Luj Inferman' et la Cloducque
de Pierre Siniac

critiqué par Sibylline, le 25 août 2005
(Normandie - 74 ans)


La note:  étoiles
Indispensable classique
Ah non ! Ils ne sont pas sympathiques, les deux héros de Siniac : Luj Inferman et la Cloducque. D’ailleurs, s’il les a créés, ce n’est pas pour que nous en fassions nos amis, c’était pour nous faire frémir et rire. Et là, c’est bien plus réussi. Ce polar devait être le premier d’une série qui allait finir par en comporter sept.
Il est à lire absolument parce que c’est dans celui-ci que naissent et se rencontrent les deux gus du duo d’enfer qui va sillonner la France. Tout d’abord, nous découvrons Luj Inferman’ (ne me dites pas que ce nom est dû au hasard !). C’est un vagabond crevant de faim, heureux encore quand il parvient à dégotter une épluchure au fond d’une poubelle, et qui se heurte sans cesse à l’impitoyable méchanceté des plus nantis qui, par exemple, préfèrent, sous son nez, gâcher la nourriture que la lui donner. Pour tout arranger, on doit bien avouer que Luj, la trentaine maigrichonne, encore serré dans un costard noir dégoûtant et trop court, mis en valeur par une écharpe violette –à laquelle il tient beaucoup- et par des sandales blanches ( !) est desservi par son aspect. Il erre depuis longtemps sur les routes et ses rêves de vengeance, s’ils le consolent un peu, restent lettre morte.
Un beau jour, dans un bois, il découvre/rencontre La Cloducque. Vêtue d’un pardessus bleu horizon genre 14/18, d’un chapeau cloche informe, de très forts godillot et munie en permanence de gants de boxe, très costaude et peut-être encore plus sale que Luj, il est à tout jamais impossible de savoir si l’on a affaire à un homme ou à une femme.
Cette très improbable créature (assez dangereuse au demeurant) se prend immédiatement et sans qu’on sache pourquoi d’une vive sympathie pour Luj . Elle ne le quittera plus. Elle commence par lui narrer ses mésaventures, plus improbables encore: sa fille a été enlevée en hélicoptère par le Clergé pour être enrôlée de force dans un couvent. Si, si.
Voilà pour les données de départ. Je vous laisse découvrir la suite. L’argot ancien style peut dérouter un peu les plus jeunes au début mais je suppose que, portés par la poésie, ils s’y mettront vite.
Le style quant à lui est tout à fait à noter. On ne retrouvera pas cela dans les aventures suivantes. Nous avons ici une volée de différents exercices de style que l’on sent faits «pour jouer». Des passages conséquents semblent tenir en partie de l’écriture automatique. Siniac ne rechigne pas non plus sur l’absurde, les scènes surréalistes et les jeux sur les mots (par exemple placer le maximum de mots en –ace sur une douzaine de lignes). Il m’a semblé qu’il avait écrit ce livre «en se lâchant», en s’accordant le droit à tous les jeux d’auteur. La surprise fut peut-être pour lui que cela ait plu. J’ai l’impression qu’au moment où il a écrit ce « Luj Inferman’ et la Cloducque » il ne savait pas encore qu’il débutait une série. Mais je me trompe peut-être.

5 étoiles-polar parce qu'indispensable