Les pingouins n'ont jamais froid
de Andreï Kourkov

critiqué par Sahkti, le 6 juillet 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Les retrouvailles de Micha et Victor
Nous voici à nouveau en compagnie de Victor et de Micha, précédents héros du récit "Le pingouin" du même Kourkov. Si vous n'avez pas lu ce précédent opus, cela ne vous empêchera pas de profiter de cette suite qui en est une sans vraiment l'être. Les deux romans se lisent distinctement mais personnellement, si on est passé à côté du "Pingouin", pas mal de subtilités ou d'anecdotes risquent d'être moins bien perçues dans "Les pingouins n'ont jamais froid".
Victor a perdu son pingouin Micha. En glanant ci et là des informations, il apprend que celui-ci a été envoyé au zoo de Moscou mais que le propriétaire de l'établissement a refilé le lieu, ainsi qu'un tas d'autres biens, à un chef rebelle tchétchène en paiement de dettes. Micha se trouve aujourd'hui là-bas, au milieu de la guerre. Victor veut aller jusqu'au bout de ses idées et ramener Micha chez lui avant de l'envoyer vivre une paisible retraite en Antarctique. Pour arriver à ses fins, Victor devient tour à tour communicateur propagandiste pour un futur député, esclave en Tchétchenie et attaché aux affaires humanitaires de son ancien patron enfin devenu député. Tout cela peut paraître un peu confus résumé de la sorte mais il n'en est rien une fois qu'on est plongé dans ce roman qui se lit d'une traite et très facilement, tant l'écriture est fluide et le rythme soutenu. Cela fourmille de descriptions sociologiques intéressantes et acides, de monologues sur le sens de la vie, de pointes d'humour désabusé face à la situation confuse vécue par les pays de l'est, partagés entre corruption et modernité. A travers les aventures de Victor le journaliste et Micha le pingouin, Kourkov dresse un portrait intéressant et réaliste de la société russe et ukrainienne. Peut-être moins de désinvolture dans ce récit que dans "Le pingouin", mais cela tient, à mes yeux, essentiellement au fait qu'on n'y retrouve pas l'originalité de l'idée de base, à savoir un pingouin assistant à des funérailles avec un journaliste qui est payé pour inventer de somptueuses nécrologies. Le ton est ici plus grave, on devine que la fin se profile et que l'heure de la séparation approche. La place principale est d'ailleurs accordée à Victor et non pas à Micha, qui, bien qu'omniprésent dans l'ouvrage (après tout, c'est pour lui que Victor subit humiliations et tourments), ne fait pas grand chose et observe le tout avec beaucoup de distance et de résignation. On le sent triste et fatigué, il est temps pour lui de partir. Est-ce que cela signifie que c'est la fin des aventures de Micha et Victor? Peut-être, mais... il demeure tout de même une porte ouverte à la fin du récit avec un éventuel retour, un jour, de Victor parmi les siens. Une lecture que je vous recommande, tout comme "Le pingouin". Rires et réflexion au rendez-vous. Le style de Kourkov est vraiment très agréable.
Le manchot et les bandits ... 6 étoiles

Après "Le pingouin", nous étions impatients de retrouver l'univers kafkaïen de cette Ukraine en complète perdition, l'humour et l'absurde des histoires de Kourkov. Impatients bien sûr des retrouvailles de Victor et de son inénarrable pingouin.
Las, Victor rencontre quelques difficultés pour retrouver son copain qu'il lui faut aller chercher au fin fond de la Tchétchénie.
C'est bien sûr prétexte à de savoureuses descriptions des moeurs et usages en vigueur dans cette univers post-soviétique totalement corrompu et pourri jusqu'à la moelle pour les siècles des siècles.

[...] Chaque pays est une sorte d'immense corps composé de milliers d'organes et de millions de petites cellules qui s'agitent en tout sens, les humains. Plus le corps est grand, moins il est sain. Il faut en permanence le traiter, l'opérer, anesthésier certaines parties en espérant ne jamais avoir besoin de recourir à une anesthésie générale. Cette crainte contribue à multiplier les anesthésies locales.

[...] Notre pays est immense, et les gens capables de penser et d'agir, ou simplement de penser, y sont bien trop rares. Un vrai désert intellectuel ! La quantité de problèmes dépasse largement la quantité d'hommes capables de les résoudre ...

Mais même si les bandits de la mafia russe ne sont pas manchots, le pingouin Micha se fait un peu désirer ...
Reste l'épisode en Tchétchénie, hallucinant, où Victor se laisse embrigader dans une unité un peu spéciale qui a piraté un oléoduc pour alimenter un four crématoire où l'on brûle les cadavres encombrants : russes, tchétchènes, mafieux, la maison n'est pas regardante sur la marchandise qu'on lui confie. Le jeudi soir, on fait même nocturne avec ristourne sur les prix et les "clients" se bousculent ...

[...] Les jeudis, Siéva rayonnait. En fait, il était toujours content, mais le jeudi, à la veille du vendredi "qui rapportait", il s'animait encore plus. La nuit du jeudi au vendredi était toujours chargée en cadavres, car, suivant un usage instauré par Aza bien avant leur arrivée, c'était tarif réduit pour tous. Victor et Siéva ignoraient le montant de la remise, car les clients traitaient directement avec Aza, mais en tout cas il y avait plus de travail, donc plus de pourboires.

Le autres aventures de Victor (et sur la fin Micha) restent fidèles au ton cynique et désabusé de l'auteur mais sont quand même moins originales que celles du premier tome. Vous l'aurez compris : mieux vaut se concentrer sur le premier épisode.

BMR & MAM - Paris - 64 ans - 3 février 2010


Pas trop accrochée 6 étoiles

Ce livre m'a laissée un peu sur ma faim. Je n'ai pas lu le précédent, et si quelquefois cela m'a manqué pour la totale compréhension du livre, ce n'était pas une grande gêne.

J'ai trouvé le héros vraiment trop passif. Pas seulement dans ses actes mais aussi dans son ressenti. Il fait vide. Baladé selon les circonstances et les gens.
C'est vrai qu'il représente un peu le peuple russe, passif devant la situation éco-politique de son pays, mais je trouve dommage qu'à ce compte là l'auteur n'ait pas pris l'initiative de la distance par rapport à son personnage pour nous faire réellement goûter une critique acerbe et burlesque de la Russie.

On reste toujours dans l'à peu près dans ce livre, qui finalement nous fait passer un bon moment mais qu'on oublie presque aussitôt la dernière page tournée...

Queenie - - 45 ans - 15 juillet 2006