L'homme apprivoisé
de Horacio Castellanos Moya

critiqué par Septularisen, le 20 novembre 2023
( - - ans)


La note:  étoiles
PORTRAIT D’UN HOMME DÉRACINÉ!
Erasmo Aragón est un chargé de cours d’espagnol âgé de 51 ans, originaire du Salvador. Il enseigne dans l’université de la petite ville-campus de Merlow City, dans le Wisconsin. Sa vie bascule du tout au tout quand il est faussement accusé d’abus sexuel par une jeune fille mineure. Celle-ci, avec la complicité de son frère, membre d’un gang Sud-Américain, essaye même de le faire chanter.

Malgré le classement sans suite de son affaire, du jour au lendemain, il perd son travail et malheureusement pour Erasmo, il ne peut plus demander le renouvellement de son permis de séjour aux USA. Mais le plus grave, c'est que cette fausse accusation, - doublée d’une fusillade à laquelle il a échappé par miracle -, provoque chez Erasmo (qui était déjà paranoïaque et voyait partout des complots dirigés contre sa personne), le développement d’une profonde dépression, doublée de graves crises d’anxiété.

Heureusement pour lui, lors de son séjour dans le service psychiatrique de l’hôpital de Merlow-City, il fait la connaissance de la jeune et belle Josefin, une infirmière suédoise de 31 ans, qui fait un stage dans cet hôpital. Celle-ci le prend sous son aile, et lui propose de venir habiter chez elle, le temps de se retourner et de se remettre. Très vite ils deviennent amants, et partent en vacances dans le magnifique chalet de la famille de Josefin, sur les rives du lac Érié.

Quelques semaines après, alors que Josefin doit rentrer en Suède, son stage étant terminé, elle lui propose de venir vivre avec elle dans son appartement à Stockholm…

«L’homme apprivoisé», est la suite directe du précédent livre de l’écrivain salvadorien. En effet, on retrouve ici le personnage de Erasmo Aragón, qui était déjà l’un des deux personnages principaux du livre «Moronga» (1) et le personnage principal du livre «Déraison» (2). L'histoire qui nous est racontée reprend d’ailleurs directement à la suite de celle de «Moronga». On peut même carrément dire que les évènements racontés sont la conséquence directe de ces deux livres.
Rappelons en effet que, comme dans tous les livres de M. CASTELLANOS MOYA, - qui a regroupé toute son œuvre sous le titre de la «comédie inhumaine» des Aragón -, celui-ci est relié (et fait référence), à de nombreux autres du même auteur.

Comme toujours avec cet écrivain c’est ironique, lucide, très acerbe, très critique envers nos sociétés occidentales. Ce n’est pas sans rappeler le livre autobiographique de l’écrivain cubain Pedro Juan GUTIÉREZ (*1950) «Animal tropical» (3), qui par un «heureux hasard», nous raconte à peu près la même histoire, et qui, après le départ du héros de son pays de résidence, se déroule d’ailleurs aussi en Suède comme pays d'accueil. Les deux écrivains ayant d’ailleurs aussi la caractéristique d’utiliser un langage très direct, très tranchant, très cru et explicite, notamment dans les descriptions de scènes sexuelles.

Que dire de plus? M. CASTELLANOS MOYA (*1957) revient ici sur ses thèmes fétiches, - et qu’il connaît d'ailleurs très bien d’ailleurs pour les avoir lui-même vécus -, à savoir: L’exil, le déracinement, le départ du pays natal du fait de la violence et des menaces, la difficulté de s’adapter à une nouvelle vie, à un nouveau pays, la barrière de la langue, l’isolement, la solitude, la recherche incessante d'un travail, l'argent trop rare, l'angoisse quotidienne d'être expulsé, le sentiment d'être apatride… Cela pourrait être ennuyeux, mais... Non! Pas du tout, cela va à cent à l'heure, c'est toujours intéressant, toujours instructif, servi il est vrai par la très belle, très précise quoi que toujours très acérée écriture de l’auteur...
Si l'on a parfois l'impression que les personnages secondaires ne sont là que pour servir de faire valoir au personnage principal (aux travers des yeux duquel nous suivons l'histoire), le portrait de celui-ci est stupéfiant, précis, désabusé, réaliste, très bien restitué par l'auteur.

Est-ce que je conseille la lecture de ce livre? Oui. Sans hésiter. C’est bref (à peine plus d’une centaine de pages…), mais très condensé et très intense. On est tout de suite accroché par l’écriture qui va à un rythme haletant, - avec des phrases très courtes -, et ne vous laisse pas un instant de répit. Et, même si je trouve que ce livre n’est pas très représentatif de l’immense talent d'écrivain de M. CASTELLANOS MOYA, je vous conseille de prendre quelques heures pour sa lecture, ne fût-ce que pour vous faire plaisir avec l’un des meilleurs auteurs latino-américains actuels… Alors, n'hésitez pas et lancez-vous!..

(1). : Cf. la recension de ce livre sur CL. : https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/66442
(2). : Cf. la recension de ce livre sur CL. : https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/18979
(3). : Cf. la recension de ce livre sur CL. : https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/25528