Une vie nulle part
de John Burnside

critiqué par Cuné, le 26 août 2005
( - 56 ans)


La note:  étoiles
Un poil désespérant
Tout commence par le premier acide que prend Alina à l'adolescence avec son ami Francis. Nous sommes dans les années 70, à Corby, petite ville industrielle d'Angleterre. Petit à petit, on fait connaissance avec divers protagonistes, on plante le décor dans une ambiance pré-apocalyptique, où l'atmosphère est lourde et triste, comme recouverte des poussières émanant des aciéries. Tout va tourner autour de ces 2 adolescents, de leur famille, et chacun prend la parole à tour de paragraphe, c'est la pureté de l'eau. Deuxième opus, le drame a eu lieu, on craint ses conséquences, on anticipe. Francis prend la route, c'est entretenir le feu. 3° opus, courant d 'air, Francis voyage, écrit, s'explique. Enfin le clair de terre, Francis revient à Corby et fait la paix avec sa famille.
A l'instar des titres de chapitres, ce roman est limpide et mystérieux à la fois. Evoquant tour à tour le déracinement, les différences culturelles, l'individualité et les relations familiales, la violence, les frustrations, le travail de la terre, le temps qui passe et tant d'autres choses immatérielles qui construisent les vies des hommes, il chemine dans la tête de ses personnages et englobe tout dans son aura misérable et poisseuse. John Burnside est avant tout un poète, et ses phrases devraient presque se lire à haute voix tant leur sonorité importe.
Rien n'est anodin dans cette vie nulle part, ces 408 pages prennent énormément de temps à lire, je reconnais que ce n'est vraiment pas mon genre de prédilection, mais arrivée au bout je suis contente de l'avoir fait, reconnaissante d'avoir côtoyé pendant toutes ces heures un grand écrivain, car c'en est un, assurément. Mais pour ma part, l'effort à fournir est au détriment du plaisir.
Prendre racine dans l'histoire d'un déraciné 9 étoiles

Attirés par les promesses des aciéries, les familles d’émigrants sont restés dans les rets de la ville nouvelle de Corby, désormais imprégnés par la poussière de ses cendres, qui ne laisse rien germer, si ce n’est l’espoir illusoire d’un retour au pays. Seuls Francis et Jan semblent différents, trop intelligents, portant un regard presque clairvoyant sur les choses et les êtres qui les entourent, avec ou sans LSD. Pour leurs frère et sœur, pour leurs parents, il est évident qu’ils sont destinés à un avenir plus singulier qu’une banale embauche aux aciéries. Un jour, l’un d’eux meurt sous les coups d’une bande de jeunes, l’autre s’enfuit…
Dès les premières pages, on sent qu’on tient quelque chose, un texte à la fois beau, puissant et profond, une prose sombre et poétique qui va nous sembler trop courte malgré ses quelques quatre cent pages. Mais, pour commencer, John Burnside va jouer à un petit jeu frustrant : il va d’abord emprunter à chaque chapitre le point de vue de chacun des membres des deux familles de Francis et Jan, leur accordant autant de poids et d’épaisseur que ceux qui apparaîtront plus tard comme les figures emblématiques du récit. Si bien qu’on aurait bien aimé connaître le passé d’Alma, la mère d’origine lettone de Jan, que l’on s’attache à Alina, sa sœur, dont est secrètement amoureux Derek, le frère de Francis, rêvant de vivre de sa musique… personnages que l’on ne retrouvera que vingt ans plus tard, car John Burnside choisit ensuite de ne plus s’intéresser qu’au parcours initiatique de Francis, errant seul de ville en ville, sans jamais ressentir la nécessité de s’installer nulle part. Le coup de cœur inattendu de la rentrée, un roman magnifique, à la noirceur pénétrante, à ne pas manquer.

Ardigazna - - 50 ans - 17 septembre 2005