Les naufragés du Batavia : Suivi de Prosper
de Simon Leys

critiqué par Bolcho, le 1 août 2005
(Bruxelles - 76 ans)


La note:  étoiles
1629, 1960, la mer
75 pages pour nous résumer l’histoire du Batavia, navire de la Compagnie des Indes Orientales qui s’échoue sur des récifs au large de l’Australie en 1629. Un leader « charismatique » et psychopathe entreprend alors de massacrer systématiquement la plus grande partie des survivants. Ce n’est pas inintéressant bien sûr, mais l’auteur en profite surtout pour nous conseiller la lecture d’un ouvrage complet sur la question, celui de Mike Dash, « l’Archipel des hérétiques ». A noter que la 4 de couverture nous dit ceci que je tiens pour une imbécillité de 4e de couverture : « Ne pourrait-on voir dans ce massacre un microcosme des horreurs engendrées à notre époque par les idéologies délirantes qui promettent le paradis sur terre ? ». Délire pour délire…
Les cinquante pages qui suivent sont le récit d’une pêche au thon sur un des derniers voiliers breton. On est environ en 1960 et le récit a encore pourtant des accents à la Pierre Loti. Comme quoi, l’eau salée, ça conserve… de thon.
Bref, un petit livre sympathique mais pas forcément indispensable. Même si on y trouve des notations amusantes comme celle-ci qui est un commentaire sur l’alcoolisme des gens de mer bretons (c’est l’auteur qui le dit, moi je demande pardon aux bretons du site qui ne sont absolument pas visés, eux dont nous apprécions tous la sobriété… du propos) : « Pour que je vienne trinquer avec eux, ils m’extraient de ma ‘cabane’ avec cette opiniâtreté que mettent toujours les ivrognes à éliminer tout vestige de sobriété qui pourrait encore subsister dans un certain rayon autour d’eux ».
Glaçant ! 8 étoiles

En 1629, le Batavia, orgueil de la Compagnie hollandaise des Indes orientales, fit naufrage en bordure d’un archipel de corail à quelque quatre-vingt kilomètres du continent australien. Il avait à son bord 330 personnes. Des membres d’équipage mais également des passagers divers dont des femmes et des enfants, des pièces d’or et autres richesses. Avec à sa tête, le subrécargue, commandant nommé par la Compagnie, un certain Francisco Pelsaert, Anversois de 33 ans, un homme intelligent et cultivé mais de santé fragile ; le patron, Ariaen Jacobsz, la quarantaine, marin endurant et habile mais médiocre navigateur, était un individu grossier et violent, buveur et paillard, explosant de force et de santé. Ces deux-là, qui dirigent l’expédition, se détestent cordialement ; ajoutons le subrécargue assistant, Jeronimus Cornelisz, la trentaine, un homme instruit qui a fait de mauvaises affaires et en réalité fuit ses créanciers. Le Batavia est empalé sur un récif. Pelsaert et Jacobsz décident d’aller chercher de l’aide à Java à l’aide d’une barque de sauvetage. Le Batavia va se disloquer, ses passagers se réfugient sur une île assez inhospitalière. Cornelisz, leur chef, estime qu’ils sont trop nombreux. Il faut faire un tri et méthodiquement, il va commencer à les éliminer les uns après les autres en commençant par ceux qui lui tiennent tête. Le massacre peut commencer. Simon Leys, essayiste d’origine belge, nous raconte cette épouvantable tragédie qui, en son temps, frappa l’imagination du public, plus encore que ne pourra le faire le naufrage du Titanic au XXème siècle.

Extraits :
- Nul homme ne voudrait jamais se faire marin car la vie à bord est tout simplement celle d’une geôle où l’on serait de surcroît exposé à la noyade ; c’était une existence d’une inimaginable brutalité. Le catalogue des horreurs est sans fin : l’inconfort fétide (à bord du Batavia il n’y avait que quatre latrines pour 330 personnes, dont deux à ciel ouvert et directement balayées par les embruns), la promiscuité, le manque d’air et d’espace, l’humidité perpétuelle, le chaud, le froid, les rats, la vermine, la crasse, les vivres avariés, moisis et grouillant de vers, l’eau croupie, la grossièreté des compagnons de bord, la férocité sadique de la discipline, la menace perpétuelles et terrifiante du scorbut qui enflait et pourrissait les chairs de ses victimes.

