur la fortune — alors que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui frappe les revenus modestes, serait, elle, relevée —, la dégressivité des allocations chômage, la suppression de 300 000 à 500 000 postes de fonctionnaires… 
Certains électeurs de gauche, généreusement relayés par les médias, se préparent à participer ce mois-ci à la primaire de la droite. Au risque de conférer au candidat qui en sortira vainqueur une légitimité supplémentaire quand il appliquera son programme. 
Cette fois, toujours pour battre M. Sarkozy, il faudrait soutenir un de ses anciens ministres, M. Alain Juppé, qui, incidemment, fut l’artisan il y a trente ans du virage libéral de la droite française… Est-il devenu vraiment trop compliqué de réserver son énergie politique à la défense de ses idées ?

4. « Recomposition du paysage politique en Europe : crépuscule de l' « extrême centre », Miguel Urban, cofondateur du parti espagnol Podemos, député européen
Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a décidé le 23 octobre de laisser le conservateur Mariano Rajoy former un gouvernement. La décision met fin à dix mois de blocage institutionnel. Elle donne également corps à la « caste » que dénonce la formation Podemos : un camp politique soucieux de préserver le statu quo, alors que la critique du système s’intensifie dans la population.
La mutation de la social-démocratie en social-libéralisme a produit ce que l’intellectuel britannique Tariq Ali appelle l’« extrême centre », qui réunit la gauche proentrepreneuriale et la droite pro-patronale au service des « 1 % », l’élite oligarchique des plus riches.  Dans la plupart des cas, le phénomène a conduit à un déplacement du champ politique vers la droite. Mais pas toujours.
En Grèce, par exemple, la crise de la social-démocratie s’est traduite par la victoire de Syriza aux élections législatives de janvier 2015 et par la marginalisation du parti socialiste grec, le Pasok. Mais, dans sa confrontation avec les institutions européennes, Syriza a refusé d’envisager la moindre perspective de rupture. L’échec de cette stratégie réformiste l’a conduit à se transformer en équivalent fonctionnel de son adversaire social-libéral d’hier... En Autriche, au contraire, le vote protestataire a profité à la formation d’extrême droite Freiheitliche Partei Österreichs (Parti de la liberté, FPÖ).
La crise des réfugiés structure un autre axe de polarisation : l'imaginaire de la pénurie, l’idée qu’il n’y en aura pas pour tout le monde et que, par conséquent, certains sont « en trop » (les migrants, les étrangers ou, tout simplement, les « autres ». 
La campagne autour du « Brexit » a laissé le champ libre à la peur, à la xénophobie, au repli identitaire, à l’égoïsme et à la recherche de boucs émissaires.
  Le Mouvement 5 étoiles, en Italie, offre l’une des expressions les plus éclatantes de ce vote de protestation. La formation de M. Giuseppe (« Beppe ») Grillo résulte d’une double dénonciation : celle de la montée en puissance d’un populisme autoritaire incarné par le berlusconisme et celle d’une gauche en décomposition.
Le cas espagnol éclaire fort bien le phénomène qui nous intéresse ici. Tout d’abord dans la mesure où le pays a servi de laboratoire à la mise en œuvre des mesures d’austérité exigées par l’Union européenne. En second lieu, parce que le pays avait connu l’émergence d’un imaginaire consacrant l’endettement comme mode de vie.  Conséquence ? Une désaffection à l’égard du monde politique semblable à celle qui s’exprime dans toute l’Europe et qui bascule de tel ou tel côté de l’échiquier en fonction de l’existence — ou non — de luttes sociales animées par des organisations populaires.
Dans un tel contexte, l’irruption de Podemos, en 2014, représente un pas de plus dans cette distanciation des populations vis-à-vis des élites.  Il serait toutefois prématuré de proclamer le trépas des partis de l’« extrême centre », à tout le moins en Espagne. 
Dans ce contexte de polarisations, la lutte pour la construction d’une majorité sociale ne se mène pas au centre de l’échiquier politique, mais sur ses côtés : là où s’organise la lutte entre peuple et élites comprise dans son sens le plus strict d’antagonisme de classe. 
Podemos a su donner corps à une politique « de l’exceptionnel », parvenant à mobiliser des millions de personnes lors d’événements ponctuels, mais s’est montré moins habile à proposer une politique « du quotidien », à créer une communauté, des solidarités, des réseaux de soutien mutuel susceptibles de renforcer la résistance et les luttes.  Il lui faudra travailler avec d’autres acteurs. Le passage à la nouvelle étape de la vie du parti requiert un retour de la mobilisation sociale et une intensification du phénomène de polarisations. 
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres », écrivait l’intellectuel sarde Antonio Gramsci en une formule souvent citée en ce moment. Dans le camp antisystème, deux pôles se forment : l’un promeut la xénophobie, l’autre, la lutte des classes. Les monstres surgissent quand le champ de bataille politique se structure autour des questions d’identité ou d’appartenance nationale plutôt que de démocratie et de justice sociale.

5. « Tous les Américains ne s'appellent pas Hillary Clinton », Florence Beaugé, journaliste
Coutumier des propos misogynes et rattrapé par des accusations de harcèlement sexuel, M. Donald Trump s’est aliéné une partie de l’électorat féminin. Profitant de cette impopularité, Mme Hillary Clinton se présente comme un modèle pour les femmes désirant s’émanciper. Mais l’égalité des sexes demeure un horizon lointain aux États-Unis…
Deux points épineux sont régulièrement soulevés : l’inégalité d’accès à la santé et le salaire minimum. Aux États-Unis, le taux de mortalité maternelle est le plus élevé du monde développé. Loin de diminuer, il a plus que doublé depuis la fin des années 1980. Selon l’organisation Black Women’s Roundtable, le nombre d’Afro-Américaines décédées des suites de leur grossesse ou de leur accouchement est aujourd’hui de 42,8 pour 100 000 naissances vivantes. Pour les femmes blanches, le taux est moindre, mais élevé lui aussi : 12,5, contre 9,6 en France et 4 en Suède. 
Ce record  consternant  tient à l’absence d’assurance-maladie pour de nombreuses mères ni assez riches pour pouvoir la payer, ni assez pauvres pour bénéficier d’un accès gratuit aux soins. Si elles représentent presque la moitié de la force de travail, les femmes constituent les deux tiers des salariés payés au salaire minimum fédéral, bloqué à 7,25 dollars l’heure depuis 2009.
Quatre pays seulement ne garantissent pas de congé maternité payé : le Swaziland, le Lesotho, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et… les États-Unis.  « Pas d’interférence des pouvoirs publics dans la vie privée ! ». Cette idée a la vie dure aux États-Unis.
Les choses évoluent cependant. Pas encore au niveau fédéral, mais au niveau local. San Francisco est ainsi devenue, en avril 2016, la première ville à imposer aux entreprises six semaines de congé maternité payé à partir de 2017 .
Autre préoccupation majeure des mères américaines, souvent citée comme un obstacle à leur carrière : le mode de garde des jeunes enfants, et surtout son coût.  Mme Anna Allen, New-Yorkaise responsable d’une organisation non gouvernementale (ONG), mère célibataire d’une fillette de 3 ans qu’elle a adoptée, déclare : « Ici, on célèbre sans relâche les valeurs familiales, mais on ne les défend pas. Il n’y a pas de cohérence. En réalité, on continue de soutenir un système patriarcal ».
Est-ce un hasard si beaucoup renoncent à l’emploi depuis 2000 ? Il y a un quart de siècle, les États-Unis occupaient la sixième place au sein des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour le taux de travail des femmes. Aujourd’hui, ils sont au dix-septième rang. Les salariées gagnent en moyenne 21 % de moins que leurs collègues masculins. L’écart s’aggrave quand elles sont noires (36 % de moins) ou hispaniques (44 %).  Les hommes ne sont pas plus diplômés, au contraire ; mais ils monopolisent des professions mieux rémunérées.
Les mutations de la société ont transformé la condition féminine. Seuls 46 % des enfants vivent avec leurs deux parents. Les femmes se marient de moins en moins, et de plus en plus tard. Quand elles ont leur premier enfant, 70 % des Noires ne sont pas mariées, contre 30 % des Blanches. Les célibataires sont désormais plus nombreuses que les femmes mariées. 
En politique, la parité est loin d’être atteinte : le Congrès ne compte que 19,4 % d’élues. La quasi-totalité des postes de gouverneur sont tenus par des hommes (44 sur 50). Même chose pour les maires, avec seulement 18,8 % de femmes à la tête des villes de plus de trente mille habitants. 
« Jamais le comportement d’un Trump n’aurait été admis de la part d’une femme ! Les interdits les concernant — ne pas avoir soif de pouvoir, par exemple — restent forts, de même que les stéréotypes sur la femme “idéale” », observe cet enseignant en sciences sociales à l’université Lawrence d’Appleton, dans le Wisconsin.
Ces barrières sont autrement plus hautes pour les Afro-Américaines.  « Le simple fait d’être autre chose qu’un homme blanc, en bonne santé, appartenant à la classe moyenne, est un défi aux États-Unis »,explique Roxane Gay, figure noire du féminisme américain.  « Et puis, à tout moment, un policier peut nous blesser ou nous tuer, puisque nous sommes noires… ».
« Une femme sur cinq est violée aux États-Unis, et une sur quatre est physiquement violentée par son partenaire », indique Mme Meghan Rhoad, responsable des droits des femmes au sein de Human Rights Watch. La non-ratification par les États-Unis de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée par les Nations unies en 1979 (5), est restée en travers de la gorge des féministes de la première génération.  L’absence de mention explicite de l’égalité entre les sexes dans la Constitution américaine est un autre motif de ressentiment.
De petits signes indiquent que les rôles sont de moins en moins figés, en particulier au sein de la jeunesse diplômée.  En début d’année, garçons et filles arrivent en classe « assez indifférents, ou plutôt ignorants ». Asma Halim leur demande : « Qui se dit féministe ici ? » En général, la moitié des filles lèvent la main ; mais, cette année, il y a eu « en plus deux garçons ». À la fin de l’année, l’enseignante a reposé la question. Cette fois, « toute la classe a levé la main ! ».

