Contre Venise
de Régis Debray

critiqué par Veneziano, le 23 mai 2005
(Paris - 47 ans)


La note:  étoiles
Une insulte
Régis Debray est-il seulement sensible à l'art ? J'en doute. Je ne connais pas Naples, mais ce qu'il dit sur Venise relève de la critique facile et d'un radicalisme anti-bourgeois bien primaire. La discrimination sociale est aussi grave que la discrimination raciale, Monsieur Debray.
Ce livre est désolant.
À mort Venise! 8 étoiles

Comme le membre d’un couple lassé de son conjoint a parfois besoin d’un tiers (amant,amante) pour concrétiser son rejet, Debray se sert de Naples (avec J-N Schifano en entremetteur) comme repoussoir à Venise. Et pour quelles raisons l’en blâmerait-on en termes vifs sauf si le surnom qu’on prend pour ce faire est directement inspiré de la ville incriminée que c’en devient, il est vrai, une histoire de dignité personnelle ?
Enfin, traiter Debray de « non sensible à l’art » après avoir lu ce livre, et connaissant sa réputation d’homme de culture, est autrement discourtois voire déplacé. Mais, trêve de circonlocutions, je n’ai pas trouvé que Debray, dans ce livre, tient un discours antisocial (« Antisocial, tu perds ton sang froid.Repense a toutes ces années de service". Merci Bernie pour ton soutien !); il s’en prend aux mélancoliques, aux pédants, à ceux qui préfèrent le ressassement, la commémoration à la vie pétante et pétaradante. Debray joue les Napolitains de coeur et d’esprit contre les Vénitiens de tête, d’un week-end, d'un mini-trip car, pour l’auteur, même la foi est plus vivace à Naples qu’à Venise où elle ne fait étalage que de vocabulaire religieux.
Et c’est diablement bien écrit. Jugez plutôt :

« Le rendez-vous le plus vulgaire des gens de goût (ceux que les oeuvres de culture rendent aveugles et sourds aux actes de rupture). »

« Venise a du style. Elle en a même trop, sept ou huit, mais l’ordonnancement de la mosaïque et la dominante d’un matériau singulier, la pierre blanche d’Istrie, font passer le composite des façades et des architectures. Naples a mieux : un ton. Ici, on a un exercice de composition, et là l’empreinte d’une singularité vitale. »

« L’exhibition napolitaine du cadavre excite au plaisir ; les liesses vénitiennes ont goût de cendres. »

« Le Grand Canal : le seul égoût au monde qui donne au badaud l’ivresse d’un appareillage dans les Marquises. »

« S’il y avait une déontologie dans notre corporation, pour en tempérer l’essentielle démagogie, les critiques littéraires ou filmiques devraient convenir d’une pénalité de principe frappant uniformémént les produits internationaux prenant Venise pour toile de fond (au même titre que l’utilisation en tire-larmes des enfants de moins de douze ans à l’écran). »

Voilà qui bellement envoyé! Mais n’y aurait-il pas beaucoup d’humour derrière cet exercice de style en forme de pamphlet car plus d’une fois on sent l’auteur attiré vers ce qu’il pourfend et qu’il faudrait peu de choses pour qu’il embrasse sur le champ ce qu’il a dénigré avec force et application. Au final, Debray sait qu’il ne convaincra qu’à moitié et qu’on lui rétorquera, comme il l’écrit: « Venise ? Je sais bien... mais quand même. »

Le grand présent/absent de ce livre est sans nul doute Philippe Sollers dont on sait l‘attachement pour Venise : pas une fois il n’est cité et cependant il y a un paragraphe où son nom affleure sans jamais jaillir. Les deux hommes ne s’apprécient guère même s’ils sont tous deux des fleurons des éditions Gallimard ; Debray a jadis traité son collègue d’ « insubmersible bête médiatique ». Rappelons en passant le mot de Patrick Besson pour qualifier le directeur de L’infini: « ancien truand reconverti dans la police. »

Donc un livre à lire aussi bien pour les amoureux de la Cité des Doges que pour les candidats à sa détestation.

Kinbote - Jumet - 65 ans - 19 août 2005