Les trésors de la mer Rouge
de Romain Gary

critiqué par Jules, le 18 mai 2001
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Un très grand texte !
C'est par un pur hasard que je suis un jour tombé sur ce livre. Je parcourais les rayons d’un bouquiniste le long de la Seine et voilà qu'une édition originale d'un livre de Romain Gary m'arrive dans les mains.
Ce n’est pas un roman, mais je l’achète quand-même…
Quel texte !… Quel intérêt et quelle écriture !. Une autre époque, une autre vision, une autre France ! Pas la vision de notre époque, figée sur les chiffres du PNB, des exportations, de l’inflation, bref celle d’une civilisation des chiffres et de l’argent.
Nous sommes directement plongés au fin fond de la Mer Rouge, dans un autre monde, un autre temps. Romain Gary y cherche un homme dont il voudrait obtenir un témoignage sur des évènements bien précis. Il y trouve d’abord des Français qui se débattent dans les restes de l' « Empire », à Aden, Djibouti, au Hoggar et ailleurs. Leur but ?… Tenter d’aider les gens qui vivent là. Il n'y a rien à prendre dans ces régions et ils peuvent seulement essayer d’aider les indigènes.
« La fraternité anonyme, sans visage, sans nom, sans lien personnel ; la fraternité à l’état pur, la vraie. »
Romain Gary est un ancien officier de l'armée et sait ce que les hommes abandonnés dans ces endroits peuvent endurer, mais aussi à quel point ils peuvent parfois se dévouer. « La rage semble avoir présidé ici à la création du monde. », nous dit-il.
L'homme qu’il cherche, il va le trouver, mais il est devenu fou.
Ce livre est un merveilleux reportage sur une région, une époque de la France, des populations difficiles à comprendre, des hommes qui ont souffert et ont été trimballés de gauche à droite suivant les intérêts politiques du moment d'un pouvoir bien lointain.
Le texte de Romain Gary a bien souvent la hauteur et le souffle des discours de Malraux accompagné de sa culture. Ici nous avons vraiment l’impression de voler plus haut…
Entre Chateaubriand et le Che 9 étoiles

Certes j'y vais fort dans ce titre, mais lisez ce livre et après on en reparle.

Pourquoi Chateaubriand, car comme lui Gary est diplomate et raconte dans ces reportages ses voyages à Djibouti et au Yémen en se mettant, par quelques touches plus ou moins discrètes, en avant. Certaines aventures sont tellement rocambolesques qu'on se demande à quel point elles sont vraies. Cela rappelle évidement le premier tome des "mémoires d'outre tombe". Mais comme pour Chateaubriand on se moque un peu de la véracité tellement l'écriture est belle.

Pourquoi le Che, pour la moto bien sûr. Tout comme le Che en Argentine, on sent que ce voyage au Yémen en moto transforme Gary comme dans l'extrait ci-dessous:

"le troisième jour-ou le cinquième-je me suis débarrassé de mes frusques et j'ai revêtu une jupe fouta et le fermier m'a ceint le front d'un bandeau blanc... jamais encore je n'avais éprouvé à ce point le sentiment de n'être personne, c'est à dire d'être enfin quelqu'un... et je suis heureux d'avoir pu enrichir l'expérience yéménite de ce fonctionnaire chinois qui s'est arrêté pour prendre une photo de moi, ce qui me procura un merveilleux sentiment d'authenticité... Je sentis que j'avais réussi ma vie. Une de mes vies, je veux dire : celle qui ne dura que quelques instants au bord d'une route d'Arabie parmi les cactus et les figuiers."

Yeaker - Blace (69) - 50 ans - 30 septembre 2010


Reportages 6 étoiles

Il s’agit ici d’une série de reportages pour «France-Soir» où ils furent initialement publiés en 1970.
Pour réaliser ces articles, il sillonna à moto les régions concernées, ramenant de-ci, de-là, un clin d’œil, une image, une prise sur le vif : tableaux, paysages ou portraits auxquels il ajoute son commentaire, motivé par sa connaissance réelle de ces situations et par ses qualités humaines. Pièces ajoutées à sa « collection de l’éphémère ». C’est la fin de l’Empire colonial (mais nous avons encore Djibouti) et, comme on le dit beaucoup en ce moment, Gary ne se fait pas d’illusions sur les «bienfaits» de la colonisation.
C’est un document intéressant au niveau littéraire (comme lorsque nous lisons « Parfois la montagne s’entrouvre et laisse entrevoir le désert, dont elle surgit, comme portée sur les épaules de sable de cet esclave aplati. ») ou historique; mais un peu daté si on le lit autrement, car l’auteur se laisse parfois un peu aller à l’exagération poétique et l’envolée lyrique.
Lecture pas indispensable, mais intéressante.

Sibylline - Normandie - 73 ans - 13 février 2006