La reine de l'Idaho
de Thomas Savage

critiqué par Jules, le 9 mai 2005
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Une merveille de psychologie et de finesse
Le livre commence par une petite introduction faites par un homme qui déclare s’appeler Thomas Burton et être écrivain, ainsi que sa femme. Il nous dit qu’il vit dans le Maine, au bord de l’océan, où il est venu s’installer tant il tenait à s’éloigner du ranch du Montana où il avait été élevé et où sa mère, Elisabeth, avait été aussi malheureuse. Cela ne prend que trois ou quatre pages et nous voilà partis dans une tout autre histoire !

Une jeune et très belle femme, manifestement avec certains moyens, parcourt le couloir de l’hôpital. Elle s’appelle Elisabeth Owen, est superbe, et déclare vouloir accoucher et aussitôt abandonner son enfant, ce qu’elle fait. Le médecin de la clinique sait qu’un couple de la ville a perdu un fils, suite à un accident, et rêve d’un autre enfant. Il arrangera donc les choses. Au moins, il sait que la petite sera très bien là-bas. Nous sommes chez les McKinney, à Saint-Luke dans l’état de Washington en 1912.

La petite Amy va connaître une enfance stable et très agréable, même si ses parents adoptifs sont un peu âgés et craintifs. Elle grandira bien et ne fera qu’une seule fois allusion à Mrs. McKinney au fait que celle-ci ne serait pas sa vraie mère. Devant les larmes et le profond chagrin de cette brave femme elle n’en parlera plus jamais. Elle étudie bien, va à l’université et obtient un excellent travail qui lui plaît. Tout va donc très bien, même si tout cela est un rien monotone.
Elle s’occupera à merveille de ses vieux parents et continuera à habiter chez eux. Contrairement aux prévisions de Mr. McKinney, c’est sa femme qui décédera la première et ce n’est que quelques années plus tard que lui-même partira. Amy va finir par se marier avec un homme qui semble avoir les mêmes goûts qu’elle. Tout cela est à nouveau raisonnable, comme toute la vie d’Amy. Son mari s’appelle Philip Nofzinger. Mais, lassés, ils divorceront quelques années plus tard. Estimant qu’elle ne possède aucun nom par elle-même, ni aucune histoire, elle lui demande si elle peut conserver le sien. Il répond que oui.

A la mort du vieux Mr. McKinney elle a trouvé dans un coffre à la banque une grande enveloppe brune à son attention. Mais celle-ci lui faisait un peu peur, aussi, ne l’avait-elle pas ouverte. Maintenant, elle brûle d’envie d’y aller, même si sa peur existe toujours… L’Etat ne voulait pas qu’un enfant adopté puisse retrouver ses parents, mais Mr. McKinney était avocat, scrupuleux et amoureux de la vérité. Aussi, avec la complicité du médecin, avait-il fait établir un papier bien en règle et portant les noms et signatures de ses parents : Benjamin Burton et Elisabeth Birdseye Sweringen.

La voilà qui s’entraîne à signer Burton à de multiples reprises, tentant ainsi de s’assimiler à ce nouveau nom. Elle connaît vaguement un jeune avocat de Seattle et lui fixe un rendez-vous. Celui-ci tente de la dissuader de se livrer à ces recherches, craignant surtout les multiples déceptions possibles pour elle. Mais elle ne l’écoutera pas.

La piste Burton va rapidement se refermer, mais c’est celle de Sweringen qui va s’ouvrir même si c’est avec une certaine réticence.

Un merveilleux livre. J’avais déjà beaucoup aimé « Le pouvoir du chien » du même auteur, mais ce livre ci ne m’a vraiment pas déçu du tout !… Je l’ai dévoré ! Il est très bien écrit, plein de vérités sur la vie, sur ses personnages, et la finesse des sentiments des différents protagonistes est très bien rendue. Autant pour la pauvre Amy à la recherche d’une identité que pour la famille qu’elle va approcher et à laquelle elle va faire découvrir un terrible secret.
La famille joue ici un énorme rôle.

Le passage au cours duquel Thomas Burton va faire un petit inventaire de ses objets de famille et se dire qu’Amy, elle, n’a rien de tout cela pour se protéger est merveilleux.

A lire absolument, même si nous connaissons assez vite la vérité. Cela n’enlève rien !…
Avec vous je me serai moins souvent senti comme un fantôme ! 8 étoiles

La littérature américaine a en réserve quelques belles surprises. Thomas Savage n'est pas à proprement parler un auteur prolixe mais le moins que l'on puisse dire c'est qu'il propose une écriture condensée comme un sirop onctueux.
Dans "La reine de l'Idaho" l'intrigue se dévoile par fragments et le thème conducteur c'est à mon sens l'esprit de l'identité et l'importance de l'origine.
Combien de fois faut-il écrire un nom avant de se l'approprier ? Ce n'est pas tant le nom qui compte. C'est de savoir qui sont ses parents et les parents des parents de ses parents, car plus loin on peut remonter dans sa lignée, plus on se sent en sécurité.
Sans famille vous voilà balayé. Fichu. Vous n'avez jamais existé. Rien n'est plus solitaire que les dernières heures d'un homme sans foyer qui gît abandonné dans la chambre d'un hôtel borgne.
Et l'auteur de rajouter : "personne ne veut votre photo".
Alors Amy est confrontée à l'immensité d'un défi insondable. Les fous, disait Alexander Pope, se lancent là où même les anges n'osent mettre les pieds.

