Dernier royaume, tome 1 : Les ombres errantes
de Pascal Quignard

critiqué par Fee carabine, le 29 août 2005
( - 50 ans)


La note:  étoiles
... pour construire des barricades mystérieuses
Ces ombres errantes ont des commencements étranges et mystérieux qui entraînent leur lecteur du chant du coq et d'un souvenir d'enfance vers l'empereur Tibère et l'exil de René Descartes fuyant la France en 1648, du Jin Ping Mei (considéré comme le chef d'oeuvre de la littérature érotique chinoise) à Sainte Thérèse d'Avila. Ceci n'est qu'un aperçu des deux premiers chapitres, mais c'est le livre entier qui s'éparpille ainsi en courtes notes sautant sans transition d'un sujet à un autre, sans rapport apparent. Il faut s'armer de beaucoup d'attention, de patience et de persévérance avant de voir émerger un thème susceptible de faire figure de fil conducteur, lorsque la prise de Soissons par Clovis s'entremêle avec la deuxième guerre mondiale et à la globalisation de l'économie. "En un seul instant ils soumettent au désir de l'espèce un unique objet dont la durée passe rarement la journée de son acquisition. Cet objet est si friable qu'il est presque une image de lui-même. C'est un vase pris dans une basilique près de Soissons par exemple, couvert d'or, et qu'on brise. Malheur à celui qui a connu l'invisible et les lettres, les ombres des anciens, le silence, la vie secrète, le règne inutile des arts inutiles, l'individualité et l'amour, le temps et les plaisirs, la nature et la joie, qui ne sont rien de ce qui s'échange et qui constituent la part obscure de la marchandise. Chaque oeuvre d'art peut se définir: ce qui électrocute cette lumière. Chaque phrase dès l'instant où elle est écrite peut se définir: ce qui fait sauter l'écran où se montre de plus en plus vague une classe unique d'animaux vivipares fascinés."

De références en références, des auteurs de l'antiquité (Apulée, Marc-Aurèle...) à la littérature japonaise, de la France de Clovis à celle du XVIIème siècle, du Jansénisme et de la musique de François Couperin, Pascal Quignard esquisse une danse où s'affrontent l'amour du passé et l'économie de marché, l'art et l'argent, la force hypnotique des images et le pouvoir libérateur des mots et des symboles. A ce qui menace de transformer l'humanité en un troupeau de consommateurs sans âme et sans histoire - dans tous les sens du terme -, il oppose la connaissance du Jadis "sauvagerie et fierté", le goût des livres, de la solitude. Et la liberté par-dessus tout. La liberté qui souffle à travers ce livre qui est à la fois plus et moins qu'un essai. "Les Ombres errantes" offrent l'ébauche d'une réflexion sur le monde, l'économie, la culture, mais sans creuser cette réflexion de façon rigoureuse. Les questions sont à peine effleurées, parfois de façon cryptique, et aussitôt abandonnées. C'est par moment un peu agaçant, mais finalement c'est un exercice libérateur: le flot des idées et de leurs associations ne s'arrête jamais, il ne se fige pas dans un système rigide. Et ces "Ombres errantes" nous font le cadeau d'une pensée perpétuellement libre et mouvante. Une pensée vivante dans les pages d'un livre. Une pensée vivante qui continue à vivre de sa vie dans l'esprit de ses lecteurs.
Abscons 2 étoiles

Désolé, mais je ne peux pas donner une autre note, note terriblement basse je le sais... Mais cette note, je la donne pour l'écriture (c'est très bien écrit).
Quand on prend le pari de lire tous les Goncourt (récompensés), et celui-ci l'a eu en 2002, on tombe forcément, tôt ou tard, sur deux cas de figures :
a) un livre qui vous prend aux tripes, qui vous plaît tellement que c'est un gros coup de coeur, un livre qu'on est heureux de découvrir ;
b) un livre qui est certes intéressant (on n'obtient, je pense, pas le Goncourt par hasard) mais dans lequel on n'est pas entré, un livre qui ne nous a pas plu du tout, un coup d'épée dans l'eau.
Pas la peine de dire dans quelle catégorie je range ces "Ombres Errantes", premier volet d'une série de livres ("Dernier Royaume") signé Pascal Quignard.
Un livre très court (200 pages tout rond) et pour moi, heureusement. Un livre qui tient à la fois de l'essai socio-philosophique et du roman autobiographique, un petit bordel que j'ai peut-être lu sans comprendre, mais qui m'a fait me poser, pendant toute ma lecture, la question suivante : quels étaient les autres livres en concurrence avec lui pour le Goncourt 2002, pour qu'il l'ait obtenu à leur place ? Parce que je ne vois franchement pas, l'originalité mise à part, ce qui a pu motiver pour qu'on lui remette le prix...

Bookivore - MENUCOURT - 42 ans - 17 juillet 2021