6. « Le président Santos contraint de renégocier avec les FARC : pourquoi les Colombiens ont rejeté la paix », Gregory Wilpert, écrivain
Tous les sondages donnaient le « oui » gagnant avec une marge confortable. Le 2 octobre, les Colombiens ont pourtant rejeté l’accord de paix entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), qui orchestrait la fin d’un conflit vieux de plus d’un demi-siècle. Tout aussi étrange, la participation n’a atteint que 37,4 %. Le pays préférerait-il la guerre à la paix ?
Les FARC ont essuyé de lourdes pertes, notamment du fait de la surenchère répressive de l’ancien président Álvaro Uribe (2002-2010), qui avait mobilisé toutes les ressources de l’État pour anéantir les mouvements de guérilla. 
Le tournant néolibéral a cependant été contrarié par la guerre civile : les FARC et les autres acteurs du conflit ont imposé des taxes aux propriétaires terriens ; les enlèvements avec demande de rançon se sont multipliés ; les entreprises ont dépensé des fortunes pour assurer leur sécurité…
Les négociations, qui se sont ouvertes en septembre 2012 à La Havane, visaient six grands objectifs : fixer les modalités d’un cessez-le-feu et d’un dépôt des armes ; rendre justice aux victimes de la guerre civile, qui a fait 220 000 morts ; résoudre le problème du trafic de drogue ; soutenir le développement rural, la pauvreté dans les campagnes étant l’un des principaux facteurs déclencheurs du conflit ; permettre aux anciens combattants de s’engager dans la vie politique et, plus largement, favoriser la participation de la population ; enfin, assurer la mise en place et le suivi de l’ensemble des accords. Soucieux d’en renforcer la légitimité, M. Santos a tenu à organiser un référendum national au sujet du document final — une proposition que les FARC, surmontant leurs réticences initiales, ont fini par accepter. Il s’en mord sans doute les doigts.
L’accord ne prévoit ni la transformation du système économique ni la résorption des inégalités foncières, dans un pays où 1 % de la population possède plus de 50 % des terres. Autrement dit, il ne traite aucun des problèmes qui sont à l’origine du conflit.
Le camp du « oui » a également souffert d’une autre faiblesse : l’impopularité du président Santos, liée aux difficultés économiques du pays, où le chômage atteint 9 % et l’inflation, 7 %.
  Les handicaps de la campagne du « oui » ont rendu celle de l’autre camp d’autant plus facile.  L’une des principales stratégies consistait à susciter « l’indignation »en diffusant des informations partielles ou fallacieuses.  De sorte que, pour 32 % de la population, les FARC sont les principales instigatrices de la violence en Colombie, alors que toutes les études s’entendent pour établir une autre hiérarchie des responsabilités : l’État ; la population en général ; les paramilitaires ; les narcotrafiquants ; et enfin la guérilla.
Néanmoins, le rejet de l’accord s’explique surtout par le faible taux de participation : 18 % des électeurs ont voté « non », tandis que 63 % n’ont pas voté du tout. Les intempéries du 2 octobre dans les régions côtières ont sans aucun doute joué un rôle dans cette abstention massive, qui a atteint 75 % dans le département de Magdalena et 80 % dans celui de La Guajira.  Mais elle résulte sans doute également de la dépolitisation de la société, fruit de la répression et de la manipulation médiatique qui caractérisent l’histoire récente du pays. Les « escadrons de la mort » des paramilitaires ont pratiquement éliminé toute une génération de militants et de défenseurs des droits sociaux. 

7. « L'Eglise contre le choix ds femmes : avortement, l'obscurantisme polonais », Audrey Lebel, journaliste
Face à la mobilisation massive des Polonaises début octobre, le parti au pouvoir Droit et justice (PiS) a renoncé à étendre l’interdiction de l’avortement aux cas de viol ou de malformation du fœtus. Mais, soumis à la pression des militants catholiques et de l’Église, le pays demeure, avec l’Irlande, le plus restrictif d’Europe.
Alors que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) était autorisée et gratuite entre 1956 et 1993, la Pologne dispose maintenant de l’une des législations européennes les plus restrictives. Seules trois exceptions sont prévues : en cas de risque pour la santé de la mère ; en cas de malformation ou de maladie du fœtus ; à la suite d’un viol ou d’un inceste. 
La majorité des médecins invoquent la clause de conscience, quand ils ne font pas traîner la procédure afin d’empêcher l’intervention dans la durée légale de vingt-deux semaines. 
Des catholiques manifestent devant les hôpitaux en brandissant des photographies sanglantes. Dans certaines villes du Sud, plus aucun hôpital ne peut pratiquer d’interruption de grossesse.
Seul le danger immédiat pour la mère serait resté pris en compte. Les médecins auraient eu l’obligation de signaler toutes les fausses couches à la police, et les femmes convaincues d’avoir avorté auraient encouru une peine de cinq ans de prison.
En Pologne, le marché noir ne connaît pas la crise. Il faut compter 3 000 à 4 000 złotys (700 à 930 euros) pour un avortement, soit l’équivalent d’un mois de salaire. Le tout parfois sans anesthésie, souvent sans suivi médical. 
Les médecins ou les personnes qui aident une femme à avorter clandestinement risquent deux ans de prison.
Dans la Pologne postcommuniste, on ne badine pas avec la religion.  Rien d’étonnant à ce que, dans la dernière proposition de loi sur l’IVG, on ait pu trouver des passages des Évangiles ou des citations de Jean Paul II. Dans le pays natal de l’ancien pape, le taux de ceux qui se déclarent catholiques reste très élevé. Après le changement de régime, en 1989, l’Église a obtenu la mise en place des cours de religion à l’école. Quant aux cours d’éducation sexuelle instaurés en 1973, ils ont été supprimés.
Aujourd’hui, même la contraception ne va pas de soi. Dans les grandes villes, il est plus facile de se faire prescrire la pilule ou d’acheter des contraceptifs. On peut se fondre dans la masse. Mais les médecins de campagne refusent de prescrire la pilule, même à des fins thérapeutiques. 

8. « Les enseignants aux bons soins du patronat », Sylvain Leder et Renaud Lambert
Le patronat ne ménage pas ses efforts pour sensibiliser les enseignants aux vertus de l’entreprise, notamment par le biais des Entretiens Enseignants-Entreprises (EEE).
Les EEE ont été créés en 2003 par l’Institut de l’entreprise, un think tank réunissant certaines des plus grandes sociétés françaises, dont le site Internet proclame la mission : « mettre en avant le rôle et l’utilité de l’entreprise dans la vie économique et sociale » et « le resserrement des liens entre le monde enseignant et l'entreprise ». On invite les enseignants à s’engager : « Votre rôle dans cette lutte urgente contre l’euroscepticisme est très important : faire en sorte que ces jeunes générations en attente d’Europe ne finissent pas par basculer dans la désillusion. »  Le lien avec l’entreprise « est une priorité du ministère », car « l’école ne peut rien faire sans les entreprises ». Quand on se plaint de la façon dont l’école fait les yeux doux aux patrons, on s’entend répondre : “Il faut bien préparer les enfants au monde de l’entreprise ! »
« L’école ne peut rien faire sans les entreprises » ? Les entreprises semblent convaincues de la réciproque. Interventions répétées sur le contenu des programmes, lobbying à l’Assemblée : elles ne ménagent aucun effort pour tenter de séduire le corps enseignant.  L’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (Apses) dénonce la transformation du ministère de l’éducation nationale en « relais de la propagande d’un lobby patronal  ».
Dans l’amphithéâtre de l'EEE, on retrouve la préoccupation des intervenants pour l’Europe. Une Europe menacée par « la recrudescence de la menace terroriste, la montée des populismes et des discours protectionnistes », selon M. Huillard.
Et quel serait l'unique échec de l'Europe selon lui ? L’Europe politique. Car le Vieux Continent souffrirait d’un excès de démocratie : « On se tire une balle dans le pied à estimer que tout doit être validé par les Parlements nationaux ! »
Et d'inviter la France à supprimer le salaire minimum, « une absurdité en Europe »... Tonnerre d'applaudissements à la tribune...et dans la salle.
Président de la Fédération française de l’assurance et du pôle International et Europe du Medef, M. Bernard Spitz enfonce le clou en invitant les professeurs « à remettre l’entreprise au centre »,non seulement « en ce qui concerne le contenu des programmes »,mais également pour le « financement ».