Monocle - tournai - 64 ans - 25 octobre 2015


Thomas Savage, un auteur à découvrir 8 étoiles

A l’image des autres critiques j’ai également découvert cet auteur par l’intermédiaire de l’excellent pouvoir du chien. C’est en cherchant un autre roman de cet auteur que je suis d’ailleurs tombé sur la Reine de L’Idaho et comme le dit @Jlc il est regrettable qu’une majorité des œuvres de cet auteur, si prisé aux États-Unis, ne soient pas traduites dans notre langue.

A l’instar du roman précédemment critiqué de cet auteur, la Reine de l’Idaho est un roman agréable à lire, bien écrit et assez addictif. La galerie de personnages déployée par Savage s’avère riche en caractères divers et variés avec les familles Sweringen et Mc Kinney dont les oppositions de style sont bien retranscrites dans les critiques précédentes. L’auteur nous transporte aussi avec aisance d’une époque à une autre mais aussi d’une Amérique à une autre tant les écarts peuvent se creuser entre les différents États que compte cet immense pays.

Cependant et je ne saurais dire pourquoi ce roman ne m’a pas aussi profondément marqué que le pouvoir du chien. Voilà à peu près un mois que j’ai fini de lire ce roman et je constate tristement qu’il ne m’en reste que peu de trace. Peut être est-ce dû au manque d’épaisseur du roman ? La reine de L’Idaho est un très bon roman mais qui se termine ou se lit trop vite. J’ai d’ailleurs trouvé la fin un peu trop rapide, un peu comme s’il fallait mettre rapidement un point final à cette histoire attrayante. Dommage.

Sundernono - Nice - 41 ans - 12 mai 2015


"Ma mère si belle" 8 étoiles

Thomas Burton a quitté le ranch du Montana où il a grandi pour aller se blottir dans une maison située dans le Maine, non loin de la mer. Il lui fallait prendre de la distance avec l'histoire de sa famille, avec le souvenir de sa mère, si belle et si malheureuse.

Un jour il reçoit la lettre d'une femme qui prétend être sa sœur, sur le moment il pense qu'il s'agit d'une supercherie ou plus simplement d'une malencontreuse erreur. A partir de là, l'auteur nous entraîne dans l'histoire de sa famille et de celle qui renverse brutalement son statut de fils unique.

La petite Amy est adoptée par les McKinney, un couple uni meurtri par le décès de leur fils unique quelques temps auparavant. Le cocon douillet que lui offrent ses parents adoptifs permet à Amy de vivre une enfance douce, paisible et sans saveur particulière. Plus tard, l'heure de son envol étant arrivé, elle se marie avec un jeune homme agréable avec lequel elle mène une vie douce, paisible et sans saveur particulière. Ses parents disparurent à quelques années d'intervalle comme ils étaient venus, sans faire de bruit. Puis ce fut son couple qui disparut dans le bureau feutré d'un homme de loi, sans faire de bruit. Désormais seule, elle décide d'ouvrir l'enveloppe que son père adoptif avait déposé dans un coffre à la banque.

Bien des années auparavant, dans une petite ville nichée aux pieds des rocheuses, la population plia bagages pour rejoindre un nouvel Eldorado. George Sweringen décida de rester avec sa femme et ses enfants. Il continua de creuser inlassablement jour après jour. Un matin, sa femme le vit descendre de la colline, les bras le long du corps sans outils, en le voyant ainsi elle pensa que le moment du départ était venu. Il venait de découvrir le filon.

C'est sur le quai d'une gare de l'Illinois qu'Emma Russell fit ses adieux à son père. Elle savait qu'elle devait céder la place à la femme que celui-ci avait décidé d'épouser, écartant ainsi le souvenir de sa première femme et l'amour de sa fille. Elle prit un poste d'institutrice dans la vallée de Lehmi, état de l'Idaho. C'est assise derrière son piano, lors d'un bal, qu'elle fit la rencontre du joueur de violon Thomas Sweringen. Le jeune homme avait eu la bonne idée d'investir la fortune de son père dans la terre, sur laquelle il fit paître mille moutons. La mère de Thomas facilita leur rapprochement. Emma, qui n'était pas belle mais avait une tête bien faite, pouvait dès lors mettre son plan en place. Entre Emma et Thomas, l'amour trouva aussi sa place. Emma prit les commandes de la ferme, tandis que Thomas s’adonnait à sa passion pour les Indiens et la nature, entraînant dans ses pérégrinations leur fille Élisabeth.

