Dolce agonia
de Nancy Huston

critiqué par Bluewitch, le 24 avril 2001
(Charleroi - 45 ans)


La note:  étoiles
Un fascinant huis clos
Ce roman se déroule le temps d’une nuit : celle de Thanksgiving. Et ce soir, c’est Dieu qui se fait conteur.
Sean Farrell, poète et professeur d'université est l’hôte de cette soirée de fête qui va réunir ses amis ainsi que leurs époux/épouses. Au fond, quelques adultes réunis pour l'échange de banalités et autres stéréotypes d’une soirée telle que celle-là.
Tous ont déjà leur jeunesse derrière eux. Quadragénaires ou plus âgés encore, ils parviennent pourtant à oublier chez chacun toutes ces marques de « vieillesse » qui ne sont en réalité qu'une façade à leur réelle personnalité.
Jusqu'à l'arrivée de Hal, le collègue de Sean, de sa nouvelle épouse, qui pourrait être leur fille, ainsi que de leur petit bébé… Chloé est jeune, trop jeune. Elle incarne le symbole de leur malaise et l'élément perturbateur de ce groupe qui s'accommodait tant bien que mal. « Et là, on vient de les condamner à exposer, malgré eux, leur corps ce soir : leur corps décati, objectivé, jugé ».
Et sa présence est, pour chacun, l'événement déclencheur d'une remise en question de soi. « Quand est-ce qu’on a vraiment vécu notre vie, au lieu de la voir comme une source possible d'écriture, une répétition générale, le faible écho ou la pâle photocopie ou les restes rancies de la Chose même ? Où est passée la vie ? Comment nous a-t-elle échappé ? ».

Et c’est ainsi qu'au fil des pages, des flash-back et pensées de chaque personnage, nous découvrons des êtres façonnés par leurs chagrins, déceptions et malheurs. Katie et Leo qui ont perdu leur fils, mort d'une overdose, Patrizia, séparée d'un mari violent, Beth, en constant combat avec les kilos et sa fille qui refuse de l’accepter telle qu’elle est, le vieil Aron, émigré biélorusse, Chloé, sauvée du trottoir par Hal… Tous ont leurs démons, tous ont leur histoire.
Entrecoupé « d'intermèdes divins » qui nous content leur avenir et leur fin déjà tout tracés, ce récit fascinant nous dépeint une société nostalgique, qui court vers un objectif qu'elle ne semble jamais destinée à atteindre.
Ironie de l’existence, naïveté de l’être humain sur sa propre condition, voilà des thèmes qui ne seront jamais obsolètes. Premier chapitre, Dieu prend la parole en prologue à son récit : « Souvent, à regarder les êtres humains accomplir leur destinée sur Terre, je me laisse emporter presque au point de croire en eux. Ils me donnent l’impression singulière d’être dotés de libre arbitre, d'autonomie, de volonté propre… Je sais bien que c’est une illusion, une notion saugrenue. (…) Et pourtant, et pourtant, ils ne cessent de m’étonner ».
Car la seule chose que Dieu fut bien incapable de contrôler, c'est l'amour. Cet amour qui « ne peut surgir que là où il y a failles, pertes, manques, faiblesses, myopie. A vrai dire, c’était un sous-produit de l'espèce humaine ».
Nancy Huston donne réellement l’impression de tout connaître de ses personnages, qui semblent avoir grandi, mûri dans son esprit au gré de multiples subtilités.
Ce roman est très bien écrit, maîtrisé et plein de bon sens ! A découvrir sans hésitation.
Ah, Nancy Huston 6 étoiles

Que dire de ce roman. Beaucoup de personnages et difficulté pour ma part à entrer dans l'histoire, mais l'essence de l'auteure est bien là. Les incursions dans le cerveau des personnages au cours d'un souper entre amis sont passionnantes. Leur psychologie, leur mélancolie, leurs digressions dans leurs souvenirs lorsqu'un convive aborde un thème ou un autre, alors que le souper se passe, c'est fabuleux. C'est humain, c'est réel, c'est "en direct", mais c'est parfois trop et on en perd le fil. Un roman que j'ai apprécié, mais pas le meilleur de Nancy Huston, à mon avis.

