Le masque de fer
de Jean-Christian Petitfils

critiqué par Bluewitch, le 23 août 2005
(Charleroi - 45 ans)


La note:  étoiles
Le mythe mystifiant
Epoque fertile, propice aux énigmes dans l’histoire de France, le règne de Louis XIV surplomba de sa lumière bien des mystères, enflammant l’esprit des historiens. Et des romanciers…
Quoi de plus palpitant que ces cavales gaillardes dans les pages de Dumas, qui fit renaître, dans le « Vicomte de Bragelonne », le mythe passionnant du prisonnier masqué ? Frère jumeau du roi pour certains, frère aîné, bâtard emmuré, traître au roi, ministre italien, ou même… femme. Des dizaines d’hypothèses traversèrent le temps, des plus farfelues aux plus réfléchies, laissant toujours un arrière-goût amer d’incertitude. Pagnol lui-même se prononça, enthousiasmé par cette histoire dont il était persuadé d’avoir la clef.
Alors que faut-il faire ? S’abandonner au mythe ou tenter de comprendre la politique, la mentalités et croyances de l’époque ayant fait naître une des plus belles légendes de France ?
Petitfils aurait pu, comme bon nombre de ses semblables, collecter les données servant à défendre une théorie miroitante, suant les complots et le despotisme du Roi Soleil. Mais il semble trop aimer l’histoire pour se contenter de la fabriquer.
Tamisant large, il effectue recoupements, élabore une stratégie permettant de mettre à nu la véritable histoire de l’homme au masque, ou du moins, ce qu’on en sait.
Arrivé à la Bastille en 1698, notre prisonnier avait déjà derrière lui une longue carrière de détenu, ayant connu les forteresses de Pignerol, Exilles et de Sainte Marguerite. Sous l’œil vigilant du geôlier Saint-Mars, son parcours semble avoir débuté en 1669, date de son arrestation.
Qui pouvait donc être ce personnage dont il fallait taire le nom et ne jamais laisser découvrir le visage ? Qui était cet homme dont Saint-Mars faisait grand cas et entourait de mille précautions ?
Les balises sont plantées, petit à petit, éliminant les folles élucubrations concernant une origine royale. Alors qui et pourquoi…
Avec beaucoup de respect et de discernement, Petitfils nous balaye un tableau des mentalités de l’époque, de ce qui est sensé, ce qui l’est moins, ce qui justifie les actes de certains et explique les mots d’autres.
Ce qui est passionnant dans ce dossier est, non pas le mythe en lui-même, mais tous les éléments qui lui donnèrent chair et fascination. Que ce soient les relations de cour, la politique, le contexte historique ou social, la psychologie même de ses protagonistes, tout a un rôle dans la consécration de la légende du masque de fer.
Sans jamais verser dans un romantisme échevelé, Petitfils nous instruit et apporte sa pierre à l’édifice.
Et puis, enfin, après que tout soit dit, le choix nous est encore laissé de laisser de côté ce puzzle auquel seules quelques dernières petites pièces manques, ou de garder en tête le fabuleux mythe du masque de Fer…
Une énigme éternelle, une enquête sérieuse et convaincante 7 étoiles

Je distingue pour ma part deux parties dans l'ouvrage de JC Petitfils. D'une part l'historien mène une enquête minutieuse sur le prisonnier qui arriva masqué à la Bastille pour y mourir en 1703 sans qu'on eût révélé son identité. Il propose une solution très rationnelle qui tord le cou à toutes les élucubrations plus ou moins romancées qui ont vu le jour par la suite. La vérité est assez banale : un quidam qui en a trop vu est mis au secret sur ordre du roi Louis XIV, un geôlier qui fait du zèle et veut finalement se donner de l'importance en l'affublant d'un masque pour exciter la curiosité des témoins. Il n'empêche que la vie du détenu est pour le moins passionnante pour le lecteur (même si elle est désespérante pour l'intéressé...) car sa route croise celles de deux des détenus les plus célèbres de l'époque, à savoir Fouquet et Lauzun et l'historien nous conte bien des anecdotes.

D'autre part l'auteur essaye d'analyser les innombrables explications qui ont vu le jour depuis trois siècles, certaines farfelues, d'autres orientées politiquement (Voltaire...). Elles sont toutes énumérées en fin de volume.

Le lecteur curieux y trouvera son compte s'il a la patience suffisante, car le récit est parfois un peu lent.

Tanneguy - Paris - 85 ans - 21 mars 2012