Oeuvre poétique, 1950-1990
de Anne Hébert

critiqué par Vigno, le 26 août 2005
( - - ans)


La note: étoiles
Des poèmes comme tracés dans l’os par la pointe d’un poignard
Avant d’être romancière, Anne Hébert fut poète. Les éditions Boréal ont rassemblé toute la poésie écrite par Anne Hébert entre 1950 et 1990. Au cœur se trouve "Le Tombeau des rois", son plus important recueil, publié en 1953, auquel on a ajouté "Mystère de la parole" publié en 1960 ainsi que certains poèmes dits anciens (1961-1980) et d’autres poèmes dits nouveaux (1987-1989).

«Un verbe austère et sec, rompu, soigneusement exclu de la musique : des poèmes comme tracés dans l’os par la pointe d’un poignard, voilà ce qu’Anne Hébert propose », écrit Pierre Emmanuel, en préface. Voilà qui dépeint bien "Le Tombeau des rois" que nous allons décrire de façon schématique.

Le recueil s’ouvre sur un poème intitulé « Éveil au seuil d’une fontaine » et se clôt avec le poème éponyme, « Le tombeau des rois ». Entre une fontaine et un tombeau. Au départ de l’entreprise hébertienne, il y a un malaise qui semble venir du plus profond de son être : « Le jour qu’elle ramène / Sur sa peine / Comme un voile d’eau » L’auteure sait que, pour sortir de l’impasse, il lui faudra retourner sur ces lieux anciens, ceux de l’enfance, ce qu’elle désire et craint : « N’allons pas en ces bois profonds / A cause des grandes fontaine / Qui dorment au fond » Au demeurant, qui peut assurer que le passé révélera ses mystères ? Le premier inventaire est pour le moins douloureux : « Fruit crevé / Fraîche entaille / Lame vive et ciselée / Fin couteau pour suicidés. » Le dévoilement exige que le poète se dépouille complètement, s'il veut retrouver « les songes bizarres et enfantins » : « Je suis une fille maigre / Et j’ai de beaux os / J’ai pour eux des soins attentifs / Et d’étranges pitiés » Au terme du voyage, il y a la rencontre avec la mort : « Une petite morte s’est couchée en travers de la porte. » Se pourrait-il que le mal vienne du dehors ? « Il y a certainement quelqu’un / Qui m’a tuée / Puis s’en est allé / Sur la pointe des pieds / Sans rompre sa danse parfaite » Seule la descente dans « les tombeaux des rois », « avec le cœur au poing », seule la remontée de l’enfance à aujourd’hui, procureront une certaine délivrance : « Livide et repus de songe horrible / Les membres dénoués / Et les morts, hors de moi, assassinés, / Quel reflet d’aube s’égare ici ? D’où vient donc que cet oiseau frémit / Et tourne vers le matin / Ses prunelles crevées ? »

C’est une poésie très fignolée, sans concession. Hébert utilise des symboles assez universels (l’eau, l’oiseau, les mains) qu’elle réinvestit de sens nouveau. Parce que cette poésie se tient très loin de toutes références socio-historiques, on peut sans doute lui donner plusieurs interprétations. Chose sûre, c’est une poésie dont on ne vient jamais à bout.