Une situation difficile
de Richard Ford

critiqué par Heyrike, le 16 juin 2005
(Eure - 57 ans)


La note:  étoiles
Un auteur intimiste
Avant toute autre chose je dois dire que j'affectionne tout particulièrement cet auteur pour sa manière inimitable de donner vie à ses personnages, il réussit à chaque fois à faire en sorte qu'ils nous ressemblent pour une raison ou une autre. Ainsi deviennent-ils les acteurs de nos propres existences, mettant en scène les rapports si difficiles que nous entretenons avec nous même et les autres. Peut-être ne possède t-il pas la force et la dimension de certains grands auteurs américains que j'admire également (Fante, Harrison, Banks…), mais il n'en demeure pas moins, à mon sens de lecteur qui ne demande qu'à être averti, un homme pétri d'humanité. D'ailleurs c'est certainement par cela que j'aurais dû commencer, son humanité, qui émane dans la plupart de ces romans, vous transporte à la frontière des sentiments les plus intimes.

Dans ce recueil de deux nouvelles j'ai beaucoup aimé la première intitulée "La frontière". Un jeune garçon, dont les parents sont séparés depuis peu, part en compagnie de sa tante rejoindre sa mère qui habite loin de chez son père avec lequel il vit. Ce voyage devient rapidement mouvementé et plein de surprise. Procédant par petites touches sensibles, l'auteur s'exerce à démêler l'inextricable écheveau des liens, qu'ils soient d'amour ou de haine à moins que cela ne soit la même chose, que tissent les individus entre eux et ceux qui, échappant à leur volonté, se déploient en une immense toile d'araignée dont ils deviennent les prisonniers providentiels.

Par contre j'avoue ne pas avoir été vraiment accroché par la seconde nouvelle, "Une situation difficile". Histoire d'un auteur peu connu invité par son éditeur français à venir rencontrer sa traductrice à Paris à la veille de Noël. Une fois sur place il constate que l'éditeur est parti en vacances loin sous les tropiques. Accompagné d'Helen qui peuple ses nuits depuis déjà deux ans, il pense très souvent à sa fille et à sa femme dont il est séparé. Derrière les fenêtres de l'hôtel Parisien premier prix il observe les rues glaciales, il se demande ce qu'il fait ici. Pourquoi n'a t-il n'a pas su voir les signaux à temps ou alors était-il déjà trop tard pour qu'il puisse y remédier ? Et qu'aurait t-il pu changer ? Toute sa vie semble s'être enfuie trop loin devant lui.

Tandis qu'Helen est clouée au lit par les malaises qui l'assaillent de plus en plus souvent depuis son opération du cancer, il part vagabonder seul dans les rues de la capitale, plongé dans les souvenirs d'une existence aux rendez-vous manqués. En vain ais-je essayé de suivre le personnage dans sa longue déambulation parisienne, que je m'y suis perdu, moi aussi.
2 grosses nouvelles 8 étoiles

Deux grosses nouvelles : « La frontière » et « Une situation difficile ». C’est l’humanité et le traitement détaillé de relations humaines – et plus particulièrement hommes/femmes – qui constituent le trait d’union entre ces deux nouvelles.
Richard Ford a ce don de rentrer dans l’intime des personnalités et de nous faire saisir les micro-évènements ou petits gestes, qui en disent plus long que de longues pages.
Dans « La Frontière », Larry, un jeune homme de 17 ans, du Midwest profond, dont les parents sont séparés, va quitter, l’espace de quelques jours, son père, pour aller retrouver sa mère, en compagnie de sa tante, Doris. Celle-ci, qu’on qualifiera de « délurée », va lui faire subir une espèce de voyage initiatique, sans le vouloir pour ainsi dire, du simple fait de son mode de vie et de son fonctionnement. Larry, qui n’a pas encore trop réfléchi à ce qu’était la vie et ce que sera la sienne, assistera à la mort d’un homme poursuivi par la police, dans des conditions qui resteront mystérieuses. Il touchera du doigt ce que peut déclencher l’absorption d’alcool quant à la modification de personnalité. Tout ceci sans didactisme aucun. Un vrai plaisir de lecture !
Dans la seconde nouvelle, éponyme du titre, on est à Paris, avec un écrivain qui, s’il n’est pas raté, pourrait être en passe de le devenir et qui, en tout cas, à commencer par rater sa vie d’homme. Charly Mathews est invité par un éditeur français pour son premier livre. Il est accompagné d’Helen Carmichael qui n’est pas –réellement – sa compagne. Et rien ne va se passer comme prévu. L’éditeur va faire faux bond, les contraignant à improviser, tout ceci avec une Helen dont la santé va s’avérer des plus problématiques. Ca finira plutôt mal. Surtout pour Helen. Les quelques jours passés à Paris montreront que les apparences peuvent être trompeuses et qu’Helen n’est probablement pas celle qu’il croit. Quant à lui, il en saura peut-être un peu plus sur son compte.
Pas d’esbrouffe dans ces nouvelles, du détail fin et intelligent, de la psychologie à l’état brut.

« A son réveil, couché près d’Helen dans le lit réchauffé, l’oreille tendu à l’affût du vent, il avait eu la certitude qu’il n’aurait jamais dû venir ici, ou qu’il aurait absolument dû partir tout de suite après le coup de téléphone de Blumberg, et que toute l’aventure était déjà gâchée, tout était vicié. Il fut submergé par le sentiment qu’il aurait adoré Paris, si seulement il n’avait pas commis une erreur, une erreur de novice, sans savoir en quoi elle consistait au juste. »

Tistou - - 68 ans - 23 novembre 2009