Gabri - - 38 ans - 29 juillet 2015


dolce agonia de Nacy Huston 3 étoiles

surtout ne lisez pas ce livre si vous êtes un peu déprimé , plus très jeune .
je lis plus haut dans les critiques : " un livre terriblement humain "
humain , cela signifie-t-il seulement le côté négatif de la vie , du vieillissement , de la noirceur parfois cachée profondément en nous , de fin de vies gâchées par de mauvais souvenirs ?
c'est un livre noir , très noir , l'auteur le dit elle-même " les écrivains sont obsédés par la douleur et le conflit " peut-être , pas tous heureusement !
et puis ces flashs backs continuels , lassants rendent le discours chaotique , décousu ; Nancy Huston un bon écrivain ? certainement pas , je n'ai pas envie de lire d'autres livres d'elle

Mine2 - - 64 ans - 11 octobre 2013


Tellement humain 9 étoiles

Le livre est magnifique : cette soirée que partagent douze amis de plus ou moins longue date ressemble tellement à ce que nous pouvons vivre ! Tout se déroule dans le huis clos de la maison de l'hôte, et le seul cheminement des pensées ouvre vers l'extérieur : ce qu'ils projettent en arrivant -envie, crainte, fatigue ou ennui - ce que réveillent en chacun les échanges, parfois tendres, parfois cruels, le "côté obscur" contre lequel chacun de ce quadras et plus, se débat .....
Et l'alcool qui désinhibe !
Chacun porte une lourde histoire : oui, cela ressemble à une soirée entre amis, sauf que nous n'accédons pas aux pensées des autres et que nous ne percevons pas cette terrible voix off : Dieu travesti en Faucheuse, qui émaille froidement le récit de ce que sera la destinée de chacun !

La construction est superbe, les personnages, humains dans leur détresse, leur générosité et leurs inévitables moments de mesquinerie.

Une très belle approche de la solitude en groupe, des partages cependant possibles et de la difficulté à vivre .....l'instant quand hier et demain sont si présents

DE GOUGE - Nantes - 68 ans - 27 novembre 2011


Beaucoup de personnages 8 étoiles

Attention de ne pas partir trop vite comme moi, qui en matière de lecture suis un peu "goulue"; il faut prendre le temps de bien mémoriser les personnages brièvement évoqués dans les première pages pour savourer ce roman très réussi de Nancy Huston

Livrophage - Pessoulens - 64 ans - 19 avril 2011


Quelle sera votre fin ? 9 étoiles

Encore une fois, le style magnifique de N. Huston fait des miracles. Un peu désarçonné au début par la façon dont on nous plonge dans les pensées des différents protagonistes de cette histoire, c'est avec plaisir que je me suis laissé embarquer autour de ce repas de Thanksgiving, le temps d'une soirée.
Il se dégage une véritable humanité de ce roman. On est touché par les meurtrissures des personnages, leurs pensées les plus secrètes, leurs mémoires qui ne semblent retenir que les épreuves les plus difficiles de leurs vies, bien plus que les bonheurs vécus. C'est très beau. Très dur aussi par instants. C'est d'ailleurs assez incroyable comme l'auteur arrive à décrire l'horreur avec une telle légèreté dans l'écriture.
A la lecture de ce livre, on se dit que la vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Je trouve aussi que ce roman a quelque chose de très féminin. En ce sens qu'il n'aurait pas pu être écrit par un homme. J'en ai l'impression, du moins.

