Gringoland
de Julien Blanc-Gras

critiqué par Tomtom, le 18 juillet 2005
( - 45 ans)


La note:  étoiles
Planète vraiment lonely
Le récit de voyage est un genre littéraire presque aussi vieux que le monde, si pas plus, peut-être, et qui a encore de beaux jours devant lui. Avec « Gringoland », Julien Blanc-Gras, qui n’aura trente ans que l’an prochain, signe un premier roman en forme de récit de voyage au goût du jour. Valentin, le jeune héros, décide sur un coup de tête, suite à la mort de sa chienne et la défonce de son téléviseur dans un accès de rage, de mettre les voiles pour de bon, de s’acheter un billet d’avion pour l’Amérique centrale. Pour le Mexique, plus précisément. Histoire d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs, si les moutons qui la broutent et les barbus qui la fument ont d’autres leçons à donner que les bouffons qu’on voit à la télévision. Valentin manque de repère, aime la musique, joue de la guitare, parle espagnol et anglais, adore voyager, mais n’a pas la moindre idée de ce qui l’attend et de ce qu’il doit chercher. Il part le sac au dos et la guitare en bandoulière comme on se suicide, pour en finir une bonne fois pour toutes avec ce qu’il y avait avant. En d’autres mots, pour claquer la porte au nez de la société de surconsommation, de distractions formatées, de ronron boulot, marmots, dodo. Il s’envole pour voir la réalité de près. Et il sera servi, le Valentin. Car sa route croisera celle de tous les paumés de la planète ou presque, les toxicomanes embourbés dans les hallucinogènes, les néos-babas obnubilés par la nature et les merveilles de l’univers, les natifs du coin, édentés, sans ressources, mais guère plus épanouis que les autres. Le voyage de Valentin, qui traversera le Mexique, les temples et le désert, les Etats-Unis en bus, jusqu’à Hollywood et ses apparences écœurantes, le Belize puis Cuba, ne lui fera rencontrer que des êtres tronqués, repliés, frustrés, asservi, aliénés. Sur des milliers de visages, quelques sourires à peine appartiennent à des humains épanouis. Et encore, la mort est toujours à deux pas, prête à leur tomber dessus comme un fruit mûr chute de l’arbre.
On pourrait croire que « Gringoland » est un roman désabusé misant tout sur le désenchantement du monde. Il n’en est rien ; c’est un récit léger, rapide, bourré de cynisme et de lucidité crasse, nourri de mauvaise foi et d’autodérision. Car ce qui frappe le plus dès le début du voyage, c’est à quel point le héros s’inclut dans le monde qu’il dénigre. Si l’humanité et aussi dérisoire que risible, lui-même en fait partie et ne vaut guère mieux que le reste. Tout aussi lâche, tout aussi inabouti que les autres qu’il croise. Son seul mérite, au fond, est d’oser l’avouer et de permettre, ainsi, aux lecteurs de se poser à leur tour ces questions sans réponse. Et, comme l’auteur, de les esquisser avec un sourire amusé.