Etrange livre en vérité que cette Technique du coup d'Etat dans lequel Curzio Malaparte, étrange personnage s'il en est, passe les différentes prises de pouvoir en revue depuis la fin de la Première Guerre Mondiale et tente d'élaborer une sorte de manuel à l'usage de l'observateur de la vie politique de l'époque. Cette revue débute avec la Révolution bolchévique et la prise du pouvoir à Saint-Pétersbourg, fruit de la tactique révolutionnaire de Trotski fondant ses principes d'action, non pas sur la mobilisation des masses prolétaires comme on peut intuitivement le penser mais sur l'action d'une poignée d'hommes extrêmement motivés et intelligemment introduits dans les rouages clé du pouvoir qu'on veut abattre. Si pour l'auteur cette prise de pouvoir est remarquable Trotski n'a pourtant pas compris totalement comment un coup d'Etat fonctionne car il a cherché à réitérer une méthode bien assimilée par ses adversaires (Staline et la Guépéou) lorsqu'il a cherché à leur confisquer le pouvoir. Or ces derniers ont noyauté l'Etat avec leur propres troupes et jouent habilement du sentiment antisémite de la société russe pour progressivement annihiler le soutien de ladite société à Trotski. Les autres révolutions ou coup d'Etat, que cela soit celle de Kapp en Allemagne, Primo de Riveira en Espagne, Mussolini en Italie ou Hitler en Allemagne obéissent aux particularismes nationaux mais semblent obéir à une constante, se conformer à la légalité ou non. Si le coup d'Etat bolchévique de 1917 a clairement tranché la question, la prise de pouvoir d'Hitler par exemple n'a pas été le fruit d'une action violente des groupes d'assaut du parti nazi mais par l'élection en bonne et due forme du dictateur rechignant à l'action violente finalement pour parvenir à ses fins.
Tous ces coups d'Etat et la question sous-jacente de leur exécution prennent modèle dans le coup d'Etat du 18 Brumaire par Napoléon en France: fallait-il essayer de changer légalement les institutions ou, pour plus d'efficacité passer par l'épreuve de force? Malaparte semble avoir la réponse en soulignant que les coups d'Etat qui réussissent tirent leur succès de l'usage de la violence à l'exception du cas Hitler venant de la nature profondément réactionnaire de l'Allemagne.
Ouvrage intéressant bien que succinct, Technique du coup d'Etat est un document intéressant faisant la part belle aux intuitions d'un auteur qui se démarque par son caractère volatile: soutien de Mussolini lors de sa période révolutionnaire, il sera déporté aux îles Lipari pendant 5 années, ce qui fait dire aux critiques que ce livre est un vade-mecum contre la prise de pouvoir abusive, un manuel de défense de l'Etat de droit.

Vince92 - Zürich - 47 ans - 20 juin 2023

1931. A 33 ans, Malaparte a déjà eu une vie bien remplie. Après avoir été un héros dans les rangs de l'armée française en 14-18, puis attaché diplomatique, il s'est rapproché de Mussolini lors de sa prise de pouvoir en 1922. Puis, déçu, il s'en est éloigné.
Avec « Technique du coup d'état », il va se fâcher définitivement avec le Duce. Publié en France, cet essai politique met en avant que la réussite d'un coup d'état nécessite surtout une action de commando bien ciblée sur le système nerveux du pays (communications, énergie...) plutôt que la prise de contrôle des lieux où se concentre le pouvoir. L'action de Trotsky lors de la révolution d'octobre bolchevique en est l'archétype.
Pourquoi avoir écrit ce livre?
Pour faire le « Machiavel » et ainsi flatter son orgueil? Sans doute.
Pour régler ses comptes avec le parti fasciste qui l'a déçu? Certainement, mais cela va coûter à son auteur 5 ans de déportation dans les îles Lipari.
Mais il s'agit surtout de prévenir les démocrates que dans l'univers déstabilisé des années folles, les pays libres sont à la merci d'une bande d'activistes déterminés et bien organisés. Quand on connait la suite de l'histoire, cet ouvrage prend donc une dimension prémonitoire considérable. L'Allemagne va bientôt sombrer dans le nazisme, l'Espagne être emportée dans la guerre civile et le franquisme etc...
Malaparte a côtoyé de nombreux acteurs de ces évènements.
Quelle description de l'arrivée au pouvoir de Mussolini, présenté comme un opportuniste intelligent qui sait profiter de la déstabilisation du pays et d'un gouvernement libéral discrédité !
Les portraits qu'il dresse de Staline et Trotski sont saisissants. L'anticipation de la prise de pouvoir "démocratique" de Hitler est bien aussi la bonne.
Mais il est un point qu'il n'a pas prévu : la dérive totalitaire du Stalinisme et du Nazisme, le goulag, les camps de concentration et leurs millions de morts...
Certes moins puissant que les baroques et géniaux « Kaputt » et « La peau », «Technique du coup d'état» est cependant passionnant, surtout si on s'intéresse à l'histoire politique et que l'on aime Malaparte.

Poignant - Poitiers - 58 ans - 30 janvier 2011