Pensées étranglées précédé de Le Mauvais démiurge
de Emil Cioran

critiqué par Septularisen, le 12 juin 2022
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
«Nous sommes tous au fond d'un enfer dont chaque instant est un miracle.»
Et bien voilà, tout est dit dans le titre de cette critique!..
En effet, que puis-je dire encore sur le «Sceptique d’un monde finissant», et ses aphorismes tranchants comme des couteaux, - véritables Haikus de la philosophie -, que je n’ai déjà dit dans les autres recensions (1), que j’ai déjà consacrées au philosophe français?

«Premier devoir, au lever : rougir de soi.»

Disons que, toujours sur les traces de son maître à penser russe, Léon CHESTOV (1866 – 1938), Emil CIORAN est dans ce petit livre d’aphorismes (moins de 90 pages) toujours égal à lui-même, et toujours fidèle à sa philosophie nihiliste (très) noire!

«L'anxieux construit ses terreurs, puis s'y installe : c'est un pantouflard du vertige.»

Passons rapidement sur «Le mauvais démiurge», texte dont la seule utilité semble être ici de faire monter en nous le désir et en même temps de retarder au possible le plaisir de lire ces «Pensées étranglées»...

«La mort est l’arôme de l’existence. Elle seule prête goût aux instants, elle seule en combat la fadeur. Nous lui devons à peu près tout. Cette dette de reconnaissance que de loin en loin nous consentons à lui payer est ce qu’il y a de plus réconfortant ici-bas.»

Et ensuite?.. Et bien, une pensée d’une exigence radicale, entre désespoir absolu et humour ravageur…

«On est fini, on est un mort-vivant, non quand on cesse d'aimer mais de haïr. La haine conserve : c'est en elle, dans sa chimie, que réside le « mystère de la vie ». Ce n'est pas pour rien qu'elle est encore le meilleur fortifiant qu'on ait jamais trouvé, toléré de plus par n'importe quel organisme, si débile soit-il.»

Et donc?.. Et bien un pessimiste franc, direct et toujours très lucide, avec même parfois un trait d’humour noir…

«La seule fonction de la mémoire est de nous aider à regretter»

Mais encore? Et bien la vie, vue comme une dérision et une absurdité, une inutilité dans laquelle l’homme se complaît et se vautre…

«Tassés sur le bord de la Seine, quelques millions d’aigris élaborent ensemble un cauchemar qu’envie le reste du monde.»

Avec, bien sûr, le désenchantement, tant au niveau des pensées que des actes…

«L’ambitieux ne se résigne à l’obscurité qu’après avoir épuisé toutes les réserves d’amertume dont il disposait.»

Sans oublier l'homme, sa vie, sa pensée, ses vices et ses vertus

«Le sommeil servirait à quelque chose si chaque fois que l’on s’endort on s’exerçait à se voir mourir ; au bout de quelques années d’entraînement, la mort perdrait tout prestige et n’apparaîtrait plus que comme une formalité ou une tracasserie.»

Comme toujours c'est brut, net, direct, cinglant, cru, nu, et parfois même ironique...

«Avec le Diable j’ai en commun la mauvaise humeur, je suis comme lui cafardeux par décret divin.»

Et bien entendu, toujours ses «thèmes» préférés…

La religion et Dieu:

«Rien ne pourra m’ôter de l’esprit que ce monde est le fruit d’un dieu ténébreux dont je prolonge l’ombre, et qu’il m’appartient d’épuiser les conséquences de la malédiction suspendue sur lui et son œuvre.»

L’Église:

«Au dire de Plutarque, on n'allait plus, au 1er siècle de notre ère, à Delphes, que pour y poser des questions mesquines (mariages, achats, etc…).
La décadence de l’Église imite celles des oracles.»

Ses semblables:

«Qu’est-ce qu’un «contemporain»? Quelqu’un qu’on aimerait tuer, sans trop savoir comment.»

L’histoire:

«On peut donner pour certain que le XXIe siècle autrement avancé que le nôtre, regardera Hitler et Staline comme des enfants de chœur.»

La folie:

«La folie n’est peut-être qu’un chagrin qui n’évolue plus».

La mort:

«En théorie, il m’importe aussi peu de vivre que de mourir ; en pratique, je suis travaillé par toutes les anxiétés qui ouvrent un abîme entre la vie et la mort.»

Et pour finir, pourquoi ne pas s’en prendre à la langue elle-même ?

«Je rêve d’une langue dont les mots, comme des poings, fracasseraient les mâchoires.»

Voilà, je n’ai pas grand-chose à ajouter de plus… Un petit recueil à lire, déguster, malaxer, ruminer, manger, digérer, chiquer… Enfin, disons un petit recueil que chacun abordera comme il lui plaira!.. On peut en effet aisément imaginer que pour M. CIORAN, c’eut été une consécration de se retrouver dans la toute petite collection «Folio Sagesse» à 2.- € après avoir fait l’objet d’un magnifique volume dans la bibliothèque de la Pléiade!..

(1) Cf. : Ici : https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/19026 et ici : https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/50376 sur CL.