- Une société civilisée n’est pas nécessairement une société qui comporte une moindre proportion d’individus criminels et pervers (celle-ci est probablement à peu près constante dans tous les groupements humains) - simplement, elle leur donne moins l’occasion de manifester et d’assouvir leurs pendants.

- La pendaison à l’ancien mode c’était la strangulation progressive qui entraînait la mort. Les mouvements instinctifs et grotesques du supplicié qui accéléraient ou ralentissaient involontairement le resserrement du nœud coulant faisaient d’ailleurs de ce type d’exécution un spectacle également goûté du public populaire et de la société élégante – voire des âmes sensibles. Ainsi, par exemple, au siècle suivant, dans un billet, le jeune Mozart – il avait quinze ans – mentionne l’amusement qu’il avait pris à voir « quatre coquins qu’on pendait sur la place du Dôme » et il rappelle d’ailleurs, que, tout enfant, il avait déjà savouré ce même divertissement cinq ans plus tôt à Lyon.

Catinus - Liège - 73 ans - 10 juin 2024


Anatomie de l'édification d'un système totalitaire 10 étoiles

Simon Leys a été un des grands esprits du XX ° siècle. On connait sa description du maoïsme et de l'ostracisme dont ont fait alors preuve à son égard l'intelligentsia et l'université françaises, jusqu'à cette émission d'Apostrophe (Pivot) où il a verbalement assassiné l'italienne Macciocchi et son livre "De la Chine". Il n'est donc pas étonnant qu'il se soit intéressé aux malheurs des naufragés du Batavia. Il a utilisé pour ce faire le livre de Mike Dash qui fait un récit complet des événements. Ce qui l'a poussé vers ce livre est à n'en pas douter sa proximité avec George Orwell (voir son ouvrage "Orwell ou l'horreur de la politique"). Le Batavia est un bateau de la Compagnie hollandaise des Indes orientales qui a fait naufrage en 1629 à l'ouest (et non à l'est) de l'Australie. L'un des membres de l'équipage a alors institué pour les survivants du naufrage un véritable système totalitaire. Leys a médité cet épisode pendant des années avant de livrer ce petit opus si riche d'enseignements. Il a restitué l'édification d'un système totalitaire que je peux résumer de la manière suivante:
1- Des circonstances exceptionnelles
2- Prise d'ascendant d'un homme comploteur à l'origine sur ses co-naufragés, par la magie de son verbe et la formation d la conviction qu'il soit un facteur d'espoir
3- Création 'un groupe d'affidés
4- Rapides condamnations à mort
5- Réorganisation du corps social
6- Instauration de le terreur pour tous
Bien entendu ce bref résumé ne dispense pas de la lecture du livre, si éclairante pour peu que l'on ait réfléchi avec Orwell, par exemple, ou Arendt au totalitarisme. Ce que la période présente nous invite à faire de manière impérative..
Ce texte très court est suivi d'un récit complètement indépendant, "Prosper", qui décrit un embarquement sur un des derniers thoniers à voiles lancé à la pêche au thon

Falgo - Lentilly - 85 ans - 17 mars 2024


Une horreur certaine 6 étoiles

Tout de même, l'histoire racontée par Simon Leys est assez effroyable. En lisant "L'étoile des mers" de O'Connor, j'ai établi un parallèle entre son récit et celui-ci, ces aventures humaines misérables et monstrueuses, ces gens appâtés par le gain ou en proie à toutes les folies. Chassez le naturel... des hommes livrés à eux-mêmes dont les principaux traits de caractère (rarement positifs) ressortent au grand jour.
Dans "Les naufragés du Batavia", l'auteur pousse ces déviations à leur paroxysme. Jeronimus Cornelisz, l'apothicaire est un être infect, mais se sent-il réellement conscient de ce qu'il fait? N'est-il pas tout entier dévoué à ces idées et cette philosophie qui lui ordonnent de massacrer le plus de personnes afin de préserver les ressources de leur petit île refuge?
C'est une histoire horrible. Il en existe d'autres, très souvent les naufrages tournent au carnage. Non content d'être sauvé, l'homme finit par tuer pour sauver une seconde fois sa peau.

Sahkti - Genève - 50 ans - 2 août 2005