Virginia Woolf à Cassis : Roches et failles
de Joëlle Gardes-Tamine, Christian Ramade (Illustration)

critiqué par Sahkti, le 21 juin 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Virginia par morceaux
Virginia Woolf et Cassis. Pari ambitieux que celui de Joelle Gardes et Christian Ramade de retracer le parcours de l'écrivain sur ses terres estivales. Virginia condensée dans un petit recueil au papier velouté.
Par rapport aux photographies, ce petit format m'a d'abord ennuyée, j'aurais bien vu quelques clichés en grande taille tant ils brillaient par leur beauté, puis réflexion faite, je trouve ce petit format on ne peut plus adéquat à la formule. Ce livre, c'est un peu un journal intime, un recueil de pensées, un cahier dans lequel on aurait collé des fleurs séchées, du sable et des photos hétéroclites, un journal de vacances qui sent bon le large. Va pour le format, d'autant plus que la couverture est douce et tendre, les photos sont belles, tout cela respire la qualité et l'intimité.
En page 13, la photo de cette femme de dos fut un choc, cela ne pouvait être personne d'autre que l'ombre de Virginia contemplant l'horizon à perte de vue. Ressemblance troublante, impression supplémentaire de pénétrer dans une intimité de velours.

Je serai par contre plus réservée, partagée devrais-je dire pour être exacte, quant au contenu.
Si le principe de base est intéressant, si se glisser dans la peau d'un écrivain en tentant de retrouver ses impressions peut-être original et instructif, le tout est de conserver la frontière qui sépare les deux êtres, le maître et son sujet. Joëlle Gardes et Virginia Woolf se confondent en permanence. L'une épouse l'autre, prend sa place, parle pour elle, respire son air et écoute battre le coeur de sa confidente invisible. A partir du moment où cette symbiose constitue l'essentiel de la première partie du livre, le plus important à mes yeux est alors dans la conservation de la véritable personnalité de Virginia. Sur ce point, il me semble que l'auteur a fait un bon travail de restitution et d'identification.
A l'exception de quelques éléments (j'ai par exemple peu apprécié la connotation sensuelle, voire sexuelle, prêtée à VW via les émotions de l'auteur en se sentant seule face aux rochers, page 11) et en tenant compte de la difficulté inhérente à tout glissement dans la peau d'un autre que soi-même, je trouve ce voyage sur les traces de Virginia très émouvant et plutôt réussi.
Un coup de coeur, une émotion vive à la lecture, page 14 de ces mots "Alors sa tête résonnait d'étranges voix, alors des fantômes surgissaient qui avaient plus de réalité que les arbres...". Ces mots, ce phénomène, ces visites, tout cela est Virginia. Elle le racontait de son vivant, elle le fait toujours, à sa façon, avec ceux qui peuvent l'entendre et la comprendre. Joëlle Gardes a saisi l'essence de Virginia, elles ne font plus qu'un, la communion est parfaite. La "folie" de l'une a trouvé abri dans la tête de l'autre, deux femmes qui se comprennent.

J'en arrive alors à la seconde partie de l'ouvrage et là, je dois bien avouer une certaine déception qui gâche un peu l'enthousiasme de la première lecture. Si la biographie de Virginia est foncièrement exacte, je trouve qu'elle manque cruellement d'âme. Les faits sont là mais où se trouve l'esprit de Virginia ? Se résume-t-il à des dates, des noms, des faits sans vie ? Quel décalage avec le pèlerinage à Cassis !
Sans parler de quelques éléments trop ou trop peu mis en valeur à mon goût. Pourquoi insister autant sur le caractère libre, voire libéré de Virginia et ses amis. Entre les lignes, on devinerait presque de gigantesques réunions se terminant en parties fines pour multitude. Et en partant de ce fait, en le prenant pour une évidence et une réalité, je trouve alors dans ce cas qu'une personne manque cruellement à l'appel dans la vie de Virginia : Vita Sackville dont le nom n'est cité qu'une fois au détour d'un souvenir épistolaire. Pour avoir lu la correspondance échangée entre les deux femmes et m'être plongée dans deux grosses bios de Virginia, je sais que les deux amies étaient bien plus que cela, alors tant qu'à insister sur le caractère épanoui de Virginia et ses moeurs tolérantes, autant accorder la place qu'elle mérite à sa confidente Vita.
Détails diront certains, oubli de taille penseront d'autres, de quoi ternir un peu l'éclat émotionnel du début. Il manque l'âme et le sang de Virginia dans cette notice biographique.

Je préfère donc rester sur ma première impression et savourer une fois encore ces notes de voyage et ces impressions intimes d'une femme envers une autre femme. Ces notes cassidaines sont belles, tendres, émouvantes et douces; on retrouve Virginia au fil des pages, on la sentirait presque penchée sur notre épaule en train de commenter les photographies (magnifiques) de Christian Ramade.