Buvez du cacao Van Houten !
de Ornela Vorpsi

critiqué par Sahkti, le 13 septembre 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Les chimères albanaises
"Dans la chambre d’Ija, nous prenions conscience des énormes erreurs conjuguées de cette vie : nos mères menaient une existence qu’elles n’avaient pas méritée, avec des maris qu’elles n’auraient pas dû avoir, comme nous laissions toujours indifférents les garçons qui nous plaisaient. Ainsi allait le monde, tout de travers. La chambrette d’Ija le savait bien, n’ignorant rien de l’erreur de sa mort, qui tardait tant à venir la prendre, la laissant honteuse et désemparée. Dans cette petite chambre, nos secrets pouvaient venir à la lumière, nous réussissions à les transformer en paroles, sans que cela porte à conséquence." (extrait)

J'ai découvert Ornela Vorpsi avec "Le pays où l'on ne meurt jamais". Un recueil de nouvelles cruelles et sombres sur l'Albanie, pays qu'elle a quitté avec sa mère en 1991 pour se réfugier à Milan, avant d'échouer à Paris en 1997 et d'en faire sa terre d'accueil. Les années ont beau passer, l'Albanie reste chère au cœur de l'auteur qui la regarde évoluer d'un œil attaché et inquiet.
Le second recueil de nouvelles d'Ornela Vorpsi est moins autobiographique que le premier. Ce qui ne l'empêche cependant pas de déborder de misère humaine et sociale. Chaque personnage mis en scène est en quête du bonheur et de la sauvegarde de ses illusions. Coup de cœur personnel pour le personnage d'Ija, vieille dame proche de la mort qui supplie les siens afin que jamais son âge ne paraisse dans sa nécrologie. Ultime soubresaut de fierté ou coquetterie légitime? Ce souhait résume à lui seul cette recherche permanente de chimères insaisissables qui peuvent se traduire, par exemple, par un visa vers l'Italie ou l'espoir de devenir musicien. Beaucoup de force et de vie dans ces rêves et ces espoirs qui portent chacun des protagonistes du livre. Ce même espoir qui a longtemps habité Ornela Vorpsi à l'égard de son pays et continue encore de la hanter. L'écriture se veut ici plus poétique et métaphorique que dans son premier recueil. C'est bien, cela adoucit les contours et les visages, cela rend le tout plus sensible et plus beau encore.

Dans mon commentaire sur "Le pays où l'on ne meurt jamais", j'avais narré cette anecdote à l'origine du titre étonnant de cet ouvrage "Buvez du cacao Van Houten!". En 1910, la société Van Houten achète le dernier vœu d'un condamné à mort russe. Celui-ci devra crier à la foule, au moment de l'exécution "Buvez du cacao Van Houten !". Habile et macabre publicité qui assura une somme d'argent à la famille du défunt et une notoriété (certes discutable!) à la société productrice du cacao. Ornela Vorpsi, qui tient l'anecdote de son ami Maïakovski, a été frappée par l'histoire et a ressenti comme le besoin de racheter l'âme de cet homme, corrompu par la société de consommation jusqu'à son dernier souffle. Le titre était connu avant qu'elle ne s'attèle au contenu.
Y a-t-il un spleen albanais ? 8 étoiles

Voilà de curieuses nouvelles, intéressantes parce que différentes, originales. Je ne peux faire le rapprochement avec quoi que ce soit que j’aie déjà lu.
Ornela Vorpsi a une vision assez sombre de l’existence. C’est sûrement dû au désespoir qu’elle a partagé avec ses jeunes compatriotes, coincés dans un pays qui leur semblait sans avenir. D’où le nombre de nouvelles consacrées au rêve de traverser l’Adriatique.
J’ai, moi aussi, beaucoup aimé « Le prix du thé » et j’ai été très émue par la dernière nouvelle « J’habite au cinquième étage » qui est l’histoire d’un jeune homme insomniaque angoissé par la nuit : « …comme pour moi l’angoisse a la forme d’une spirale effilée sans issue, allumer la télévision la nuit m’oblige parfois, au moins l’espace d’un instant, à penser qu’il existe d’autres gens, qu’il existe d’autres peuples, que parmi tous ces gens il s’en cache de fragiles comme moi. Parce que dans l’angoisse on peut tout oublier, jusqu’à l’existence. »
Je qualifierais la plupart de ces nouvelles, non pas d’amères, mais de cruelles.
Des textes extrêmement bien écrits. La traductrice a fait un travail superbe.
Une vraie découverte.

Aria - Paris - - ans - 25 février 2006


Récits de l'étrangeté 8 étoiles

Treize récits d'une jeune auteur albanaise qui a vécu plusieurs années à Milan, avant de se fixer à Paris, et qui écrit en Italien. Treize récits qui ont pour thème le sentiment de l'étrangeté. Du sentiment éprouvé par Ija, dans la nouvelle qui donne son titre à ce recueil, vieille, si vieille, qui a vu mourir tant des siens - récemment encore un voisin, Artan, à peine âgé de 24 ans - et qui survit dans un monde où elle ne se sent plus à sa place. A celui éprouvé par Teuta dans "Mauro de Via dei Gracchi" ou par la narratrice de "Le prix du thé", Albanaises fraîchement débarquées en Italie, et chacune à sa façon, dépaysées par les mille et un petits détails de la vie quotidienne qui diffèrent de ce à quoi elles étaient habituées dans leur pays d'origine. Par petites touches concrètes, Ornela Vorpsi évoque les multiples facettes de ce sentiment d'étrangeté ou d'exil, qu'il soit provoqué par une rencontre avec la folie, par une confrontation avec la mort, celle brutale d'un être en pleine jeunesse ou celle qui refuse de prendre un être usé et las qui n'aspire plus qu'au repos, ou encore par un exil géographique et culturel...

