La héronnière
de Lise Tremblay

critiqué par Aaro-Benjamin G., le 23 août 2005
(Montréal - 54 ans)


La note:  étoiles
Requiem
Cinq nouvelles reliées ensemble par le thème de l’arrière-pays. La vie d’un village s’animant l’été pour accueillir les touristes et les chasseurs. Dans un décor de marais, de pourvoirie, l’auteure dresse les portraits de personnages étouffés par l’isolement, de par la situation géographique mais surtout en raison de ceux qui les abandonnent pour de meilleurs cieux.

Destitué de son âme, le village devient lieu de perdition. La communauté se méfie, se vautre dans une conspiration du silence pour préserver le peu qu’il reste. Les plus jeunes se révoltent en assassinant les oiseaux de la héronnière. Deux femmes vont vers l’adultère. Une autre trouve la liberté avec une voiture neuve. Tous veulent fuir à leur façon.

Bien que l’écriture de Lise Tremblay soit simple, elle réussit tout de même à évoquer cet endroit aux odeurs de terre, marqué par le désœuvrement, aux brumes placides qui s’imprègnent jusque dans nos os.

Dans la dernière nouvelle, le narrateur accusera le village d’avoir donné le cancer à sa femme. A ce moment, on réalise que personne ne viendra défendre la vie de campagne. C’est le clou final dans la tombe. Et c’est cette conclusion qui donne un aspect étrange à ce recueil. L’absence cruelle d’un regard tendre, de compassion, ni même de nostalgie, semble vouloir nous faire comprendre que l’agonie des petits villages n’est finalement pas tellement grave ?


(Prix des libraires du Québec – Prix France-Québec/Jean-Hamelin – Grand Prix du livre de Montréal)
Les régions faussement illuminées 9 étoiles

4e de couverture : Les cinq nouvelles de La héronnière mettent en scène un village en perdition où, sous les mensonges du quotidien, se cachent des drames croisés. Chacune d'elles aborde des aspects de la vie villageoise, derrière laquelle planent toujours le doute, les faux-semblants et le mystère. Où naissent donc les monstres qui poussent les personnages de cette chronique de l'arrière-pays à poser des gestes irrévocables?

De son écriture simple et fluide, Lise Tremblay cerne avec brio le clivage entre ville et campagne. Les citadins, en mal de tranquillité et d'authenticité, ont tôt fait de se heurter aux silences masquant difficilement les secrets douloureux des villageois. Ces derniers, en proie au désarroi menaçant leur survie, balancent entre désespoir et fuite vers la ville. Mais au-delà des considérations sociologiques, la fiction nous amène ici sur le terrain de l'âme humaine et aussi, peut-être, de l'âme d'une terre, l'esprit d'un lieu.

Mon avis : J'ai été étonné de voir à quel point ce recueil court en dit plus long que ses écrits ne le font. Lise Tremblay soulève un coin du voile et nous laisse la tâche de s'approprier ce qu'il y a derrière. Une chose est certaine, le procédé m'a beaucoup plu ! Ayant une conjointe native d'une petite ville en région, j'ai vu tout de suite cette fausse réalité dans les nouvelles qu'elle m'a expliquée. Ses mensonges, ses intrigues de fonds de cours, ses potinages acides ; une image teintée de pessimisme des régions vivant au crochet du tourisme, abandonnées par ses jeunes espoirs en quête d'une vision nouvelle, moins obtus qu'ils laissent derrière.

Au final, je trouve que le portrait est assez juste, assez lucide pour nous faire comprendre, sur le plan humain du moins, l'exode des régions vers les grands centres.

Calepin - Québec - 42 ans - 29 juin 2010


Lecture coup-de-poing... 10 étoiles

Si chacune des cinq histoires de cette petite tablette, qui se lit tout d'un trait, constitue en effet une scène complète et capable d’indépendance, celle-ci ne forme, par ailleurs, qu’une section d’un grand tableau autrement significatif. Séparément, ces nouvelles laissent un arrière-goût amer pas désagréable du tout, étrangement, considérées dans leur ensemble, elles composent une tragédie émouvante, semblable à celles du théâtre classique. Dans le cas de La Héronnière, pourtant, la fatalité de la mort ne frappe pas un personnage, mais plutôt un lieu, un village québécois isolé, qui ne porte pas de nom.

Fidèle à son style, Lise Tremblay nous livre ce drame particulier en usant d’un style concis et plaisant, entrecoupant la narration de brefs dialogues dans lesquels les personnages s’expriment dans une langue québécoise qui sonne juste.
Sans tomber dans une description ennuyeuse et monotone de la réalité rurale, elle détruit plutôt l’idée que l’on peut se faire de moeurs campagnardes simples et honorables en nous dévoilant un monde sournois, voire violent.

Par l’incessante confrontation entre la mentalité urbaine et les valeurs villageoises, l’auteure touche aux limites de l’incompréhension entre deux univers éloignés et ajoute, au plaisir de lire ses nouvelles, le bonheur d’une réflexion actuelle.
Une lecture coup-de-poing, inattendue, nécessaire!

FranBlan - Montréal, Québec - 81 ans - 17 mai 2010


Les Villages en perdition 8 étoiles

Les villages du Québec se vident de leurs forces vives. Le départ des jeunes vers les grands centres urbains a détruit le tissu social. Comme l’ennui s’est installé, seuls les vieux habitent ces villages fantômes. Cette situation les oblige à modeler leur vie sur celle des touristes permanents représentés par les baby-boomers venus finir leurs jours à la campagne. Lise Tremblay décrit la problématique en quelques nouvelles, toutes reliées à un village transformé en cimetière vivant, à l’exemple de celui décrit par Germaine Dionne dans Tequila bang bang. Seule la chasse aux outardes, appelées bernaches du Canada, ressuscite quelques âmes asservies à la manne apportée par cette activité sportive, qui ne dure que deux maigres semaines en automne.

Après le départ des amants des oiseaux venus les abattre, la vie reprend son cours comme un long fleuve tranquille, en l'occurrence le Saint-Laurent, empressé de receler dans ses eaux les bavures des chasseurs, qui ont profité de leur passage dans un transit d'oiseaux migrateurs pour suivre la trace de toutes les Bovarys. Les maris ne se formalisent pas trop de cette chasse amoureuse pour protéger un tantinet soit peu leur vie privée, mise à rudes épreuves dans ces milieux fermés.

Les plus jeunes se révoltent parfois contre cette euphorie automnale. Pour se venger, ils criblent de balles les espèces protégées comme le grand héron qui envahit les berges des cours d’eau. Ou encore, quand l’exaspération est à son comble, ils se transforment en assassins pour éliminer les chasseurs de cœurs en peine, surtout quand il s’agit de celui de leur mère. Comme la vie sociale est tissée uniquement autour des besoins de quelques privilégiés, la violence devient l’arme favorite pour traduire son mécontentement.

Ce recueil de nouvelles ressemble à un roman. Ceux qui n’aiment pas le genre à cause de sa disparité pourront quand même apprécier La Héronnière. Lise Tremblay ne traite que d’un seul sujet. Avec une plume efficace et dépouillée, l’auteure a voulu souligner les malaises engendrés par la dévitalisation des petites agglomérations soumises à des activités économiques de courte durée. Malheureusement, son œuvre lui a attiré la malveillance de la population au point de devoir quitter le village insulaire où elle habitait.

Libris québécis - Montréal - 82 ans - 24 août 2005