Le tatouage inachevé
de Sia Figiel

critiqué par Sahkti, le 13 septembre 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Survivre aux Samoa
"Chaque action associée au tatouage était une prière. Est une prière. Le fait de réunir les matériaux et l'acte même de tatouer, que j'assimile à une forme d'écriture. En ce sens, les maîtres tatoueurs sont les médiateurs de Dieu sur terre. Ils écrivent la vérité de Dieu, que l'on trouve dans l'étoile de mer, la scolopendre, la pirogue, la roussette, tous les symboles du tatouage, les éléments de la nature et de l'univers répertoriés dans la mémoire, répertoriés sur les cuisses de nos jeunes femmes et les hanches de nos hommes. Telle est notre prière. Une prière que nous transportons avec nous. Tout le temps." (page 300)

Nouvelle incursion dans le Pacifique sud, les Samoa et la Nouvelle-Zélande. Loin de la vision paradisiaque des posters accrochés dans les bureaux ou les agences de voyages. Nous nous trouvons en compagnie d'adolescents devenus grands et qui vivent loin des clichés exotiques, dans la misère et des conditions très dures. Nous retrouvons l'ambiance de "La petite fille dans le cercle de la lune", les enfants ont grandi, ils doivent aujourd'hui apprendre à se débrouiller seuls. La lutte qui a toujours existé sur ces terres prend dès lors un autre visage. La narratrice se prénomme Malu, ce qui signifie "petite fiente de poulet" ou "fille de rat", une pauvre fille orpheline qui évoque sa vie sur l'île et celle des autres filles. Vision moderne d'une île désenchantée que Sia Figiel mêle aux traditions ancestrales, celles du tatouage. Inachevé dans le cas présent. Portraits de femmes heureuses et malheureuses brossés par une Sia Figiel à l'écriture plus aboutie, aux préoccupations grandissantes de défendre la conditions des siennes à travers l'écriture. Ces êtres qu'elle décrit sont touchants, tant dans leur violence que leur souffrance. Chacun cherche, à sa manière, le bonheur et peu y accèdent. Encore moins là-bas où tout n'est que lutte pour survivre, rivalité et miroirs aux alouettes.
L'auteur utilise à foison les métaphores, le langage cru et simple, les images glauques et les réflexions intérieures qui balaient tout sur leur passage. Le texte se veut réquisitoire. Contre les usages d'un autre temps plus vraiment en adéquation avec la vie d'aujourd'hui. Contre le regard que nous portons sur de jolies contrées paradisiaques sans nous donner la peine de gratter la première couche et découvrir tout le sombre qui se cache en dessous. Sur l'Occident (la Nouvelle-Zélance et les Etats-Unis en particulier) qui s'imposent comme les valeurs morales et matérielles à suivre dans ces îles perdues face à la modernité qui n'arrive chez elle qu'au compte-goutte, au prix d'insoutenables efforts. C'est un récit fort, bien écrit, qui en dit bien plus que nombre d'essais sociologiques.