9. « Impopularité des traités avec le Canada et les Etats-Unis : le libre-échange divise la société allemande », Peter Wahl président de l'association Worl Economy, Ecology and Development (WEED)
En refusant pendant une semaine d’approuver l’Accord économique et commercial global (AECG ou CETA) entre le Canada et l’Union européenne, le Parlement de Wallonie (Belgique) s’est attiré les foudres des dirigeants européens et des éditorialistes. Or ce traité de libre-échange alimente une forte contestation populaire. Notamment en Allemagne, où il fracture la société.
C’est en Allemagne, troisième pays exportateur du monde, que s’est développée l’une des plus fortes mobilisations européennes contre les accords de libre-échange entre l’Amérique du Nord et le Vieux Continent : le grand marché transatlantique (GMT, plus connu sous son sigle anglais Tafta), en cours de négociation, et l’Accord économique et commercial global (AECG, souvent désigné par son acronyme anglais CETA), entré dans sa phase de ratification. Le 17 septembre 2016, des manifestations organisées dans sept grandes villes ont rassemblé 320 000 participants selon les organisateurs, 190 000 selon la police. Le 10 octobre 2015, 250 000 marcheurs venus de tout le pays avaient défilé à Berlin. Cette mobilisation contre la politique commerciale européenne constitue l’un des plus grands mouvements de protestation depuis la réunification. 
En juin 2016, les trois quarts des personnes interrogées rejetaient le GMT. Placé plus tardivement au centre du débat public, l’AECG suscite également plus de rejet que d’adhésion.
La contestation agrège un front social aussi large qu’hétérogène : défense de l'environnement et des consommateurs, altermondialistes, Confédération allemande des syndicats, Conseil de la culture, Assemblée des communes allemandes...
Les juridictions spéciales, qui permettent aux investisseurs d’attaquer des États et des collectivités locales, cristallisent le rejet. L’Association des magistrats allemands (DRB) a pris position contre leur mise en place, y compris contre la nouvelle mouture échafaudée pour faire pièce à la critique : une cour d’arbitrage constituée de juges professionnels et assortie d’une cour d’appel. 
Parmi les partis représentés au Bundestag, les deux formations d’opposition, le parti de gauche Die Linke et les Verts, ont d’emblée contesté les accords. 
Dans le camp d’en face, on trouve les représentants des intérêts des entreprises, une grande majorité d’économistes académiques — néolibéraux pour la plupart, en Allemagne plus encore qu’ailleurs —, le gouvernement fédéral, l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et l’Union chrétienne-sociale en Bavière (CSU). La Fédération de l’industrie allemande (BDI) voit dans le GMT des perspectives de croissance .
Partisane depuis une décennie d’un accord avec les États-Unis et le Canada, la chancelière Angela Merkel campe toujours sur cette ligne. 
La position du Parti social-démocrate (SPD) n’a pour sa part rien de clair ni de lisible.  Pour les Verts « « Il n’y aura de réel progrès que lorsqu’on mettra fin au CETA et qu’on reprendra les négociations à zéro » . À mille lieues de cet état d’esprit, la présidence et le bureau du SPD ont approuvé le compromis à une majorité écrasante. 
Ce débat aura mis à nu la contradiction du SPD, qui prétend défendre les salariés, mais adopte des décisions qui vont encore et toujours à l’encontre de leurs intérêts.  Depuis les réformes néolibérales menées par la coalition social-démocrate-verte sous la houlette de M. Gerhard Schröder (1998-2005), sa base électorale s’érode. 

10. « Des missionnaires aux mercenaires », Jean-Michel Quatrepoint, journaliste
La stratégie d’influence des États-Unis s’exerce de manière spectaculaire à travers le pantouflage des élites, notamment européennes, dans de grandes entreprises américaines. Dernier exemple en date — ô combien symbolique : la décision de M. José Manuel Barroso de rejoindre la banque Goldman Sachs. 
M. Barroso n’est pas le seul commissaire à se reconvertir dans des fonctions lucratives : ce fut le cas récemment de Mme Neelie Kroes (Bank of America) et de M. Karel De Gucht, négociateur et thuriféraire du grand marché transatlantique (CVC Partners). M. Mario Draghi est, quant à lui, directement passé de Goldman Sachs à la présidence de la Banque d’Italie, puis à celle de la Banque centrale européenne (BCE).
Ces allers-retours entre public et privé relèvent de pratiques courantes aux États-Unis.  Le big business sait récompenser ceux qui l’ont bien servi.
Au cours de la décennie 1990, la mondialisation a accéléré le pantouflage. Désormais, les grands établissements financiers américains, qui veulent pénétrer le marché français et européen, font leurs emplettes au sein de l’élite hexagonale.  Banques et fonds d’investissement leur font miroiter la perspective de gagner en quelques années autant que durant toute leur carrière passée. Tentant ! 
Les énarques dits « de gauche » ne sont pas les derniers à succomber aux sirènes de ce capitalisme de connivence. 
Hier, ou plutôt avant-hier, les fonctionnaires issus des grands corps de l’État — s’ils pantouflaient déja — s’estimaient investis d’une mission : ils servaient la nation. À partir des années 1990, les mentalités changent. La mondialisation a transformé les missionnaires en mercenaires. Le capitalisme débridé a remplacé le capitalisme d’État.
Ce mouvement s’est amplifié au fil des ans.  Les branches françaises des cinq grandes banques d’investissement américaines sont toutes dirigées par un énarque.
Proposer de belles fins de carrière aux seniors, miser sur quelques personnages-clés dans le Tout-Paris médiatico-politique, investir dans de jeunes cadres prometteurs : tels sont les axes de ce soft power qui s’exerce aux quatre coins de la planète. 
L’expatriation des capitaux s’accompagne désormais d’un exode des jeunes diplômés vers les États-Unis, mais aussi vers Londres, Singapour ou ailleurs. Ce sont bien souvent les enfants de cette nouvelle caste de managers mercenaires, les relations des parents aidant à leur trouver des postes intéressants dans les multinationales. Dans ce monde globalisé, les élites françaises ont adopté les mêmes comportements et les mêmes ambitions que leurs homologues américaines.

Bolcho
avatar 06/12/2016 @ 17:51:51
Le Monde Diplomatique décembre 2016

1. « La déroute de l'intelligentsia (dossier Etats-Unis) », Serge Halimi
Les Américains n’ont pas seulement élu un président sans expérience politique : ils ont également ignoré l’avis de l’écrasante majorité des journalistes, des artistes, des experts, des universitaires. Le choix en faveur de M. Donald Trump étant souvent lié au niveau d’instruction des électeurs.
Si un homme presque universellement décrit comme incompétent et vulgaire a pu devenir président des États-Unis, c’est que, désormais, tout est possible. 
La plupart des électeurs protestataires résident souvent fort loin des grands centres de pouvoir économique, financier, mais aussi artistique, médiatique, universitaire. New York et San Francisco viennent de plébisciter Mme Hillary Clinton.

2. « Aux racines de la débâcle, triomphe du style paranoïaque », Ibrahim Warde, professeur dans le Massachusetts
M. Donald Trump, homme d’affaires sans expérience politique rendu célèbre par la télé-réalité, a remporté l’élection présidentielle américaine. Avec deux millions de voix de moins que son adversaire sur l’ensemble du pays, il doit sa victoire aux États-clés de la Rust Belt (« ceinture de la rouille ») qu’a délaissés Mme Hillary Clinton, jugée distante par les ouvriers blancs et méprisante par les Américains peu diplômés.
M. Trump a bénéficié d’une transformation en profondeur de l’univers médiatique et du discours politique. Autrefois, la plupart des Américains recevaient leurs informations quotidiennes par l’une des trois grandes chaînes de télévision (ABC, CBS et NBC). Un centrisme de bon aloi prévalait.  La généralisation du câble, du satellite et surtout de l’Internet a fait sauter les digues qui avaient longtemps encadré le débat politique.
La création en 1996 de Fox News a marqué un tournant. La chaîne d’information en continu fit ses choux gras des scandales qui devaient marquer le second mandat de M. Clinton. La formule, qui érigeait le débat politique en sport de combat, connut un succès spectaculaire. Avec son matraquage de thèmes réactionnaires, la chaîne devint vite la vache à lait de l’empire médiatique de M. Rupert Murdoch. Fox News contribua à purger le camp républicain de ses derniers modérés et à déplacer l’univers médiatique vers la droite.
Les publications dites de l’alt-right, ou alternative right (« droite alternative »), sont allées plus loin encore dans l’outrance et la démesure. C’est justement l’une des figures de proue de ces « médias de caniveau »  que le candidat républicain a choisie en août 2016 pour relancer sa campagne.
La presse dite respectable poursuit son déclin, tandis que les médias à sensation, parfaitement adaptés au style paranoïaque, gagnent sans cesse du terrain. M. Trump, lui, doit sa notoriété, sinon sa carrière, aux tabloïds.   Les articles sur le magnat dopent les ventes, tandis qu’il bénéficie d’une publicité gratuite.
Procédurier, pinailleur, âpre au gain, M. Trump a suivi un parcours judiciaire hors normes. On estime qu’il a été impliqué au cours des trente dernières années, comme plaignant ou comme accusé, dans plus de 3 500 procès.
Milliardaire, M. Trump l’est finalement devenu non du fait de ses talents d’homme d’affaires, mais grâce à la télé-réalité.  Maîtrisant à merveille la dramaturgie de ce type d’émissions, il sait mettre en scène les attentes et les peurs du public. 

