La route de la chapelle
de Louis Paul Boon

critiqué par Mieke Maaike, le 30 juillet 2005
(Bruxelles - 51 ans)


La note:  étoiles
Un Monument de la littérature flamande
Boontje est à sa table et écrit l’histoire d’Ondine Bosmans, une jeune fille de la toute petite bourgeoisie qui, entre un père vapeur voulant découvrir le perpeteum mobile, une mère zulma-la-folle ayant des crises d’hystérie et un frère valère-tralère à la grosse tête qui balance, rêve de gravir les échelons de la société en apprenant le français, fréquentant les seigneurs et méprisant le petit peuple, en cette époque de début des luttes ouvrières de 1800-et-tant dans les filatures flamandes. Boontje est régulièrement interrompu dans son travail par une galerie de personnages : monsieur colson du ministère, le maître d’école cantique et sa belle femme lucette, tippetotje la peintre, le prof. dr. de maisons-lepitre, et encore bien d’autres, qui entrent, sortent, surgissent, disparaissent, commentent l’histoire d’ondine en cours d’écriture, partagent des coups de gueules et des réflexions sur la vie, sur le monde, sur leurs contemporains, accompagnent boontje dans sa vie quotidienne, dans ses élucubrations, l’interpellent (ou est-ce Boon qu’ils interpellent ?) sur l’avancée du livre « La Route de la Chapelle ». Il y a aussi johan janssens, poète et journaliste, alter ego de boontje, qui lui-même écrit une version moderne du Roman de Renard : les vagabondages de reynart-le-goupil et d’ysengryn le loup, de clocher en église. « Mais… le ciel nous préserve, ce n’est pas que ça : c’est une flaque, une mer, un chaos : c’est le livre de tout ce qu’on a pu voir et entendre sur la route de la chapelle de l’an 1800-et-tant à ce jour ».

C’est un roman éclaté, une succession de courts chapitres qui se renvoient les uns aux autres, de petits récits, de paraboles, de mises en abîme. Boon nous livre une critique de la bourgeoisie et de l’Eglise, une vision désabusée du socialisme, un regard cynique sur l’art et le journalisme, concilie un langage parlé du bas peuple et une prose pleine d’émotions, fait rire le lecteur avec des situations tragi-comiques, lui arrache des larmes avec un hommage à son ami farfadet « ô petit commun multiple de ma jeunesse », l’interpelle, l’invite à le suivre dans le fil de ses pensées. C’est aussi un contre-roman, un roman post-moderniste, qui se moque des conventions habituelles d’écriture, de l’unité de style, de l’utilisation recommandée des majuscules et des titres, de la séparation écrivain-narrateur-personnages.

Un roman remarquablement traduit du néerlandais par Marie Hooghe qui a pris le parti de le traduire en français de Belgique, et précédé d’une préface d’Hugo Claus, un autre maître de la littérature flamande.

Louis Paul Boon (1912-1979) et connu par certains francophones pour être l’auteur de « Pieter Daens », une fresque prolétarienne, dont on a tiré un film il y a quelques années. Ecrivain et poète particulièrement prolixe, il publie en 1953 « La Route de la Chapelle » (« De Kapellekensbaan »). Souvent censuré dans la Belgique puritaine en raison de ses prises de position anti-catholiques et de ses écrits pornographiques, publié aux Pays-Bas, traduit dans de nombreuses langues, Boon gagne un grand nombre de prix littéraires. En 1972, il est nominé pour le prix Nobel qu’il aurait largement mérité de gagner. La Flandre compte de nombreux fans de Boon (qui ne manqueront pas de reconnaître l’origine de mon pseudo ;-) ), amoureux tantôt de son style, tantôt de ses écrits subversifs, tantôt de Boon lui-même, homme du peuple, peintre en bâtiment qui écrivait après ses journées de travail…

A découvrir de toute urgence par les passionnés de littérature.