L'homme qui marche
de Jirō Taniguchi

critiqué par Kinbote, le 5 août 2005
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Les échappées belles
Un homme qui vit dans une maison avec sa femme sort régulièrement de chez lui et marche. Sous la pluie, sous la neige, après un typhon, pendant la nuit. Un jour, sa femme découvre sous la maison un chien, qu’il nomme Neige. Il l’emmène dans ses promenades. Souvent l’homme qui marche ramène quelque chose de sa balade. Un ballon, un avion en papier, un fer à cheval, un nichoir. Un jour, c’est un coquillage. Il partira avec sa femme pour le remettre à la mer...
Il marche sans but et il voit des choses, l’humanité, la nature en marche. Souvent il sourit. Il est ouvert sur le monde parce qu’il n’est pas fermé sur lui-même. On sait peu de choses sur lui, s’il travaille, s’il a des soucis. Un jour, un taxi le ramène très tard – ou très tôt -, pour le moins très fatigué mais vraisemblablement ivre, il ne trouve pas la clé de chez lui, il marche et monte au-dessus d’un immeuble où il contemplera, couché face au ciel, le lever du jour. Un autre jour, on le voit gravir une butte, il dira à sa femme qu’il a monté le mont Fuji. Une autre fois il s’allonge en dessous d’un cerisier en fleurs où il est rejoint par une femme qui a l’habitude de se coucher là depuis l’enfance, dans ce lit de pétales.

Dans ces séquences de quelques pages aux dessins en noir et blanc, avec toutes les nuances de gris, qui multiplient les points de vue du périple, l’homme qui marche et ce qu’il voit, il ne se passe rien au sens intrigant du terme. Au début, c’est presque pénible de suivre cette non-action et puis on s’habitue, on comprend que c’est ça, la vie, que c’est le désir qu’il se passe sans cesse quelque chose qui nous rend aveugle à ces minuscules événements du quotidien qui constituent la véritable trame de nos existences.
Balades sensorielles 10 étoiles

C’est un véritable éloge de la marche que nous livre Jirô Taniguchi. La marche qui permet de découvrir le monde qui nous entoure, de s’arrêter, de rencontrer des gens, de changer de rythme, de direction, de revenir en arrière ou au contraire d’aller plus haut plus loin.
La marche qui laisse le temps de voir, d’observer les oiseaux, les passants, les étoiles, même avec des lunettes cassées, ou sans lunettes du tout, de découvrir de nouveaux paysages, de jour, de nuit, par beau ou mauvais temps...
La marche qui permet d’entendre et d’écouter les chants d’oiseaux, les rires des enfants, des aboiements, des bruits de pas, de cannes…
Il est facile de s’arrêter lorsqu’on marche, pour sentir l’odeur des magnolias, pour toucher l’écorce d’un arbre, caresser de la main la douceur de l’herbe, faire une pause dans une piscine et sentir l’eau sur la peau, s’arrêter pour acheter et déguster goûter un gâteau appétissant.
Un marcheur est libre, disponible aux rencontres, à l’écoute attentive des autres, ou juste pour partager un bout de chemin.

Un album qui m’a totalement conquise. Moi qui suis une marcheuse "contemplative", je me suis sentie proche de cet homme solitaire et pourtant entouré, attentif à tout et à tous.
Ils sont rares les auteurs qui me donnent envie d’entrer dans l’univers de la BD ; Taniguchi en fait partie.

Marvic - Normandie - 66 ans - 16 novembre 2020


"A quoi bon toujours se presser" 9 étoiles

«  Je sors faire un tour »....... et le personnage part déambuler au hasard des rues de la ville ou des chemins qui se présentent à lui.....

Cet album de Jiro Taniguchi présente différentes séquences de ces promenades lors desquelles le héros quitte les chemins balisés de la circulation urbaine. Il s'extrait de la foule pressée et s'offre de merveilleuses parenthèses où, tous ses sens en éveil, il retrouve les traces d'une nature cachée dans la cité et en accueille toutes les manifestations .

Il lui suffit de se rendre sensible, par exemple aux rayons du soleil qui filtre entre deux arbres, de grimper dans un arbre et de s'y installer mollement allongé à la fourche de deux branches, d'écouter le chant des oiseaux, de fouler l'herbe douce en bordure d'un filet d'eau ou même de se baigner nu, seul, dans une piscine la nuit. Il lui suffit de se rendre bienveillant à l'égard de ceux qui le croisent, hommes ou animaux, de faire parfois tranquillement avec eux un bout de chemin.

« C'est vrai . A quoi bon toujours se presser » , conclut notre héros dans les dernières pages de cet album tout en douceur, aux vignettes colorées dans différentes nuances de gris .
Une invitation à s'accorder des moments de lenteur, à ouvrir son attention au monde naturel, et à goûter de courts moments de découvertes sensorielles pour s'en régénérer .

Un album qui a produit en moi l'effet apaisant d'un haïku .

Alma - - - ans - 21 avril 2020


BD sur le presque-rien 8 étoiles

La critique principale de Kinbote dit très bien ce qu'est cette bande dessinée en noir et blanc, qui présente une face méconnue du manga. Un couple vient d'emménager et recueille le chien abandonné par l'ancien locataire ; l'homme marche dans les rues du quartier, acceptant de se perdre au gré des rencontres de hasard avec des lieux (il descend du bus simplement parce qu'il a vu, entre deux maisons, un escalier qui mène vers une colline) ou des personnes qu'il ne connaît pas mais avec lesquelles il échange un regard ou quelques mots. Il y a d'ailleurs très peu de dialogues dans cette BD, où passe un souffle de vie ténu et recueilli.
L'homme est libre, immergé dans le temps présent et n'hésite pas, sur un désir impulsif, à faire des actes normalement déraisonnables (ex : monter l'escalier de secours d'un immeuble pour accéder au toit, escalader le grillage d'une piscine pour nager, seul et nu, dans le grand bassin).

Eric Eliès - - 50 ans - 16 décembre 2012