3. « Comment perdre une élection », Jérome Karabel, professeur de sociologie à Berkeley
Un adversaire désavoué par son propre camp, une évolution démographique favorable, des moyens financiers considérables : les démocrates avaient toutes les cartes en main pour remporter l’élection présidentielle. Ils ont finalement été défaits, victimes de leur stratégie désastreuse.
Arrivé à la Maison Blanche au milieu de la plus grave crise économique que le pays ait connue depuis les années 1930, M. Obama s’est d’abord employé à éviter un effondrement général. Si, avec son plan de relance de 800 milliards de dollars, il s’est écarté du dogme de l’austérité, il a veillé à respecter les autres fondements de l’orthodoxie néolibérale, se gardant d’adopter la moindre mesure qui pourrait entamer la « confiance des entreprises » et volant au secours des institutions financières, y compris celles qui étaient responsables de la crise.
Quand Mme Clinton a annoncé sa candidature à la présidentielle, en avril 2015, elle bénéficiait du soutien quasi unanime de l’élite du Parti démocrate.
Les conseillers de l’ancienne sénatrice furent ravis de découvrir M. Donald Trump comme seul obstacle vers la Maison Blanche : il avait tenu d’innombrables propos racistes, xénophobes et sexistes pendant la campagne des primaires.
À la différence de MM. Trump et Sanders, Mme Clinton a peiné pour trouver un slogan : elle en a testé pas moins de 85, pour finalement s’arrêter sur l’insipide « Stronger together » (« L’union fait la force »).
Et sa campagne ne pouvait guère diverger des intérêts de Wall Street, qui la finançait.
Misogyne et accusé de harcèlement sexuel, M. Trump a néanmoins remporté 53 % des suffrages de l’ensemble des femmes blanches, et 67 % de celles qui n’ont pas de diplôme universitaire. M. Trump l’a emporté dans les quatre États de la « ceinture de la rouille » parce qu’il a envoyé un message clair. Tournant le dos à l’orthodoxie républicaine, il a attaqué sans relâche les accords de libre-échange et les délocalisations. Il a également dénoncé la présence sur le sol américain de millions de clandestins et l’incapacité du pays à protéger ses frontières. Il a enfin critiqué l’engagement des États-Unis dans des guerres inutiles, en Irak, en Libye ou ailleurs. 
Mme Clinton a négligé de s’adresser à ces électeurs. Elle n’est pas allée une seule fois dans le Wisconsin pendant sa campagne. Elle n’a jamais semblé se soucier des conditions de vie de la classe ouvrière. La rupture entre les classes populaires blanches et les démocrates dépasse la seule question économique. S’y ajoute une dimension culturelle, liée au sentiment (pas totalement injustifié) qu’éprouvent nombre de travailleurs blancs d’être méprisés par l’élite progressiste. 
Aux États-Unis comme ailleurs, 2016 a été l’année d’un soulèvement « populiste ». 
Mais les populismes de gauche et de droite sont fondamentalement distincts. Tous deux défendent « le peuple contre l’élite », mais le second accuse celle-ci « de dorloter un troisième groupe, qui peut être les immigrants, les musulmans ou les militants afro-américains ».Avec M. Trump, la version droitière a triomphé. Mais, alors que ce n’est pas le cas dans plusieurs pays européens, aux États-Unis, une alternative progressiste crédible existait, matérialisée par la candidature de M. Sanders...

4. « Tir groupé contr Bernie Sanders », Thomas Frank, journalliste
La presse américaine s’est employée à discréditer tous les candidats qui lui déplaisaient, à commencer par le sénateur « socialiste » du Vermont Bernie Sanders. le Washington Post a servi de boussole et de métronome à la campagne de dénigrement menée contre le candidat progressiste — qui proposait une assurance- maladie universelle et publique, une forte augmentation du salaire minimum, la gratuité des universités, etc. « Les milliardaires ont fait plus pour les causes progressistes que Bernie Sanders », juge-il même... La liste des erreurs prêtées au candidat socialiste ne cesse de s’allonger et de se diversifier.  Il est également accusé d’utiliser la ploutocratie (le gouvernement des riches) comme un « bouc émissaire commode » pour masquer son absence de projet. 
Puis on en vient au soupçon que les questions raciales l’indifféreraient.   Selon Jonathan Capehart, membre du comité éditorial du Washington Post,M. Sanders ne sait pas « parler des questions de race sans tout ramener à la classe et à la pauvreté ».
En février le Washington Post reproche au sénateur de critiquer implicitement Obama quand il prétend qu'il serait possible de faire mieux en matière de lutte contre les inégalités sociales ou de couverture sociale.
En fait, M. Sanders s'est lancé dans la course aux primaires avec des idées qui heurtaient le Washington Post et la plupart des quotidiens de son rang. Pour avoir leur appui, mieux vaut s’en tenir au consensus, à l’adoration du « pragmatisme », à l’amour du bipartisme, au mépris des « populistes ». Ces ingrédients composent l’idéologie de la classe dominante.
Aucun groupe ne connaît plus intimement l’histoire du déclin de la classe moyenne que les journalistes. Pourquoi ceux qui occupent les sommets de cette profession moribonde s’identifient-ils donc aux suffisants, aux satisfaits, aux puissants ? Pendant toute la primaire démocrate, les journaux américains « de référence » ont martelé que le sénateur du Vermont n’avait pas la moindre chance de remporter l’élection présidentielle.
Il y avait une raison évidente à cela : la force de M. Trump venait des classes populaires blanches, qui appréciaient encore davantage les propositions de M. Sanders. À l’inverse, Mme Clinton était impopulaire, plombée par les scandales, incapable de se faire entendre des travailleurs. Tous les médias américains se sont pourtant rangés derrière elle avec un unanimisme et un enthousiasme inédits.
La croisade des médias pour la candidate démocrate ne s’est pas achevée comme prévu. Le militantisme passionné des journalistes a engendré un contrecoup titanesque, avec lequel la planète va devoir vivre pendant les quatre années qui viennent.

5. « Qui sont les rebelles syriens ? », Bachir El-Khoury, journaliste
La multitude et la diversité des acteurs armés qui participent à la bataille d’Alep, et dont beaucoup viennent de l’étranger, expliquent la durée et l’extension du conflit syrien.  S’agissant de l’opposition armée au régime de M. Bachar Al-Assad, on discerne trois types de groupes.
Les motivations politico-religieuses des forces progouvernementales sont assez simples à appréhender. Qu’elles soient partiellement ou totalement inféodées à l’Iran, il s’agit pour les milices chiites d’empêcher la chute du régime alaouite et de faire obstacle à la prise du pouvoir par ceux qu’elles qualifient de « salafistes » et de « takfiristes ». À l’inverse, dans le camp rebelle, le jeu des alliances et la multiplication tant des acteurs que de coalitions souvent éphémères rendent difficile la distinction entre « radicaux » et « modérés » que le cessez-le-feu de septembre était censé établir. En outre, plusieurs de ces groupes opposés au régime se sont radicalisés par opportunisme, par obligation tactique ou par conviction. 
Dans un pays musulman où le référent religieux demeure prégnant, le lien à l’islam ne doit pas être surinterprété. Pour Raphaël Lefèvre, spécialiste de la Syrie et enseignant à l’université d’Oxford : «  Même quand certains groupes se revendiquent clairement d’un référent idéologique que l’on peut qualifier d’islamiste, ils tiennent un discours qui met en valeur leur volonté de construire un État qu’ils appellent “civil”, dans lequel la citoyenneté serait attribuée à tous sans distinction religieuse et qui serait régi par un système parlementaire. »

6. « Conforter l'indépendance du « Monde Diplomatique », pierre Rimbert
S’offrir un média national, même croulant sous les dettes, revient à emprunter la voie rapide vers le champ du pouvoir. 
La transformation des rapports entre la presse, le pouvoir, l’argent et les intellectuel s’amorce dès les années 1980. Le Nouvel Observateur, que Bourdieu qualifiait de « Club Méditerranée de la culture », accompagne alors à grand bruit le tournant libéral des socialistes. Plus près de nous, Le Monde des années 1995-2005 rassemble déjà les ingrédients constitutifs de la presse d’industrie qui désormais scandalise Laurent Mauduit. Un trio indissociable composé d’Edwy Plenel, directeur de la rédaction et directeur adjoint de l’entreprise, d’Alain Minc, président du conseil de surveillance, et de Jean-Marie Colombani, directeur de la publication, préside alors aux destinées du quotidien vespéral. Ils changeront le journal en groupe de presse, feront entrer des industriels au capital, se rapprocheront de Lagardère (copropriétaire de sa filiale numérique Le Monde interactif), noueront un partenariat avec Bouygues.
Le Monde occupait alors une position centrale et structurante au sein du champ journalistique français. Qu’il glisse à droite, et le centre de gravité éditorial bougerait avec lui. 
« Le temps est venu de se révolter contre l’état de servitude dans lequel sont placés la presse et tous les grands médias d’information, radios et télévisions », écrit aujourd’hui le cofondateur de Mediapart.

7. « Vieillir au féminin », Juliette Rennes,sociologue
En avril 2016, en Suisse, une octogénaire a demandé — et obtenu — une aide au suicide car, « très coquette » selon son médecin, elle ne supportait pas de vieillir. Un signe du stigmate particulier attaché à l’avancée en âge chez les femmes. En France, deux personnalités se sont emparées de cette question longtemps négligée par les féministes : Benoîte Groult et Thérèse Clerc, toutes deux disparues cette année.
En matière de séduction, remarque-t-elle, deux modèles masculins coexistent, le « jeune homme » et l’« homme mûr »,contre un seul côté féminin : celui de la « jeune femme ». 
En France, c’est seulement dans les années 2000 que des analyses mettent en relation sexisme et âgisme. Benoîte Groult et Thérèse Clerc, toutes deux disparues en 2016 aux âges respectifs de 96 et 88 ans, font partie de ces penseuses et militantes qui ont cherché à politiser leur propre vieillissement dans une perspective féministe.
Militante, à partir de 1986, au sein de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, Benoîte Groult met en relation le combat pour l’euthanasie avec les luttes féministes pour la libre disposition de son corps. 
Dans un documentaire, en 2005, Benoîte Groult évoquait une expérience courante de l’avancée en âge : c’est d’abord à travers le regard des autres qu’elle s’était vue vieillir :  elle voyait changer l’attitude des autres à son égard, se développer une forme d’indifférence, de commisération et parfois de mépris à peine voilé.
Traditionnellement, une femme qui ne dissimule pas sa vieillesse et qui assume d’avoir (encore) des désirs dérange, voire dégoûte, plus encore qu’un homme. 
Thérèse Clerc assumait le rôle de contestatrice de l’ordre des âges. Chez celles et ceux qui étaient un peu plus jeunes, elle parvenait à distiller, au sein de l’anxiété intime, une forme de curiosité, sinon de désir, pour cette étrange étape à venir : la vieillesse. Alors que Benoîte Groult cherchait, en tant qu’écrivaine, à rendre compte au plus près de son expérience et à lui donner une forme littéraire, le rapport de Thérèse Clerc à la vieillesse était d’abord politique : elle percevait dans ce statut discrédité une position privilégiée pour questionner un certain nombre de normes sociales qui contraignent plus directement les adultes « dans la force de l’âge ». Elle considérait la vieillesse comme un moment propice pour défier, à travers des événements concrets, l’organisation âgiste de la société.
Disséminer de telles expérimentations est en soi un parcours jonché d’obstacles. Quand tout est organisé pour qu’une partie de la population accepte l’idée d’avoir « passé l’âge » de contribuer à la (re)production de la société, et peut-être même à sa contestation, encore faut-il qu’aux marges se développent des espaces de critique sociale accueillants pour celles et ceux dont « le ticket n’est plus valable ».