Asgard - Liège - 46 ans - 16 avril 2008


Une Cène à visage humain 9 étoiles

Quel sentiment bizarre à la lecture de ces "entractes" donnant la parole à Dieu, narrant comment il fera mourir tour à tour les différents protagonistes de ce récit s'articulant autour d'un repas de Thanksgiving. Enormément de froideur et de cruauté, une absence quasi totale de sentiments dans la bouche de Dieu et, s'installant progressivement, une espèce de crainte, comme un frisson, face à l'idée que oui, quelque part, il est inscrit une date, une heure, des circonstances me concernant... J'ai été subjuguée par ce recul pris par Nancy Huston lorsqu'elle se glisse dans la peau de Dieu et la chaleur humaine qu'elle donne avec générosité à chacun de ses personnages; le contraste est frappant... et beau!
Beau comme l'ensemble du récit, une réussite de plus pour Nancy Huston, dont la plume allie élégance et sensibilité sans que jamais ça ne tombe dans un style romanesque trop guimauve (à mes yeux en tout cas).
J'apprécie cette fois encore la fragilité des êtres qu'elle expose, leurs souffrances, leurs bonheurs, cette vie faite de petits riens... des gens qui nous ressemblent chacun un peu, beaucoup.
J'ai aussi aimé le côté sombre du roman, presque sans issue (parce qu'après tout, on sait qu'ils y passeront tous!), tout cela est très bien ficelé, avec beaucoup de subtilité.

Sahkti - Genève - 50 ans - 25 mai 2007


Que de malheurs!!! 8 étoiles

Difficile de parler de ce roman... Il arrive tant de choses aux protagonistes qu'on finit par se demander s'il y a quelqu'un de normal parmi eux...

Pourtant, on s'accroche à certains d'entre eux.

J'ai très vite lu ce bouquin, fecilement, avec envie.
Dire aujourd'hui si je l'ai aimé, c'est difficile, il est tellement noir.

Mais bon, je lui mets tout de même un 4 donc...

Manumanu55 - Bruxelles - 45 ans - 16 janvier 2006


il me poursuivra longtemps... 10 étoiles

Que demande-t-on à un bon roman? De ne pas nous laisser indifférent. Et avec Dolce Agonia, on est servi.
Je passerai vite sur la virtuosité de la construction, le passage entre les pensées et les discussions des personnages pourtant nombreux.
Dolce Agonia porte merveilleusement bien son nom: car la vie est une douce agonie. Cette soirée de Thanksgiving est un microcosme où se jouent toutes les passions et toutes les tragédies humaines. Amour haine, violence et bien sûr mort. Sans vouloir philosopher, la vie n'est possible que parce qu'il y a la mort. Ce roman est un hymne d'amour à la vie. Quand on referme le bouquin, on n'est sûr que d'une chose: on mourra tous un jour.C'est bien pourquoi la vie est si belle.

Badzu - versailles - 49 ans - 6 novembre 2005


Décevant pour un Nancy HUSTON 2 étoiles

Je suis tout à fait d'accord avec APostrophe.
Ce roman de Nancy Huston est particulièrement pessimiste, voire glauque et montre une vision de la vie noire et sans espoir. L’auteur nous avait habitué à des images dures et sans détour, disant les choses brutalement, sans enrobage mais ici, c’est presque de la provocation. Aucun personnage n’est attachant, leur mort est le plus souvent très angoissante et horrible et on se demande ce qu’elle a voulu démontrer ici. Elle ne fait même pas preuve de sa finesse psychologique habituelle, méprisant ses personnages et ne leur laissant aucune chance..
En résumé, ce roman est extrêmement décevant par rapport à « Instrument des ténèbres » ou « la virevolte ».

SOFIBI - - 53 ans - 11 mai 2004


"Divin" roman 9 étoiles

J'ai eu du mal à lâcher ce roman tant il m'a séduit et même une fois la dernière page tournée, il est resté présent à mon esprit pendant un certain temps. Les mots me manquent pour exprimer ce que j'ai ressenti à sa lecture, face au talent impressionnant de Nancy Huston, qui écrit "divinement" bien. Et difficile d'ajouter quoique ce soit à l'excellente critique de Bluewitch, si bien complétée par les critiques éclair.

