La nouvelle grille
de Henri Laborit

critiqué par Khayman, le 27 août 2005
(Chicoutimi - 44 ans)


La note:  étoiles
Vision des rapports humains
Suite aux récentes (1974) découvertes faites dans l’approche biologique des comportements, Henri Laborit établit une nouvelle grille qui sert de base à la compréhension des rapports humains. Cette nouvelle grille se base sur l’étude des systèmes vivants, de leur information-structure, en établissant comme postulat de base qu’une structure biologique ne recherche fondamentalement qu’une seule chose : sa propre conservation. Contrairement aux autres grilles (par exemple, les grilles établies par la psychanalyse et le marxisme), on évite ainsi les pièges des alibi rationnels trouvés par la conscience (voire la troisième citation à la fin du texte) et de la causalité linéaire en incluant, entre autre, les notions de servo-mécanisme, de stimulations des différentes aires cérébrales et de cybernétique.

Laborit affirme qu’il n’aurait jamais écrit L’Éloge de la fuite, sous la forme qu’on lui connaît, s’il n’avait pas auparavant décrit plus profondément ses théories dans La Nouvelle grille. Étant mon auteur fétiche et L’Éloge de la fuite étant probablement le livre qui m’a le plus influencé, c’est avec de grandes attentes que j’ai lu ce livre, attentes qui furent récompensées. Laborit, en quatorze chapitres, nous décrit plus profondément les notions abordées dans la plupart de ses œuvres précédentes. Le système nerveux, les niveaux d’organisations, l’établissement des hiérarchies, la dominance, la conscience, l’agression, la démocratie, la notion de pouvoir, Laborit n’épargne rien et analyse tout avec sa nouvelle grille. Il faut avouer que cette approche cause des difficultés au niveau du suivi de l’œuvre et qu’elle semble incohérente par endroit. Parfois, on ne sait plus où l’auteur veut en venir. De plus, certains chapitres parlant des systèmes politiques et économiques me semblent trop spéculatifs.

Notons qu’en plus des développements typiques qu’on retrouvent tout le long de ses œuvres, Laborit ajoute ses idées sur la société de demain, sur les actes que nous devrions poser afin d’éviter l’extinction et le mal-être qui semble affecter une grande partie de la population humaine. C’est la première fois que je vois cet auteur proposer des « solutions » à la difficile prise de conscience qu’implique sa philosophie.

J’ai déjà comparé Nietzsche à Laborit et je me rends compte que cette comparaison va dans les deux sens. Ainsi, Laborit affirme que les systèmes hiérarchiques qui sont en place à notre époque châtrent toute créativité, ce que disait exactement Nietzsche en parlant de l’État dans Ainsi parlait Zarathoustra (voire la deuxième citation à la fin du texte).

Citations :

« Nous tenterons de fournir les prémices d’une solution et pour cela nous développerons la distinction entre information professionnelle, introduisant l’individu dans un processus de production de marchandises, et l’information généralisée dont ce livre est un vade-mecum. Seule, celle-ci peut donner au citoyen la dimension d’un homme. Cette information ne concerne pas les faits, mais les structures, les lois générales permettant d’organiser les faits en dehors des jugements de valeurs, des automatismes, socioculturels, des préjugés, des morales, des éthiques, qui ne sont jamais que celles des plus forts capables de les imposer par la police, la guerre, les lois, l’abrutissement par les mass media, l’aliénation économique, l’obscurantisme affectif, l’aveuglement de la logique langagière et surtout la gratification hiérarchique professionnelle. Cette information, cette mise en forme des systèmes nerveux humains en un système ouvert, capables d’évolution, ne peut se satisfaire des slogans éculés, d’une phraséologie faussement révolutionnaire qui retrouve, après avoir soi-disant détruit les structures capitalistes, la dominance hiérarchique et la gratification du pouvoir.

Être homme consiste avant tout à utiliser les aires cérébrales qui nous distinguent des autres espèces animales et nous permettent de créer de nouvelles structures. Être révolutionnaire, ce n’est pas appliquer des grilles inventées à une époque en particulier qui restait confinée dans le langage conscient, dans les analyses logiques utilisant le principe de causalité linéaire sans mettre en cause les pulsions, et les automatismes qui menaient et qui mènent encore nos discours. Être révolutionnaire consiste d’abord à imaginer de nouvelles grilles conceptuelles, de nouvelles structures prenant en charge l’essentiel de l’apport de l’ensemble des disciplines biologiques, et cela pas en pièces détachées, en bric-à-brac culturel, mais sous une forme intégrée, qui partant de la physique aboutit à l’espèce humaine dans la biosphère, dans le temps de l’évolution et celui de l’individu, dans l’espace gratifiant d’un homme et celui de tous les hommes, la planète.

Être révolutionnaire n’est plus alors l’affaire de quelques leaders inspirés, d’une élite éclairant la masse, mais celle de tous. C’est sans doute la finalité de l’espèce humaine, car il s’agit d’une révolution permanente et culturelle, non d’une culture langagière ou d’une praxis sociale uniquement. Il n’y a pas d’expériences fructueuses sans hypothèse de travail, mais l’expérience ne peut limiter à vérifier une théorie qui n’a pu prendre en compte des lois fondamentales qui ont été découvertes après qu’elle fut émise. Toute théorie insuffisante à expliquer certains faits d’expériences doit être incluse dans une théorie plus vaste dont elle devient un sous-ensemble si par ailleurs, bien entendu, elle fournit cependant une interprétation logique et surtout vérifiable de beaucoup d’autres. Sinon, c’est un mythe et tout esprit lucide se doit de l’abandonner. »

« La création d’automatismes conceptuels et comportementaux d’origine socio-culturelle permet l’occultation de l’angoisse existentielle en fournissant des grilles explicatives simples, des chefs responsables et sécurisants et le plus souvent de plus petits que soi à paternaliser pour assouvir le narcissisme congénital. Malheureusement, elle châtre toute créativité en punissant tout projet non conforme au système de valeurs imposé par les dominants. »

« Tout deviendra rationnel si nous parvenons un jour à mettre un peu d’ordre à la source de nos comportements, à préciser les structures de notre inconscient, les lois de sa dynamique. C’est ce que tente aujourd’hui l’approche biologique des comportements.

Mais cela veut dire que puisque nous ne l’avons pas encore fait jusqu’ici, nous n’avons fait que semblant de rationaliser l’irrationnel, rationaliser notre inconscient dans tout ce qui ne concerne pas la science de la matière inanimée, la physique, c’est-à dire en particulier dans les sciences dites humaines. C’est ainsi que l’« information », la mise en forme des structures sociales a toujours été dominée par l’instinct de puissance des individus qui en faisaient partie, instinct de puissance non rationalisé parce qu’inconscient mais le plus souvent camouflé sous une phraséologie paternaliste, socialiste, humaniste, élitiste, etc. »

« Mais puisque l’information est nécessaire à l’action efficace, comment le peuple peut-il agir puisqu’il est ou bien non informé, ou plus gravement encore, informé de façon unidimensionnelle, orientée de manière à maintenir les structures hiérarchiques et de domination, cela aussi bien en régimes capitalistes que socialistes existants. »