Guigomas
avatar 08/12/2016 @ 14:31:44
Le Monde Diplomatique décembre 2016

En matière de séduction, remarque-t-elle, deux modèles masculins coexistent, le «jeune homme» et l «homme mûr»


Pas d'accord, il y en a 3, il y a aussi le riche vieillard.

Saint Jean-Baptiste 08/12/2016 @ 16:11:53


7. ;Vieillir au fémininmûr,

... contre un seul côté féminin : celui de la « jeune femme ». 

Pas d'accord non plus ! Une couguar bien dans ses papiers a un grand pouvoir de séduction auprès des petits jeunes désargentés...

Saint Jean-Baptiste 08/12/2016 @ 16:34:06
Le Monde Diplomatique décembre 2016

1. « La déroute de l'intelligentsia (dossier Etats-Unis) », Serge Halimi
Les Américains (...) ont également ignoré l’avis de l’écrasante majorité des journalistes, des artistes, des experts, des universitaires.

C'est justement ça dont le monde ne veut plus : cette espèce de connivence entre « journalistes, artistes, experts, universitaires »..., auxquels on pourrait ajouter les endoctrineurs, les laveurs de cerveau, les je-sais-tout, les donneurs de leçons, ceux qui savent mieux que vous ce qui est bon pour vous et qui veulent faire votre bonheur malgré vous.
Mais ceux-là n'ont encore rien compris, maintenant ils vont nous expliquer pendant sept ans pourquoi on a mal voté.

Saule

avatar 08/12/2016 @ 17:40:20
Mais est-ce une raison pour élire n'importe quel imbécile venu ?

Saint Jean-Baptiste 09/12/2016 @ 12:10:33
Mais est-ce une raison pour élire n'importe quel imbécile venu ?
Non, évidemment ! Mais ces élections pour un président n'ont plus aucun sens. Ces candidats qui se trémoussent devant un public de fans, qui s'insultent, qui font un spectacle comme les stars d'Hollywood, ça ne peut donner que des résultats stupides.

On devrait interdire ces parades. Les candidats devraient écrire leur programme en 12 points et ceux qui l'ont lu iraient voter.

Saint Jean-Baptiste 09/12/2016 @ 15:10:48
Dans son article, Serge Halami affirme que les Américains « ont également ignoré l’avis de l’écrasante majorité des journalistes... »

L'article suivant, de Ibrahim Warde, professeur dans le Massachusetts, explique le contraire : « M. Trump a bénéficié d’une transformation en profondeur de l’univers médiatique ».

Plus loin, il nous dit : « La chaîne d’information en continu fit ses choux gras des scandales qui devaient marquer le second mandat de M. Clinton. La formule, qui érigeait le débat politique en sport de combat, connut un succès spectaculaire. ...
« Fox News contribua à purger le camp républicain de ses derniers modérés et à déplacer l’univers médiatique vers la droite ».
Les média ont donc bien conditionné l'opinion publique.

Et de confirmer le rôle des médas sur l'opinion : « C’est justement l’une des figures de proue de ces « médias de caniveau » que le candidat républicain a choisie en août 2016 pour relancer sa campagne ».
« La presse dite respectable poursuit son déclin, tandis que les médias à sensation, parfaitement adaptés au style paranoïaque, gagnent sans cesse du terrain. M. Trump, lui, doit sa notoriété, sinon sa carrière, aux tabloïds. Les articles sur le magnat dopent les ventes, tandis qu’il bénéficie d’une publicité gratuite ».

4. « Tir groupé contre Bernie Sanders », Thomas Frank, journaliste
L'article de Thomas Frank souligne, lui aussi, le rôle des média :
« La presse américaine s’est employée à discréditer tous les candidats qui lui déplaisaient, à commencer par le sénateur « socialiste » du Vermont Bernie Sanders ».
« Pendant toute la primaire démocrate, les journaux américains « de référence » ont martelé que le sénateur du Vermont n’avait pas la moindre chance de remporter l’élection présidentielle ».

Alors qui dit vrai ? Sergée Halami qui prétend que les Américains n'ont pas suivi les journalistes, ou les deux autres articles qui démontrent à quel point les médias ont eu leur rôle à jouer dans l'élection de Trump ?



Minoritaire

avatar 09/12/2016 @ 21:11:38
On devrait interdire ces parades. Les candidats devraient écrire leur programme en 12 points
???
Pourquoi douze? Tu ne sais pas compter plus loin?
et ceux qui l'ont lu iraient voter.
Ils devraient le réciter avant d'entre dans l'isoloir?

Saule

avatar 10/12/2016 @ 09:08:26
Lors de la course à la présidence, il y avait chaque semaine un article contre Trump dans Newsweek. Mais les gens qui lisent Newsweek ne sont pas ceux qui votent Trump et c'est pourquoi la presse traditionnelle n'a pas pu influencer l'élection. Par contre la campagne de dénigrement contre Sanders a pu trouver un écho dans les lecteurs, car ceux qui soutenaient Clinton lisaient ces média traditionnels. Ca peut expliquer ce paradoxe mis en avant par SJB et qui m'avait aussi frappé.

La semaine dernière, dans mon quotidien (centriste, c'est La Libre Belgique), il y avait un éditorial qui présentait comme très mauvais un non au référendum en Italie (un vote contre Rezzi). Or, ce même w-e, la gauche progressiste européenne incarnée par Varouflakis, publiait un communiqué dans lequel il préconisait le non au référendum. Une des raisons était de donner tort à cette volonté européenne de faire croire qu'il n'y a aucune alternative. Comme quoi il faut rester très critiques vis-à-vis de la presse (et bien sur n'accorder aucune confiance aux média sociaux bourrés de contre-vérité et de propagande.

Saint Jean-Baptiste 10/12/2016 @ 12:17:53
On devrait interdire ces parades. Les candidats devraient écrire leur programme en 12 points
???
Pourquoi douze? Tu ne sais pas compter plus loin? et ceux qui l'ont lu iraient voter.

Ils devraient le réciter avant d'entre dans l'isoloir?

Le Roi Albert Ier disait : tout ce que j'ai à dire, je peux le dire en douze minutes.
Ses détracteurs disaient : c'est qu'il n'a pas grand chose à dire...
Mais pour moi, il avait raison : au delà de douze minutes, plus personne n'écoute.

Que les candidats fassent leur programme en douze points, ça suffira. Le treizième, plus personne ne le lira.
Et au moment du vote on demandera : vous avez lu les programmes ? Et seulement ceux qui répondront oui pourront voter. Il faut bâtir une société sur la confiance, n'est-il pas.

Bolcho
avatar 29/12/2016 @ 16:34:53
Monde Diplo janvier 2017

1. « Le monde selon Donald Trump », Michael Klare, professeur au Hampshire College
M. Trump ne partage pas la vision commune à la plupart des responsables politiques, républicains ou démocrates. Homme d’affaires new-yorkais ayant des intérêts dans le monde entier, il est étranger à toute conception structurée attribuant des rôles définis aux alliés, amis et ennemis. Il se retrouve donc dans l’approche de M. Rex Tillerson, le patron d’ExxonMobil, qu’il a choisi comme secrétaire d’État. Les deux hommes perçoivent le monde comme une vaste jungle où la concurrence est la règle et où chances et périls peuvent se présenter en tous lieux, indépendamment de la loyauté des pays concernés ou de leur hostilité présumée envers Washington.
Chaque État sera donc jugé à l’aune de sa contribution aux intérêts américains, et M. Trump compte utiliser les instruments dont il dispose pour récompenser les partenaires et châtier les adversaires.  Il faut commencer par le Proche-Orient et la guerre contre l’Organisation de l’État islamique (OEI). En effet, dès le début, M. Trump a clamé que son objectif numéro un serait de « détruire l’OEI » et d’écraser toute autre manifestation du « terrorisme de l’islam radical ».  C’est dans ce cadre que M. Trump imagine une possible alliance avec M. Vladimir Poutine. 
Quant à M. Erdoğan, il a été l’un des premiers chefs d’État étrangers à féliciter M. Trump après sa victoire, et les deux hommes auraient évoqué une coopération accrue contre le « terrorisme ». 