L'auteur déroule l'histoire de sa famille à travers le destin de plusieurs personnages, alternant adroitement au fil des chapitres le parcours de chacun d'entre eux. On devine très vite de quoi il retourne, mais là n'est pas l'essentiel, ce qui rend ce récit passionnant c'est la quête du narrateur remontant le courant qui a charrié toutes les espérances et les blessures de sa famille. Dans ce voyage vers les origines, l'auteur décrit avec beaucoup de tendresse et d'affection ceux qui l'ont accompagné tout au long de son enfance, il tente de comprendre ce qui a bien pu arriver à cette famille restée unie malgré tous les malheurs qui irriguent l'existence de tous ceux qui foulent la poussière de leur ancêtres. Une histoire on ne peut plus banale de prime abord, mais l'écriture magnifique et toute en retenue, cisèle avec une finesse d’orfèvre chaque phrase qui décrit aussi bien les personnages et leurs sentiments, que les paysages et les objets qui ornent leurs quotidiens. Une lecture passionnante qui renferme quelques passages intenses en émotions, le tout teinté de quelques notes d'humour parfois espiègles, parfois désabusées.

"Je me rends compte à présent que je ne croyais ni en Dieu ni en l'église, mais en la famille et en ses traditions ; j’espère transmettre cette foi à mes fils et à ma fille, car je ne sais pas en quoi on peut croire d'autre qu'en la famille. J'ai donc récité mes prières pour ma mère dans les couloirs de l’hôpital, j'ai surveillé la bulle dans la jauge à oxygène, et puis ma mère est morte, elle qui se déplaçait six mois auparavant de chaise en chaise, elle qui, en 1908, avait été présentée à la cour à Ottawa. Elle est morte à l'aube, ma mère si belle. Dehors, en face de l’hôpital, une enseigne au néon continuait à clignoter : bouffe bouffe bouffe."

Heyrike - Eure - 57 ans - 16 novembre 2014


Un enchantement 9 étoiles

Oui ce roman est un véritable enchantement. Thomas Savage, mort il y a cinq ans, et dont j’ai déjà beaucoup aimé « Le pouvoir du chien » est pour moi un écrivain d’exception dont trop peu de livres ont été traduits en français.

Je ne reviens pas sur l’histoire fort bien présentée par Jules et voudrais juste insister sur ce qui, à mes yeux, fait de ce roman un enchantement.
D’abord la construction : Savage, sans jamais nous perdre, joue avec les époques - aujourd’hui et le début du vingtième siècle- les lieux - aussi bien la côte ouest que la côte est des Etats-Unis et bien sûr l’Idaho- les familles aussi différentes qu’il est possible –les Mc Kinney et les Sweringen- les personnages enfin.
L’art du récit ensuite avec les ruptures de ton et de temps –la séparation d’Amy et de son mari est dite en quelques mots parfaitement choisis : « par un après-midi d’hiver chargé de pluie, tout cela leur paru dénué de sens » alors que l’inventaire évoqué par Jules fait quatre pages, magnifiques d’ailleurs. L’histoire est passionnante et parfaitement écrite.
L’éloge de la famille : Thomas Savage montre fort bien la différence entre les Mc Kinney si irréprochables mais sans l’once de la moindre gaieté et les Sweringen dont un des membres écrit : « Nous nous sommes toujours aimés entre nous davantage que nous n’avons aimé les autres…Nous aimons nous amuser ». Au fond, c’est peut-être inconsciemment ce que Amy va rechercher dans sa famille qui n’existe pas encore : la gaieté.
La causticité de l’auteur et son art de la litote qui parsèment le récit quand il parle de ces « rites qui ne sont pas essentiels aux femmes mais dont aucun homme, apparemment ne peut se passer » ou bien de la vie des Mc Kinney pour qui « si les jours de la semaine étaient stériles, les dimanches étaient carrément aseptisés » ou encore la façon différente de voir la vie entre la reine du mouton et son mari « Il voulait que ses enfants soient heureux. Elle voulait qu’ils réussissent ».
Enfin et peut-être surtout cette finesse de perception qu’il s’agisse de la mort du fils préféré, de la cruauté des enfants pour qui la compassion est un sentiment vide, du désarroi d’un enfant adopté qui se découvre humilié de n’avoir pas été désiré, du mal que peut faire une révélation : « Révéler la vérité sans motif défait certaines images, brise des espérances et détruit des illusions ». Toutes ces pages sont absolument poignantes.

Un très très beau roman. Un enchantement, vous dis-je !

PS : Gratitude au traducteur Pierre Furlan qui a eu l’excellente idée de truffer son travail de courtes notes en bas de page pour éclairer un lecteur peu averti de la vie américaine au début du vingtième siècle, expliquant parfaitement les notations et remarques de Thomas Savage.

Jlc - - 81 ans - 12 mai 2008