Ce roman m'a rappelé "Le dîner" d'Anna Davis, qui prend place également lors d'un repas entre amis à la même époque et se teinte lui aussi d'une certaine noirceur. Mais "Dolce Agonia" me semble bien supérieur. Quelle maîtrise de la part de la romancière dans le développement des personnages et de l'intrigue.

En plus des thèmes de la jeunesse, de la vieillesse, de la mort et de l'amour, j'ai été frappée par la récurrence du thème "rapports parents-enfants". La plupart des souvenirs, des regrets, des rancoeurs et de la culpabilité des protagonistes concernent leurs pères, mères ou enfants. Ils ont tous des comptes à régler avec leurs passé familial, que ce passé soit douloureux ou au contraire heureux et regretté.

Voilà encore une belle découverte que je dois à Critiques Libres.

Féline - Binche - 46 ans - 16 décembre 2003


Quelle force! 8 étoiles

Oui, bon, ce livre n’est pas foncièrement optimiste !
Mais est-il noir pour autant ?
Aucune concession à une bonne humeur factice, pas une fin qui nous fait sourire, soit.
Des désillusions, il en pleut.
Pourtant, ce couple qui s’aime, car parmi tous les personnages, il y en a quand même deux qui sont unis sincèrement, ce couple qui ressent encore le besoin vital d’être réuni chaque jour, chaque heure, après un nombre impressionnant d'années de vie commune, ce couple qui est au même diapason, chante la même chanson, fredonne les mêmes paroles, ce couple donc me remplit de bonheur, brille devant moi comme l’étincelle que je désire toujours voir animer ma vie, mon âme.
Dieu, par la plume de N. Huston, écrit diablement bien !
La technique du flash-back m’a par contre un tout petit peu lassée, tant l’auteur y recourt.
Ceci n’est qu'une nuance infime.
J'ai adoré ce livre, je l'ai avalé plutôt que lu.
Comme toujours, N. Huston m’a ravie par la souplesse de son écriture qui passe par toutes les teintes : rouge sang ou rouge amour, poésie du bleu ou au contraire sa froideur, vert fertile ou vert étouffant, noir apaisant ou noir taraudant.
Quelle palette !

Saint-Germain-des-Prés - Liernu - 56 ans - 30 juillet 2002


La génération lyrique 8 étoiles

On a beaucoup glosé sur la technique utilisée par Huston dans ce roman. Il est vrai que le roman est mené de main de maîtresse. Il est aussi vrai que c'est un roman farouchement lucide. Et, même si l'auteure s'en défend, c’est un roman plein de désillusions. J’y vois comme le bilan d’une génération, la mienne, la « génération lyrique » pour reprendre le beau titre d’un essai québécois, génération qui a beaucoup rêvé, qui a cultivé la pureté et tous les cultes sans préparer les lendemains qui déchantent.

Vigno - - - ans - 21 décembre 2001


Encore une bonne cuvée de N.Huston 5 étoiles

Ce roman pourrait très bien avoir pour titre "Fin de partie" tant il est vrai que tous les personnages regardent en arrière. N.Huston fait d'ailleurs des références parfois appuyées à S.Beckett au long du livre. Malgré une présence fort timide de l'amour, c'est complètement désespéré comme bouquin. Je pense, contrairement à Bluewitch, qu'il y a très peu de place pour l'amour. La seule issue, c'est la mort et ce qui fascine les invités chez Chloé, c'est effectivement sa jeunesse, non pas pour ce qu'elle est, mais tout simplement parce que c'est l'âge de la vie où on peut prendre la Mort comme un jeu. Le drame des autres personnages, c'est leur trop grande lucidité, mais c'est effectivement le propre de l'âge.
Nancy Huston cultive la morbidité avec grand art, c'est là son génie. Pourtant, "Dolce Agonia" est inférieur à son superbe "Instruments des ténèbres" : dans ce dernier, l'inspiration et la puissance d'écriture de la romancière s'y révèle encore mieux.

Apostrophe - Bruxelles - 63 ans - 28 juin 2001