 Il serait toutefois imprudent de prédire une lune de miel durable dans les relations américano-russes. La préoccupation première du nouveau président est de promouvoir les intérêts des États-Unis, ce qui, dans son esprit, exclut toute entente susceptible d’être interprétée comme un renoncement à leur position hégémonique.
Au demeurant, M. Trump est déterminé à renforcer l’armée, alors même que le budget de la seule armée de terre correspond au double de la totalité des dépenses militaires russes. 

Le nouvel occupant de la Maison Blanche prévoit donc que les relations avec Pékin vont se tendre. Cela pourrait-il déboucher sur un conflit armé ? Comme on lui demandait s’il utiliserait la force pour chasser les Chinois de leurs positions en mer de Chine méridionale, il a répondu : « Peut-être… Mais nous avons un grand pouvoir économique sur la Chine : le pouvoir du commerce. »

La manière dont le président élu semble envisager les rapports avec l’Europe et l’OTAN dévoile nettement l’écart entre ses conceptions et celles de ses prédécesseurs.  L'Europe mérite pour lui moins d’attention que des puissances comme la Russie ou la Chine, plus actives dans le « grand jeu » mondial.

L’intérêt que l’OTAN inspire au prochain locataire de la Maison Blanche paraît se résumer à deux préoccupations : imposer aux membres de l’Alliance une contribution financière supplémentaire à la défense commune ; exiger qu’ils se consacrent prioritairement à la guerre contre l’OEI. 

Ce qui, en définitive, résume assez bien la ligne de conduite du prochain président. « L’Amérique d’abord », et tous les autres pays appréciés en fonction d’un seul critère : représentent-ils un atout ou un obstacle dans la réalisation des objectifs américains fondamentaux ?

2. « Au nom de la loi...américaine », Jean-Michel Quatrepoint, journaliste
Il aura fallu les deux amendes colossales infligées en 2014 à BNP Paribas (8,9 milliards de dollars, environ 8,4 milliards d’euros) et à Alstom (772 millions de dollars, environ 730 millions d’euros) pour que dirigeants et médias français prennent conscience de la volonté des États-Unis d’imposer leur modèle juridique et leurs lois aux autres pays, fussent-ils leurs plus proches alliés.
Aux États-Unis, beaucoup se vivent comme membres d’un peuple élu chargé de diffuser la bonne parole et de faire le bien. Ils estiment avoir une compétence universelle, au nom d’une vision universelle. Dès lors, les instruments de cette idéologie, la monnaie (le dollar), la langue (l’anglais), le droit (la common law, par opposition au droit écrit continental européen), ont vocation à s’imposer à tous.
« Il suffit, écrit Me Paul-Albert Iweins, bâtonnier et ancien président du Conseil national des barreaux, qu’une opération contestée ait été libellée en dollars ou qu’un échange de courriels ait transité par un serveur américain pour que la juridiction américaine se reconnaisse compétente.  »
En quelques années, les entreprises européennes ont versé près de 25 milliards de dollars aux diverses administrations américaines. Si l’on ajoute les amendes versées au titre d’autres procédures, notamment pour les banques, on aboutit pour les Européens à un total largement supérieur à 40 milliards de dollars.
L’agressivité juridique américaine tétanise de plus en plus les entreprises et les banques européennes, qui revoient leurs réseaux commerciaux pour les adapter aux normes anglo-saxonnes. 

3. Ce qui attend l'Amérique latine », Alexander Main, analyste politique, Washington
Le décès du dirigeant historique de la révolution cubaine Fidel Castro a plongé dans l’affliction une grande partie des progressistes latino-américains. De l’Argentine au Venezuela, une droite atlantiste et libérale accumule depuis quelque temps les victoires. Doit-elle également se réjouir de l’arrivée au pouvoir du nouveau président américain Donald Trump ?
« Trump ! » Lorsqu’on l’a interrogé sur son candidat préféré à la présidentielle américaine, la réponse du chef d’État équatorien Rafael Correa a surpris.  Pourquoi ? La réponse est simple : « Il est tellement grossier qu’il va provoquer une réaction en Amérique latine, ce qui pourrait renforcer la position des gouvernements progressistes de la région ! » (TeleSur, 29 juillet 2016).
Les pays de la région se sont peu à peu émancipés de l’« aide » du Fonds monétaire international (FMI), dont les programmes d’ajustement structurel avaient entraîné un fléchissement de la croissance et une augmentation de la pauvreté au cours des années 1980 et 1990. 
Les diplomates américains recourent à des méthodes bien rodées pour affaiblir, récupérer ou éliminer des mouvements politiques gênants — entendre « de gauche ». Particulièrement ceux considérés comme idéologiquement proches de feu le président vénézuélien Hugo Chávez.
Depuis 2010, le contexte économique défavorable a affaibli l’Amérique latine, permettant à la Maison Blanche d’enregistrer d’importantes avancées. L’ennemi juré, le Venezuela, s’enfonce dans une crise économique et politique qui le prive de sa capacité à agir sur la scène internationale. 
Dans le même temps, Argentine et Brésil ont basculé à droite après douze années de gouvernements progressistes. Chaque fois, l’administration Obama a apporté son concours à ces évolutions.
Le paysage politique a donc bien changé depuis l’arrivée de M. Obama à la Maison Blanche. Il y a huit ans, la gauche dirigeait la plupart des pays de la région ; elle proclamait son indépendance avec assurance. En remettant les clés du bureau Ovale à M. Trump, M. Obama pourra se prévaloir de nombreuses « réussites » latino-américaines auprès de ceux qui lui reprocheront ses échecs au Proche-Orient et en Europe de l’Est. Honduras, Paraguay, Argentine, Brésil : les gouvernements de gauche sont tombés les uns après les autres, et les États-Unis ont retrouvé une part de leur influence passée dans la région.

M. Trump a nommé davantage d’anciens militaires aux plus hautes responsabilités en matière de sécurité que tout autre président depuis la seconde guerre mondiale. 

Le modèle du plan Colombie pourrait être étendu à de nouvelles régions telles que la zone de la « triple frontière », entre l’Argentine, le Brésil et le Paraguay.

Une certitude : la principale menace pour l’hégémonie américaine dans la région proviendra de Chine. L’accroissement des investissements et des prêts de l’empire du Milieu aux pays latino-américains a contribué à éroder le poids financier et économique de Washington. Les échanges commerciaux ont bondi d’environ 13 milliards de dollars en 2000 à... 262 milliards de dollars en 2013, propulsant la Chine au deuxième rang des destinataires des exportations régionales. 
L’expansion économique de la Chine dans la région a donc représenté une aubaine pour les gouvernements progressistes, puisqu’elle leur a permis de mettre en œuvre des politiques sociales audacieuses. Entre 2002 et 2014, la pauvreté en Amérique latine a baissé de 44 à 28 %, après avoir augmenté au cours des vingt-deux années précédentes.

4. « Prostitution, la guerre des modèles », William Irigoyen, journaliste
Au nom de la lutte contre les violences faites aux femmes, la Suède est devenue, le 1er janvier 1999, le premier pays à pénaliser l’achat de services sexuels, tandis que d’autres, comme l’Allemagne en 2001, choisissaient de légaliser les maisons closes. Quinze années de recul permettent d’observer les effets de ces deux approches opposées de la prostitution.

En 1998, les députés ont décidé de pénaliser le client, au nom de principes qui ont éclos dans les années 1970 et qui cimentent toujours la société suédoise. Au premier rang figure l’égalité femmes-hommes, notion incompatible, ont estimé les législateurs, avec la pratique de relations tarifées.  La loi s’insère dans un arsenal très répressif. Par exemple, un propriétaire privé ou un hôtelier ne peut louer son bien à des prostituées sous peine d’être accusé de proxénétisme. 
L’avocate canadienne d’origine suédoise Gunilla Ekberg  explique qu’en trente-cinq ans d’activité elle n’a jamais rencontré une femme qui se livrait volontairement et avec plaisir à des relations sexuelles tarifées : « On ne choisit pas cette activité. Il y a une histoire de violence, de drogue, de pauvreté derrière le parcours de chaque prostituée. Quant à l’industrie du sexe, elle génère de l’oppression.  Selon elle, c’est bien pour cela que le pays a choisi de modifier la loi et d’aborder cette question sous l’angle politique : « Est-il cohérent d’avoir aujourd’hui en Europe des gens de gauche qui défendent les droits des travailleurs tout en affichant des positions néolibérales dès lors qu’il s’agit de légiférer sur la prostitution ? »

Sollicitées pour apporter leur contribution à la lutte contre la traite, les prostituées suédoises se voient par ailleurs proposer un programme de sortie. Leurs collègues étrangères, quant à elles, risquent l’expulsion immédiate. Si, au terme d’un mois de réflexion, elles acceptent elles aussi de coopérer, elles peuvent obtenir un permis de résidence de six mois et une aide sociale. Au cas où le traitement de leur dossier prend davantage de temps, six mois supplémentaires peuvent leur être octroyés. Durant cette période, elles ont la possibilité d’étudier ou de chercher un autre travail. 

Selon Mme Wahlberg, la police arrête chaque année en moyenne cinq cents hommes, un nombre à peu près constant. Une fois appréhendés, les contrevenants encourent une peine qui va de la simple amende à un an de prison. L’amende, modulable en fonction des revenus, peut s’élever à 350 euros pour un chômeur ou, cas extrême, à cent cinquante jours de salaire pour une personne en activité.
Afin qu’ils ne récidivent pas, les clients se voient proposer un accompagnement thérapeutique.  De leur plein gré, ils viennent pour tenter de soigner leur dépendance aux relations tarifées. Les consommateurs de services sexuels sont aidés pour identifier le traumatisme familial qui serait « toujours à l’origine d’une telle démarche », selon Mme Maia Strufve, thérapeute familiale de formation, qui travaille en étroite collaboration avec la municipalité en tant qu’agente de la protection sociale. Les séances, généralement hebdomadaires, durent environ une heure et s’étalent sur deux ans et demi en moyenne.
Quant aux prostituées, outre l’accompagnement social, un suivi thérapeutique leur est proposé. 

