Vu
de Serge Joncour

critiqué par Sibylline, le 8 juin 2005
(Normandie - 74 ans)


La note:  étoiles
Famille Débrouillard
Premier roman publié de Serge Joncour, «Vu» est paru en 1998.
Le style évoque irrésistiblement celui de «Fantasia chez les ploucs». Même récit rural, même esprit familial d’entourloupe (mais en moins commercial et plus saignant), même décalage entre le récit objectif enfantin et les actions adultes qui sont racontées.
Ici, c’est l’histoire d’une famille de trois enfants (qui ne vont pas à l’école parce qu’ils «n’ont pas trop le temps») dont le père est chômeur professionnel et qui a goûté aux plaisirs du vedettariat télévisuel parce qu’un avion a eu l’heur de se planter dans leur champ. Le premier engouement passé, la famille, aux multiples particularités étonnantes, regrette de voir s’éloigner les caméras. Le retour à l’anonymat est morose. Jusqu’à ce qu’un journaliste, qui a remarqué que leur sillage était jonché d’accidents dramatiques (seraient-ils des porte-poisse ?), se mette en tête de les suivre pas à pas, jour et nuit, caméra à l’épaule, afin d’obtenir le scoop du siècle, voire le Pullizer.
Voilà pour l’histoire. Pour le style, sans revenir sur le parti pris de récit par un enfant, le ton est clairement humoristique. Les pires horreurs y sont énoncées avec une candeur et une totale innocence qui les rend tolérables et qui nous permet même d’en rire. Tous les personnages, quelles que soient leurs tares mentales, du petit dernier à la grand-mère, sont vus avec une égale bienveillance qui donne le ton du livre. Ici, l’ambiance pourrait se résumer ainsi : peu de grands sentiments ou de grandeur, beaucoup de morts, mais rien de grave.
Le final ne déçoit pas et nous amène à jeter un autre regard, un peu interrogatif, un peu dubitatif, sur l’auteur. Non, je plaisante. Ni doute, ni question, Serge Joncour est un écrivain. Son style vivant, sa capacité à saisir l’idée derrière ce qu’il voit tous les jours et son humour en font même un auteur fort agréable et intéressant à lire.
Pas d'états d'âme ! 8 étoiles

Dans "un petit village où il fait beau, l'avenue de l'église bordée de ses ombres, deux ou trois vues sur la fontaine qui glougloute, des accoudés qui trinquent sous les parasols anisés, la représentation même de la sérénité", vit une famille anodine dans un lieu-dit proche du trou paumé en rase campagne. Il y a le père, la mère, les trois enfants, sans oublier l'immortelle grand-mère dans son fauteuil roulant. En fait, cette famille a tout de la caricature des Bidochons - ce sont des gens simples, démunis, à la modeste ambition de paraître en une des journaux ! Et c'est pourtant vrai qu'ils les collectionnent, les unes. Ils sont mine de rien les champions involontaires des grabuges. La légende commence lorsqu'un boing se crashe dans le jardin, la carcasse devenant un aimant à touristes, "un genre de menhir qui n'avait pas la mérite des siècles". S'ensuit une série de guignes monstrueuses, mais finalement drôles pour le lecteur (je vous invite à lire ce livre pour en savourer les détails !).

Ce qui est décrispant dans "Vu" c'est la constante légèreté, l'absence d'effusions, de pathétisme ou de misérabilisme qu'on accole trop souvent aux gens de peu. Il y a un refus de se prendre au sérieux, aucun état d'âme (l'épisode du cochon l'atteste). Au début, en ouvrant le premier chapitre, j'étais décontenancée par la nonchalance du style du narrateur, mais en approfondissant on découvre davantage : "un rendu proche du pathétique, un lyrisme feutré d'un manque de vocabulaire, devenu encore plus poignant à cause de cela. Un style étincelant de lacunes, elliptique jusqu'à l'abscons, tout ce qui caractérise la naïveté docile des puissants illettrés". Et pour se jeter lui-même des roses, le narrateur ajoute : "un talent de plume, certes pas suffisant pour les académies, mais parfaitement adéquat pour témoigner, non pas de nos petites misères comme ils le font tous, mais de nos petits arrangements avec l'ennui". Forcément le charme opère, ces Bidochons de Serge Joncour sont trop délirants pour ne pas aller à leur rencontre et accepter "une petite mousse". Et si d'aventure vous croisez en chemin l'Ampoule, autrement dit le journaliste Jérôme Marchetout, il vous expliquera, lui ...

Clarabel - - 48 ans - 31 juillet 2005