Ma vie d'imposteur
de Peter Carey

critiqué par Bidoulet, le 20 octobre 2005
( - 56 ans)


La note:  étoiles
Un Frankenstein de la poésie
Un vieux poète australien, Christopher Chubb, raconte à l'éditrice d'une prestigieuse revue de poésie, Sarah Wode-Douglass, comment il a édifié, juste après la guerre, une imposture en créant l'oeuvre et la personnalité d'un autre poète, Robert McCorkle. Mais le fantasme que Chubb prétend fabriqué de toute pièce prend corps. La réalité dépasse la fiction quand McCorkle surgit du passé et vient hanter l'existence de son inventeur. L'imposteur a aiguisé la curiosité de l'éditrice en lui faisant lire un poème qu'il trimbale dans un sac en plastique. Dès lors, Sarah n'a de cesse de vouloir publier les écrits de McCorkle détenus par Chubb. Et de s'interroger : qui en est le véritable auteur ? Le poète Frankenstein n'entend pas confier les poèmes à l'éditrice tant que celle-ci n'aura pas tout entendu, et tout retranscrit, de la diabolique poursuite qu'il a engagée à travers la Malaisie pour neutraliser la créature qui lui a échappée, tant qu'elle ne saura pas tout de sa Vie d'imposteur.

L'intrigue subtile laisse le lecteur s'interroger sur les ambivalences des confidences de l'imposteur. Est-il l'auteur des écrits ? McCorkle n'est-il pas qu'un personnage de roman tout autant imposture que l'imposteur lui-même ? Jusqu'où Chubb va-t-il manipuler l'héroïne ? Va-t-elle d'ailleurs réussir à mettre la main sur les poèmes tant convoités ?
Peter Carey lève progressivement le voile sur le motif de Chubb et on verra que l'éditrice n'est finalement pas étrangère à l'origine de l'imposture.

Ce roman ingénieux mais complexe souffre d'un style volontairement très déconcertant. Il n'y a pas de tirets, pas de guillemets pour distinguer la narration des dialogues. Il faut à chaque ligne décrypter qui pense, qui raconte, qui interroge qui, qui répond à qui. L'auteur fait une économie de sujets et de verbes déclaratifs. La lecture de l'ouvrage impose un déchiffrement de tous les instants et s'avère finalement fatigante voire agaçante. Voilà un roman d'une grande densité où les récits enchâssés et les dialogues à la mise en forme brute et dépouillée exigent une attention soutenue, incompatible avec une lecture sur la plage ou dans le métro. Quant aux personnages, il en est des secondaires dont on aurait pu se passer pour ne pas alourdir un cheminement bien assez tortueux.