A l'opposé, le modèle allemand, loin de protéger les prostituées, s’est avéré “l’enfer sur Terre” pour les femmes. On y observe une industrialisation de la prostitution, avec un revenu total estimé à 14,6 milliards d’euros et 3 500 bordels déclarés officiellement. 
Toujours en quête de compétitivité, ces entreprises proposent même des forfaits « repas, alcool, massage thaïlandais, une ou plusieurs filles, le tout pendant trois heures, pour la modique somme de 50 euros ». Un désastre humain, selon Mme Kraus, qui cite une étude de 2008 : « Soixante-huit pour cent des femmes en situation prostitutionnelle présentaient des symptômes de stress post-traumatique d’une intensité similaire à ceux des anciens combattants ou des personnes ayant été torturées. 

Le Parlement européen a voté en 2014 plusieurs préconisations, dont l’usage de la sanction contre les clients, mais il s’agissait d’une résolution non contraignante. Hors de l’Union européenne, la Norvège et l’Islande ont déjà suivi la Suède en 2009. Au sein de l’Union, seules l’Irlande du Nord (en 2015) et la France (en 2016) ont modifié leurs lois. Mais l’exemple suédois montre que l’on ne peut pas tout attendre d’une législation, et que la lutte contre la prostitution s’inscrit dans un travail de longue haleine, avec un accompagnement social durable.

Saint Jean-Baptiste 03/01/2017 @ 19:01:31
Merci Bolcho pour cette bonne chronique. ;-))

1. « Le monde selon Donald Trump », Michael Klare, professeur au Hampshire College

On peut reprocher tout ce qu'on veut à Trump et il est permis de craindre le pire.

Mais on ne peut pas lui reprocher – non pas de faire une alliance avec Poutine – mais de maintenir le dialogue. Ce serait folie d'isoler les Russes et de les pousser vers la Chine. Ce serait une nouvelle guerre froide. Il vaut mieux avoir la Russie comme partenaire même si on doit lui reprocher ses coups de force et son mépris des droits de l'homme.

Sinon, je crois que Trump a compris que la force d'une diplomatie c'est son armée.
S'il exprime moins d'intérêt pour l'Europe c'est tout simplement que l'Europe n'a pas d'armée. Son discours a au moins le mérite de la franchise.
Les Américains veulent l’hégémonie du monde et consentent d'énormes dépenses militaires. Les Européens, et c'est tout en leur honneur, ont choisi le pacifisme mais, le monde étant ce qu'il est, ils en subissent les conséquences.

Bolcho
avatar 02/02/2017 @ 19:08:56
Monde Diplomatique février 2017

1. « De qui François Fillon est-il le prête-nom ? », François Denord et Paul Lagneau-Ymonet, sociologues
 Après M. Nicolas Sarkozy en « président des riches  », voici M. François Fillon, son ex-premier ministre, en apôtre de l’entreprise, de l’autorité et de la foi.
Nombre de soutiens de M. Fillon sont des enfants ou des parents de grands commis de l’État, diplômés des écoles publiques les plus renommées (Polytechnique ou École nationale d’administration, ENA), qui ont fait fructifier leur connaissance des arcanes administratifs pour s’enrichir aux marges du secteur public ou dans le privé. 
Croyants, les fidèles soutiens de François Fillon le sont assurément. 
M. Chartier l’assure : « François Fillon n’a jamais eu aucun lien avec l’extrême droite » (BFM TV, 23 novembre 2016). Tous ses soutiens ne peuvent en dire autant. M. Hervé Novelli, ancien secrétaire d’État, et M. Longuet, ex-ministre, font ainsi partie, comme Mme Méaux, de la « génération Occident », ces anciens militants radicaux de l’anticommunisme passés de l’ultradroite au giscardisme durant les années 1970. De leur côté, des soutiens affichés comme M. Charles Millon, ancien ministre de la défense, et son épouse, la philosophe Françoise Delsol, sont des piliers d’une droite lyonnaise traditionaliste proche de l’Opus Dei.  Rédacteur du programme ultralibéral du Front national en 1973, M. Longuet fut longtemps membre d’honneur du très droitier Club de l’horloge. Ses prises de position sur l’immigration ou l’homosexualité le rapprochent de l’extrême droite.
M. Fillon a reçu l’appui de deux voix importantes de la galaxie libérale : celle de Nicolas Baverez, ancien conseiller à la Cour des comptes devenu avocat, chroniqueur au Point et au Figaro, enthousiasmé par un « vrai programme qui est un programme libéral » (BFM Business, 28 novembre 2016) ; et celle de Mathieu Laine.  Cet essayiste se félicite qu’il perçoive désormais « l’urgence de libéraliser notre économie (...) en dégonflant l’État-précaution au bénéfice d’un État régalien récemment affaibli » (Le Monde, 22 novembre 2016).
Au-delà des spécificités liées à l’ancrage de M. Fillon au sein de la bourgeoisie catholique, cet attelage de la banque-assurance, du management et de la communication se retrouverait sous des formes et des incarnations différentes dans l’entourage d’autres candidats — M. Emmanuel Macron, notamment. Il marque l’aboutissement du processus de néolibéralisation qui, en France, affecte la structure du pouvoir depuis quarante ans. Il se traduit par un moindre contrôle politique sur l’ordre économique et par un retour en force des puissances financières, commerciales et industrielles privées.

2. « L'Amérique d'abord ! », Serge Halimi
Avec M. Trump, les masques tombent. Dans un jeu qu’il a toujours jugé être à somme nulle, son pays entend « gagner comme jamais », qu’il s’agisse de parts de marché, de diplomatie, d’environnement. Malheur aux perdants du reste de la planète.
Que dit l’Europe ? 
M. Trump s’est réjoui que le Royaume-Uni ait décidé de la quitter .
Les dirigeants du Vieux Continent, qui ont renoncé depuis des années à toute ambition contraire aux vœux de leur suzerain américain, risquent dorénavant de trouver porte close à l’ambassade des États-Unis.

3. « Ce dont nous avons (vraiment) besoin », Razmig Keucheyan, professeur de sociologie
Le génie du capitalisme d’après-guerre aura consisté à réorienter la volonté de changement vers l’insatiable désir de consommer. Ce modèle trouve à présent sa limite dans l’épuisement des ressources naturelles. Pour imaginer un mode de vie à la fois satisfaisant et durable, récuser l’empire de la marchandise ne suffit pas. Il faut d’abord réfléchir à ce dont nous avons besoin. La transition écologique suppose de faire des choix de consommation. Mais sur quelle base ? Comment distinguer les besoins légitimes, qui pourront être satisfaits dans la société future, des besoins égoïstes et déraisonnables, qu’il faudra renoncer à assouvir ?
Une société « négaWatt » est une société de la sobriété où des possibilités de consommation sont délibérément écartées car considérées comme néfastes. Mais sur quels critères ?
Deux problèmes apparaissent. D’abord, comment définir un besoin « essentiel » ? Qu’est-ce qui le distingue d’un besoin « accessoire » ou « inacceptable » ? Et ensuite, qui décide ? Quels mécanismes ou institutions conféreront une légitimité au choix de satisfaire tel besoin plutôt que tel autre ? Le Manifeste négaWatt ne dit rien à ce propos.

Tous les besoins « authentiques » ne sont pas d’ordre biologique. Aimer et être aimé, se cultiver, faire preuve d’autonomie et de créativité manuelle et intellectuelle, prendre part à la vie de la cité, contempler la nature... Sur le plan physiologique, on peut certainement faire sans. Mais ces besoins sont consubstantiels à la définition d’une vie humaine digne d’être vécue. André Gorz les appelle « besoins qualitatifs » ; Ágnes Heller, « besoins radicaux ». Le consumérisme ensevelit les besoins authentiques sous des besoins factices. L’achat d’une marchandise satisfait rarement un vrai manque. Il procure une satisfaction momentanée ; puis le désir que la marchandise avait elle-même créé se redéploie vers une autre vitrine.
On pourrait définir le progrès social par l’apparition de besoins toujours plus enrichissants et sophistiqués, et accessibles au plus nombre. Mais des aspects néfastes apparaissent parfois en cours de route. Si le transport en avion proposé par les compagnies à bas coût contribue à rendre le voyage accessible aux classes populaires, il émet aussi une énorme quantité de gaz à effet de serre, et il détruit les équilibres des zones où les touristes se rendent en masse pour voir... d’autres touristes en train de regarder ce qu’il y a à voir. 
En régime capitaliste, la consommation revêt en effet une dimension ostentatoire. Acheter le dernier modèle de voiture revient à exhiber un statut social (réel ou supposé). 
Comment rompre avec cette logique de distinction productiviste ? Par exemple, en allongeant la durée de vie des objets. Une pétition lancée par les Amis de la Terre exige que l’on fasse passer la garantie des marchandises de deux ans — une obligation inscrite dans le droit européen — à dix ans.
Établir une liste de besoins authentiques n’a rien d’évident et suppose une délibération collective continue. Il s’agit donc de mettre en place un mécanisme qui vienne d’en bas, d’où émane démocratiquement une identification des besoins raisonnables.
La puissance publique a certainement un rôle à jouer, par exemple en taxant les besoins futiles pour démocratiser les besoins authentiques, en régulant les choix des consommateurs. 
C’est donc à une nouvelle « critique de la vie quotidienne » qu’il faut parvenir ; une critique élaborée collectivement.

