Le génie du lieu suivi de : la gloriette
de Hella Serafia Haasse

critiqué par Fee carabine, le 13 juillet 2005
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Des vies inaccomplies...
Ce livre nous propose deux courtes nouvelles d’Hella S. Haasse, deux nouvelles qui comptent – à l’instar du “Lac Noir” – parmi les plus beaux textes de la romancière néerlandaise.

“Le génie du lieu”, tout d’abord, est le récit d’une rencontre étonnante entre une femme de notre siècle et une présence venue des temps anciens. Un couple de Néerlandais, mariés depuis une trentaine d’années, s’est fait contruire une maison de vacances dans un coin isolé de la campagne française. Le mari s’absente régulièrement pour remplir ses obligations professionelles, et son épouse, seule dans la maison et les bois environnants, est souvent la proie d’un sentiment troublant, le sentiment d’une présence errante, une présence qui n’a rien d’une menace, plutôt la trace flottant dans l’air d’une promesse inaccomplie. Et par une étrange coïncidence, elle découvre dans de vieilles chroniques la mention du destin tragique de Renaud de Vy, fils du seigneur du lieu, qui vécut au moyen-âge une vie trop brève, mort à 20 ans, à moins que, destin plus tragique encore, il ne se voit vu retranché de la communauté des hommes et condamné à mener une existence de mort-vivant jusqu’à ce que la lèpre l’emporte… C’est décidément une bien étrange rencontre qu’Hella S. Haasse nous conte là, entre cette homme du passé, au destin tranché trop tôt, avant qu’il puisse être adoubé chevalier, et de cette femme du présent, qui mène certes une vie heureuse mais qui porte pourtant en creux en elle la marque d’un manque inavouable aux yeux de ses contemporains, celle de ce plaisir tant porté au nue mais qu’elle n’a jamais éprouvé. C’est la rencontre émouvante de deux vies inaccomplies selon les normes de leurs époques respectives – mais selon quelles normes peut-on juger de l’accomplissement d’un destin? Une merveille de pudeur et de délicatesse.

Le second récit, “La gloriette”, traite des retrouvailles tendues entre une mère, vieillissante et rendue amère par sa solitude depuis son divorce, et sa fille, trentenaire, célibataire à la vie bien remplie, mais pas vraiment heureuse pour autant. La confrontation entre les deux femmes, et les souvenirs que celle-ci ramène à leur conscience, ravivent soudain une blessure ancienne… Le thème de cette seconde nouvelle est peut-être moins original, mais le traitement qu’en donne Hella S. Haasse est très abouti ce qui nous vaut un autre vrai bonheur de lecture.