L'écriture d'Ornela Vorpsi est très "carrée", un peu brusque. Dans un premier temps, elle m'a paru un peu maladroite avant de me désarmer par sa spontanéité, sa sincérité, et par l'énergie qu'elle dégage. Ornela Vorpsi m'a convaincue aussi par sa justesse et sa finesse d'observation, qui lui permettent d'éviter toute sensation de redite avec ces treize nouvelles qui traitent pourtant de sujets très proches. Voici un auteur qui m'a séduit, et que je retrouverais avec grand plaisir.

Fee carabine - - 50 ans - 28 janvier 2006


L'ombre de Dosïevski 6 étoiles

L'albanie en 13 nouvelles, courtes, incisives et toutes empreinte d'une froideur un peu désespérée.
Ija l'arrière-grand mère dont la seule volonté semble être qu'on n'indique pas son âge sur sa future pierre tombale, Teuta la jeune et jolie fille qui débarque en IItalie avec 30 dollars et une adresse griffonnée à la piscine, Gazi le sacrifié à la violence de ses rêves, le thé si cher et donc forcément si bon, et au milieu, l'histoire de Lumturi.
Lumturi qui eut un fils, qu'elle appelât Lucien, qu'elle chérit au-delà de tout, et qui ne pouvait avoir qu'un destin exceptionnel. Lucien seul en France, Lumturi se meurt sans lui en Albanie. Lorsqu'elle le rejoint, même son cancer disparaît, la France et son abondance et la présence de son fils adoré sont miraculeux. Mais on ne s'installe pas facilement en France même miraculée, et c'est au pays qu'elle attend la fin. A l'ultime moment, pourtant, elle trouvera un stratagème pour aller mourir dans les bras de son aimé. Mais y a-t-il un Dieu pour les mères Albanaises ?....
Cette histoire en particulier m'a touchée, par l'universalité de son thème, la difficulté du statut d'immigré, et l'amour maternel.
Le style a un petit quelque chose d'Agota Kristof, c'est inégal mais déconcertant, et prenant.
Un peu noirâtre quand même.

Cuné - - 57 ans - 23 décembre 2005


Amer comme le cacao 6 étoiles

Qui n'a pas entendu parler d'Ornela Vorpsi il y a deux ans vivait probablement dans une tanière ?! La belle Albanaise avait déjà paru un recueil de nouvelles, largement autobiographique, qui avait remporté son succès d'estime. Une nouvelle fois, elle privilégie la forme des nouvelles avec "Buvez du cacao Van Houten" et je dois avouer que j'ai flashé sur ce titre. Voilà pourquoi j'ai voulu lire celui-ci avant l'autre (paru en poche). Pour le titre, l'auteur s'explique en quatrième de couverture et dans sa première nouvelle du même nom. Passons...
Pour moi, lire ce livre a finalement eu le même goût que boire du cacao : c'est amer ! Ornela Vorpsi tisse des contes, des légendes, des anecdotes qui courent dans son pays qu'est l'Albanie. Elle met en scène des hommes et des femmes qui n'ont souvent plus rien à perdre, qui sont au bord du gouffre et qui tentent le tout pour le tout : vendre ses maigres trésors pour aller à Rome, se séparer de son fils qu'une mère dédie à la France, quitter l'être aimé parce qu'il est trop beau, être dévoré par ses rêves ou devenir fou. A trop rêver ou désirer l'impossible, celui nuit gravement (à la santé) !
Parmi le lot des treize nouvelles, j'ai aimé "Le prix du thé". Convaincue de savourer un produit rare et d'une exceptionnelle qualité, plus que raffinée, la narratrice a l'estomac noué par l'excitation ! Mais elle constate aussi, par dépit, que son corps n'est finalement pas habitué aux choses merveilleuses !.. et j'en passe. Celle-ci apporte une fraîcheur et une dérision qui parfois font défaut à certaines autres. C'est bien l'un des problèmes de ce livre : l'amertume coule en abondance, aussi c'est bien appréciable de lire quelques pointes d'humour pince-sans-rire pour alléger la donne. La tension est omniprésente, les Albanais semblent être un peuple doué pour le fatalisme, l'accablement et les mystères de disparition, les envies d'ailleurs et d'exil. Même si la lecture n'est pas un calvaire, c'est quand même un soulagement d'en sortir ! J'avais le sentiment de m'enfoncer dans la noirceur des âmes, des destinées de ces gens ordinaires, décidés d'en sortir, mais accrochés à leur sort. Une teinte douce-amère, effectivement. Ma rencontre avec Ornela Vorpsi se conclue en scepticisme, et je lirai "Le pays où l'on ne meurt jamais" un peu plus tard. Mais quand même ! Y'a un truc caché derrière le style de la belle, pour de vrai.

Clarabel - - 48 ans - 23 septembre 2005