4. « Au Pentagone, la peur pour carburant », Andrew Cockburn, journaliste
Agitant la menace de la Chine ou de l’Organisation de l’État islamique, M. Donald Trump a promis d’étoffer les effectifs de l’armée, de moderniser son arsenal nucléaire, d’acquérir de nouveaux navires et avions de combat. Il reprend ainsi une stratégie de la guerre froide encore utilisée par M. Barack Obama : attiser la peur de l’adversaire pour augmenter les dépenses militaires.
Durant toute la guerre froide, la peur de l’URSS a servi à justifier l’injection de moyens colossaux dans le système américain de défense, à la vive satisfaction des hauts fonctionnaires du Pentagone et des nombreux députés et sénateurs qui bénéficiaient des largesses des industriels de l’armement.  La fin de guerre froide et l’effondrement de l’Union soviétique auraient dû renvoyer cette stratégie dans les poubelles de l’histoire.  Pourtant, les dépenses militaires restent extrêmement élevées.  De fait, ajustées à l’inflation, les dépenses militaires américaines ne sont jamais tombées sous leur niveau moyen de la guerre froide. « Nous investissons dans les technologies les plus pertinentes pour répondre aux provocations russes », a déclaré le sous-secrétaire d’État à la défense, M. Brian McKeon, pour justifier ces coûts exorbitants. En 2016, la facture de la défense s’élevait à 583 milliards de dollars. Pour justifier cette somme, le Pentagone a invoqué la nécessité de répondre à l’« agression russe ».
Le budget de la seule armée de terre américaine, soit quelque 150 milliards de dollars, représente plus du double de celui que la Russie consacre à l’ensemble de ses forces. Les carences en termes de projection militaire s’expliquent avant tout par les priorités du Pentagone, moins préoccupé par les besoins réels de la défense que par les querelles intestines sur le partage du budget et par les pressions des industriels de l’armement — lesquels se font un devoir d’embaucher les généraux « quatre étoiles » à la retraite.
Les armes coûtent de plus en plus cher, et on en produit de moins en moins. Cette évolution pourrait sembler rassurante. Pourtant, l’inflation artificielle de la menace continue d’alimenter la machine, et la catastrophe est toujours possible. 

5 « Justin Trudeau, l'envers d'une icône », Jordy Cummings
Charmeur et habile communicant, le premier ministre canadien Justin Trudeau séduit dirigeants syndicaux et patrons. En prônant l’ouverture à la fois économique et culturelle, il prétend incarner le renouveau du camp progressiste et apparaît comme l’antithèse de M. Donald Trump. Pourtant, à l’instar de son homologue américain, il participe de la recomposition des clivages politiques traditionnels.
Alors qu’une vague xénophobe submerge l’Europe et les États-Unis, M. Trudeau ne cesse de clamer son amour du multiculturalisme et de la diversité.  En plus d’être engagé en faveur du multiculturalisme, M. Trudeau s’est fait élire en dénonçant l’austérité, les inégalités économiques, les ravages environnementaux. 
Alors que nombre de dirigeants politiques et d’économistes se sont convertis à une forme de protectionnisme, il demeure un apologiste du libre-échange, avec des arguments tout droit sortis des années 1990 : la liberté de commercer permettrait l’ouverture et la fraternité entre les peuples, explique sans cesse le chouchou de The Economist.
N’hésitant jamais à disjoindre le geste et la parole, M. Trudeau se pose en défenseur des droits humains, alors que son gouvernement réalise des ventes d’armes sans précédent avec diverses dictatures. Classé en 2014 au sixième rang des exportateurs d’armes vers le Proche-Orient, le Canada occupe désormais la deuxième place grâce à des contrats colossaux avec l’Arabie saoudite. 
Enfin, en dépit de ses promesses de campagne, il n’a pas rompu avec la politique pro-israélienne menée pendant dix ans par M. Harper. 
Le premier ministre canadien est l’un des derniers dirigeants à défendre les migrants, les droits des minorités, l’ouverture. En observant MM. Donald Trump, Vladimir Poutine, Viktor Orbán, Narendra Modi, ou Mme Theresa May, ses concitoyens sont fondés à pousser un soupir de soulagement. Mais c’est peut-être là que se situe le danger. Le nouveau « progressisme » de M. Trudeau participe de la mutation des clivages politiques. À l’affrontement classique entre la gauche, la droite et le centre se substitue une nouvelle opposition, entre les tenants d’un nationalisme économique et identitaire et les défenseurs de la mondialisation économique et culturelle. MM. Trump et Trudeau représentent les deux faces d’une même pièce. Ne pourrait-on pas changer de monnaie ?

6. « Ondes magnétiques, une pollution invisible », Olivier Cachard, professeur de droit
Alors que la société industrielle générait des nuisances perceptibles à l’odorat ou à la vue, la pollution électromagnétique de la société de l’information est invisible et inodore. Pourtant, on ne peut négliger les effets de l’usage massif tant des moyens de télécommunication — en particulier le téléphone portable — que des infrastructures et des équipements électriques.
Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé les champs électromagnétiques hyperfréquences (téléphonie, liaisons radio type Wi-Fi ou Bluetooth) dans la catégorie « peut-être cancérigènes pour l’homme » (groupe 2 B). Cette classification conduit à surveiller de près l’association entre l’utilisation des téléphones portables et le risque de cancer. 

7. « Cisjordanie, de la colonisation à l'annexion », Dominique Vidal, journaliste et historien
En quelques jours, le premier ministre israélien a annoncé la mise en chantier de plus de trois mille nouveaux logements à Jérusalem-Est et en Cisjordanie — plus que durant toute l’année 2016. Cette surenchère n’empêche pas M. Benyamin Netanyahou d’être débordé sur sa droite par son concurrent Naftali Bennett, qui se prononce pour l’annexion des territoires palestiniens occupés.
Trois prises de position de Donald Trump balisent sa politique présidentielle face au conflit israélo-palestinien : l’engagement de transférer l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem ; le refus de considérer la colonisation des territoires occupés depuis 1967 comme un obstacle au processus de paix ; la décision de ne plus faire pression sur le gouvernement israélien afin qu’il négocie. 
M. Naftali Bennett, dirigeant du parti religieux ultranationaliste Foyer juif, ministre de l’éducation et de la diaspora, prône depuis longtemps l’annexion de la zone C. Celle-ci, placée par les accords d’Oslo sous le contrôle exclusif d’Israël, représente plus de 60 % de la Cisjordanie, notamment la vallée du Jourdain, mais aussi l’ensemble des colonies et de leurs routes de contournement. Le 5 décembre 2016, M. Bennett est passé aux actes : il a fait voter en première lecture par la Knesset un texte légalisant quatre mille logements dans des « avant-postes », ces colonies que même le droit israélien considérait jusqu’ici comme illégales, car construites sur des terrains palestiniens privés expropriés. C’est une violation flagrante de la 4e convention de Genève et des résolutions des Nations unies. 
Un scénario plus noir encore reste présent : une nouvelle vague d’expulsions de Palestiniens de la Cisjordanie, voire de l’État d’Israël. Ce dernier ne serait pas devenu majoritairement juif sans la Nakba (« catastrophe » en arabe) de 1947-1949, qui chassa 850 000 Palestiniens, soit les quatre cinquièmes de ceux qui vivaient alors dans le pays. Il poursuivit ce nettoyage ethnique à la faveur de la guerre de 1967. Et Sharon aimait à répéter que « la guerre d’indépendance d’Israël n’est pas terminée ». Depuis, le contexte a bien sûr changé. Difficile d’organiser une déportation massive devant les caméras du monde entier .
L’extrême droite n’hésite plus à s’inscrire ouvertement dans la perspective de l’annexion. « Le chemin des concessions, le chemin de la division a échoué. Nous devons donner nos vies pour étendre la souveraineté d’Israël en Cisjordanie », affirme sans ambages le dirigeant du Foyer juif. 
Les sondages confirment en effet les résultats du scrutin du 17 mars 2015, qui a débouché sur la constitution du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël. Dans toutes les enquêtes, une majorité refuse la création d’un État palestinien, soutient l’annexion de la Cisjordanie et souhaite le « transfert » des Palestiniens, y compris — du jamais-vu — ceux d’Israël. En outre, six Juifs israéliens sur dix pensent que Dieu a donné la terre d’Israël aux Juifs.
L’évolution interne d’Israël démontre en effet, s’il en était encore besoin, que seule une forte pression internationale, assortie de mesures coercitives, économiques et juridiques, pourrait ramener ses dirigeants à la raison. Conscient de l’enjeu, le premier ministre israélien a d’ailleurs qualifié en 2015 la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) de « menace stratégique ».
Sous la conduite de MM. François Hollande et Manuel Valls, les autorités françaises ont, à l’inverse, obtenu des poursuites judiciaires et de lourdes amendes contre les activistes de la campagne BDS. Les actions de ces derniers ont été absurdement présentées comme une « incitation à la haine raciale », alors qu’ils militent pour la fin de la colonisation et l’égalité des droits. Un objectif qu’ils partagent avec… les Nations unies.

Pieronnelle

avatar 06/02/2017 @ 15:10:49
Merci Bolcho. Je voudrais te demander un service, car dans le journal il y a un article "les remèdes toxiques a la crise financière" très intéressant mais qui m'a paru complexe ; aussi je me permets d'abuser :-) en te demandant, si tu le veux bien sûr, en faire une synthèse car j'ai senti que nous allions vers quelque chose de grave ,mais bien difficile à démontrer clairement...Merci dans tous les cas!

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