Quand l'empereur était un dieu
de Julie Otsuka

critiqué par Idelette, le 4 juin 2005
( - 61 ans)


La note:  étoiles
Des camps de concentration aux Etats Unis
Julie Otsuka a écrit un roman. Un court roman qui sonne un peu comme un cri. Qui pourrait croire qu'il n'y a pas une partie autobiographique ? ou vécue par des proches... Une famille américaine, d'origine japonaise, est bien intégrée en Californie. Un jour toute leur vie change, ils sont séparés, puis déportés sur ordre du FBI comme des milliers de citoyens américains d'origine japonaise ou de japonais nouvellement installés aux USA. Leur seul tort, être d'origine japonaise, après le désastre de Pearl Harbour...

Cette humiliation d'être prisonnier dans son propre pays sans avoir commis de délit, sans jugement est montré sans un style froid, coupant alors qu'elle décrit avec chaleur et méticulosité les rapports familiaux, l'inquiétude pour le père et la solidarité entre japonais dans les camps. Cette communauté est incrédule et se serre les coudes devant l'incompréhension et l'arbitraire. En même temps, l'écriture est poétique, les descriptions sont peu nombreuses, inhabituelles et évocatrices. La famille se recomposera après la guerre dans l'indifférence générale, comme leur emprisonnement. Le comportement des voisins est même stupéfiant comme cette histoire.

La famille est à nouveau réunie mais les yeux sont dessillés. Chacun porte en lui la rancoeur, cette colère froide est assez terrible car elle marque l'échec de leur intégration.
L'embarassant ennemi ! 8 étoiles

Julie Otsuka aborde ici un sujet hors norme : que pouvait bien faire l'Oncle Sam de tous ces japonais qui étaient hébergés (ou ressortissants) sur le sol américain durant le conflit avec le Japon durant la seconde guerre mondiale ?
Au travers d'une famille, ce court roman s'articule avec la froideur toute nippone sur ce sujet oublié. L'arrestation du père mis au secret. La déportation de la mère et de ses deux enfants dans un camps. Puis après le boum d'Hiroshima et la fin de la guerre, la réintégration de ces familles qui ne fut pas des plus facile tant la rancoeur des Américains était profonde.

Un livre prenant qui prend la peine de décrire le côté des vaincus.

Monocle - tournai - 64 ans - 11 mai 2017


Avant Pendant Après 6 étoiles

Il y a un avant, un pendant et un après dans ce premier roman de Julie Otsuka. Il y a le 7 décembre 1941 et Pearl Harbor et l’internement et le regroupement des Japonais résidant aux USA. Par le regard du petit garçon d’une de ces familles bannies à l’intérieur du territoire parce que Japonais et susceptibles de vénérer l’empereur ou le drapeau du soleil levant, nous suivons l’exil intérieur de cette famille de laquelle le père a été enlevé et ne reviendra, détruit, qu’à l’issue du conflit mondial.

Peu d’intrigue, peu de mouvement : j’ai failli lâcher mais me suis arrêté sur cette simplicité dans l’expression, ce discours quasi enfantin qui marque l’incompréhension et l’appréhension, qui espère seulement un retour à la normale, la fermeture de la parenthèse…
Avant, pendant et après un pan de l’Histoire mal connue qui se termine ici par un chapitre sublime de force contre le racisme et finalement une lecture intéressante.

Monito - - 52 ans - 21 mars 2013


Interdit aux Japs 9 étoiles

Un petit bouquin obligatoire pour prendre connaissance d'une sombre page de l'histoire US : après Pearl Harbor, tous les américains d'origine nippone sont évacués dans des zones de regroupement, bref en d'autres termes, déportés dans des camps de concentration.
D'une voix blanche, Julie Otsuka nous conte l'horreur tranquille vécue par ses grands-parents.
Presque sans émotion, elle décrit le quotidien le plus banal. Le plus terrible.
une lettre à son père
[...] «Papa, il y a pas mal de soleil ici aussi, dans l'Utah. La nourriture n'est pas trop mauvaise et nous avons du lait tous les jours. À la cantine, nous faisons la collecte des clous pour l'oncle Sam. Hier, mon cerf-volant est resté coincé sur la clôture».
Les règles concernant la clôture étaient simples : interdiction de passer par-dessus, interdiction de passer par-dessous, interdiction de passer autour, interdiction de passer au travers.
Et si votre cerf-volant restait coincé dessus ?
Là, c'était encore plus simple : on devait l'abandonner.
Il y avait également des règles concernant le langage : Ici, on dit «salle à manger» et non «cantine», «conseil de sûreté» et non «police interne», «résidants» et non «évacués», enfin et surtout «climat mental» et non «moral».
Il y avait des règles concernant la nourriture : il était interdit de se resservir, sauf du lait et du pain.
Et concernant les livres : pas de livres en japonais.
Il y avait aussi des règles concernant la religion : pas de shintoïstes, avec leur culte de l'empereur.
Et plus loin :
[...] Au début de l'automne, les grandes exploitations agricoles envoyèrent des agents de recrutement et le Service du transfert des populations autorisa de nombreux jeunes gens - hommes et femmes - à aller aider aux travaux des récoltes. [...] D'aucuns [...] revinrent avec les mêmes chaussures qu'ils portaient à leur départ, jurant que plus jamais ils ne quitteraient le camp. Ils racontaient qu'on leur avait tiré dessus, craché dessus, refusé l'entrée au restaurant du coin, au cinéma, au magasin de nouveautés. Ils expliquaient que, partout où ils étaient allés, ils avaient vu la même pancarte en vitrine : INTERDIT AUX JAPS. La vie était plus simple de ce côté-ci de la barrière, concluaient-ils.
Derrière un style d'apparence glaciale, couve l'émotion :
[...] À la tombée du jour, alors que le soleil virait au rouge sang, sa soeur l'entraînait à la limite des baraquements pour aller admirer le coucher de soleil sur les montagnes. «Regarde, détourne les yeux. Regarde, détourne les yeux.» C'était ainsi qu'il convenait d'observer le soleil, lui apprit-elle. Si on le fixait trop longtemps du regard, on devenait aveugle.
Alors, pour ne pas rester aveugle, il faut lire ce petit bouquin qui cache sous son écriture d'apparence froide et placide, un véritable réquisitoire.
Une belle histoire humaine aussi.

