Là-bas
de Joris-Karl Huysmans

critiqué par Réaliste-romantique, le 22 août 2005
( - - ans)


La note:  étoiles
Trouver un sens à sa vie dans l'anti-religion?
Durtal est un auteur parisien moyen de la fin du XIXe siècle. Il vit seul, souffre de spleen, tout l’ennuie. Il retrouve un peu d'énergie lorsqu'il entreprend la rédaction d'un livre sur Gille de Rais, le compagnon de Jeanne d'Arc qui est devenu le monstre démoniaque qui inspira le personnage de Barbe-bleue. Ce travail amène Durtal à faire des recherches sur la démonologie et le satanisme, sujet qui occupe une bonne partie de ce livre. De plus, des lettres anonymes d'une admiratrice viennent en même temps enflammer momentanément ses passions.

Ses recherches pour son livre et son aventure avec cette femme sortent un peu Durtal de sa torpeur, mais son caractère primaire sombre réapparaît toujours rapidement, tout finit par ne lui sembler que futilité et ennui. La conclusion du livre semble indiquer que la solution aux problèmes existentiels peut se trouver dans la religion plutôt que l'anti-religion, mais le protagoniste est toutefois aussi désemparé qu'au début.

La lecture d'Huysmans est intéressante et nécessite de nombreux recours au dictionnaire, car il utilise nombre de mots vieux et inusités aujourd'hui. J'ai fortement apprécié son personnage en quête d'un sens à la vie, toujours d'actualité, comme quoi les tournants de siècle peuvent se ressembler. Autre particularité d'intérêt : le livre s'ouvre sur une critique en règle du naturalisme par le protagoniste. On croirait entendre l'auteur répliquer à ses anciens co-disciples.

Cette lecture m'incite à revenir à cet auteur.
Ahurissant 10 étoiles

Avec "A Rebours", "Là-Bas" est mon roman préféré de Huysmans, lequel est clairement mon auteur français préféré, parmi les 'classiques', juste devant Daudet, Maupassant et Hugo.
Première participation de l'alter-ego littéraire de Huysmans, ce Durtal, qui, ici, s'intéresse à Gilles de Rais, sa vie, son "oeuvre"...ainsi qu'au satanisme, par le biais des agissements peu catholiques d'un ancien prêtre, le chanoine Docre. Il assistera même à une messe noire (Huysmans, dans la vraie vie, aussi, et il sera plus ou moins lié à l'abbé Boullan, un prêtre défroqué devenu sataniste, au moment de la rédaction du roman) !
Un roman ahurissant, contenant quelques passages assez durs (sur Gilles de Rais), et qui exerce une assez forte, parfois troublante, fascination. Un chef d'oeuvre.

Bookivore - MENUCOURT - 42 ans - 1 mars 2015


Gilles de Rais, J-K Huysmans 10 étoiles

Voici un passage de Là-bas, une fabuleuse description de Gilles de Rais écrite par le héros du roman, Durtal ; pour celles et ceux qui voudraient se faire une idée.

Ici, l'arbre lui apparaît comme un être vivant, debout, la tête en bas, enfouie dans la chevelure de ses racines, dressant les jambes en l'air, les écartant, puis se subdivisant en de nouvelles cuisses qui s'ouvrent, à leur tour, deviennent de plus en plus petites, à mesure qu'elle s'éloignent du tronc; là, entre ces jambes, une autre branche est enfoncée, en une immobile fornication qui se répète et diminue, de rameaux en rameaux, jusqu'à la cime; là encore, le fût lui semble être un phallus qui monte et disparaît sous une jupe de feuilles ou bien, il sort au contraire, d'une toison verte et plonge dans le ventre velouté du sol.
Des images l'effarent. Il revoit les peaux garçonnières, les peaux du blanc lucide des parchemins, dans les écorces pâles et lisses des longs hêtres; il retrouve l'épiderme éléphantin des mendiants dans l'enveloppe noire et rugueuse des vieux chênes ; puis, auprès des bifurcations des branches, des trous baillent, des orifices ou l'écorce fait bourrelet sur des entailles en ovales, des hiatus plissés qui simulent d'immondes émonctoires ou des natures béantes de bêtes. ce sont encore, à des coudes de branches, d'autres visions, des fosses de dessous de bras, des aisselles frisées en lichens gris ; ce sont, dans le tronc même de l'arbre, des blessures qui s'allongent en de grandes lèvres, sous des touffes de velours roux et des bouquets de mousse !
Partout les formes obscènes montent de la terre, jaillissent en désordre dans le firmament qui se satanise ; les nuages se gonflent en mamelons, se fendent en croupes, s’arrondissent en des outres fécondes, se dispersent en des traînées épandues de laites ; ils s'accordent avec la bombance sombre de la futaie où ce ne sont plus qu'images de cuisses géantes ou naines, que triangles féminins, que grands V, que bouches de Sodome, que cicatrices qui s'ébrasent, qu'issues humides ! - Et ce paysage d'abomination change. Gilles voit maintenant sur les troncs d'inquiétants polyês, d'horribles loupes. Il constate des exostose, des ulcères, des plaies taillées à pic, des tuberculleux chancrelleux, des caries atroces ; c'est une maladeries de la terre, une clinique vénérienne d'arbres dans laquelle surgit, au détour d'une allée, un hêtre rouge.
Et devant ces feuilles empourprées qui tombent, il se croit mouillé par une pluie de sang; il entre en rafge, rêve que sous l'écorce une nymphe forestière habite, et il voudrait bafouiller dans la chair de déesse, le violer à une place inconnue aux folies de l'homme !
Il envie le bûcherons qui pourra meurtrir et massacrer cet arbre, et il s'affole, brame, écoute, hagard, la forêt qui répond à ses cris de désirs par les huées stridents des vents ; il s'affaisse, pleure, reprend sa marche jusqu'à ce qu'exténué, il arrive au château et croule sur son lit comme une masse.
les fantômes se précisent mieux, maintenant qu'il dort. les enlacement lubriques des branches, l'accouplement des essences diverses des bois, les crevasses qui se dilatent, les fourrés qui s'entr'ouvrent disparaissent ; les pleurs des feuillages fouettés par la bise, se tarissent ; les blancs abcès des nuées se résorbent dans le gris du ciel ; et - dans un grand silence- ce sont les incubes et les succubes qui passent.
Les corps qu'il a massacrés et dont il a fait jeter les cendres dans les douves ressuscitent à l'état de larves et l'attaquent aux parties basses. Il se débat, clapote dans le sang, se dresse en sursaut, et accroupi, il se traîne à quatre pattes, tel qu'un loup, jusqu'au crucifix dont il mord les pieds, en rugissant.
Puis un revirement soudain le bouleverse. Il tremble devant ce Christ dont la face convulsée le regarde. Il l'adjure d'avoir pitié, le supplie de l'épargner, sanglote, pleure, et lorsque n'en pouvant plus, il gémit tout bas, il entend, terrifié, pleurer dans sa propre voix, les larmes des enfants qui appelaient leurs mères et criaient grâce !

Maupin - - 29 ans - 13 décembre 2014