BMR & MAM - Paris - 64 ans - 7 septembre 2008


«WAR RELOCATIONS CENTERS» 7 étoiles

Un des épisodes les plus méconnus et des plus scandaleux de le Seconde Guerre Mondiale eut lieu le 19 février 1942, ce jour là, Franklin Delano ROOSEVELT (président des Etats-Unis en exercice), signa le décret présidentiel 9066 autorisant, par mesure de prévention, l’enfermement de certains groupes ethniques dans des camps de concentration nommés pudiquement «War Relocation Centers».
120.000 américains d’origine japonaise (dont 62% étaient des émigrés de la deuxième génération) furent ainsi déportés et enfermés dans ces camps durant la guerre.
Les pertes subies par ceux affectés par cette mesure d'internement durant cette période sont estimées à plusieurs milliards de dollars. Plusieurs milliers d'Italo-Américains et d'Américains d'origine allemande ont également été soumis à des restrictions semblables, y compris le fichage systématique et l'internement.

C’est cet épisode que raconte le livre de Julie OTSUKA, cet épisode vécu par une mère et ses deux enfants, et raconté par le plus jeune d’entre eux : le fils. L’écriture est très directe, très froide, spoliée de tout sentiments, je dirai qu’il s’agit là d’une façon d’écrire «typiquement japonaise» bien que l’auteur soit américain.

Il y a peu de description dans ce livre, il est vrai que la famille étant déportée dans le désert de l’Utah, à part le soleil, le sable et les nuages il n’y a pas grand-chose à raconter... Place est faite donc au récit et au sentiments des personnages le tout dans un récit très linéaire : la guerre commence, le père est déporté, la famille est à son tour déportée, la vie dans les camps, la guerre se termine, la famille revient à la maison, le père revient à la maison… et pourtant rien n’est plus pareil, rien ne sera plus jamais pareil…

Un très bon livre, qui a l’avantage de mettre en lumière cette période très sombre de l’histoire américaine…

Septularisen - - - ans - 17 juillet 2008


Impassible 9 étoiles

Je suis encore sous le choc de ce roman. Il m'a énormément plu et dérangé à la fois.
Ce qui m'a particulièrement plu, c'est l'histoire, la volonté de parler des camps de concentration en Amérique car oui, là bas aussi ils ont existé, la volonté d'éclairer les gens sur cette phase noire de l'histoire mondiale du côté américain. J'ai également apprécié le personnage du petit garçon qui semble le plus lucide de l'histoire, celui qui se pose le plus de questions, celui qui doute, qui se sent coupable... J'ai aimé la fin du roman, le retour à la maison tant attendu qui ne ressemble en rien à leurs rêves, le retour du père qui se fait tant attendre...
Ce qui m'a le plus dérangé - la quatrième de couverture m'avait prévenu mais je ne pensais pas que ce soit aussi perceptible - c'est l'écriture dénuée de tout sentiment de ce roman. On a l'impression que les personnages ne ressentent rien, qu'ils subissent en attendant, qu'ils ne souffrent pas des horreurs, qu'ils subissent et qu'ils vivent au jour le jour jusqu'au moment où ils deviennent presque fous (notamment la mère et la fille)... et j'ai trouvé cela limite insoutenable. Sans conter la poésie qui s'introduit dans certains passages qui devraient être horribles face aux évènements qu'ils retracent. Cette famille a tout perdu, elle n'a plus rien, l'auteur a même pris le parti de ne pas leur donner de noms pour renforcer cet aspect.
Le dernier chapitre retraçant la vision du père, à la limite du violent - je trouve que les femmes sont représentées de manière beaucoup plus posées que les hommes même si elles semblent prêtes à craquer au moindre souffle - a ramené ces sentiments si absents du reste du livre. Mais là encore, c'est la poésie qui prime, il s'agit d'une simple énumération à la "presque Prévert"... Et pourtant cela suffit à me donner un peu de cette violence des sentiments que j'attendais.
Un livre extrêmement dur par son impassibilité face aux évènements qui s'y déroulent mais qui demeure un réel chef d'oeuvre...

Loutarwen - NANTES - 40 ans - 18 mai 2007