Ultravocal : Spirale
de Franketienne

critiqué par Agathe, le 4 mai 2005
( - 62 ans)


La note:  étoiles
Pas si simple!
Ultravocal relate l’affrontement de deux entités plus ou moins humaines : Vatel le révolté « naisseur de conscience » en lutte contre l’amnésie et Mac Abre, maître des supplices et des horreurs. Apparaît également au fils des pages, et dans les rêves de Vatel et par touche d’irréalité, un troisième personnage que l’on pourrait qualifier de troisième force : le poète, qui semble chercher sa place dans ce chaos de mots. C’est dans un environnement étouffant de violence et de cruauté, imprégnés par la dictature de Duvallier que les mots vont se déchaîner pour chercher le cri, la voix, « l’ultravocal ».
Dit comme ça on pourrait croire qu’il s’agit d’une lecture classique, mais pas du tout ! Frankétienne l’auteur, est le père du spiralisme : un mouvement littéraire où la création est reine. Dans l’indépendance complète des mots l’écriture va se faire œuvre. Ultravocal est donc un livre toute catégorie confondues : poésie, théâtre, roman… La lecture est difficile parce que les mots sont comme crachés de la plume de l’auteur : beaucoup de violence dans le ressenti de la lecture. La cohérence du tout étant laissée au lecteur, libre à chacun de « monter » sa propre histoire en choisissant un plan de lecture . C’est une des caractéristiques de la spirale : ces multiples accès. Pour ma part je ne cacherais pas avoir mis mon nez dans le livre à plusieurs reprises et je sais qu’il me faudra encore le parcourir de nombreuses fois pour explorer l’ensemble des sensations livrées. Je ne peux même pas dire que j’aime cette lecture, tant il s’agit d’une Autre façon de lire ; mais la « formule » interpelle à ce point que je ne suis pas encore arrivée au bout de ma curiosité ; mais je progresse ; entre temps j’ai lu « Mûr à crever », un des premiers romans de Frankétienne ; ce deuxième livre donne des clefs pour mieux appréhender le spiralisme.
Je me permets alors de conseiller ces lectures à toute personne curieuse de nouveautés littéraires.
Le désordre haïtien 7 étoiles

Frankétienne est un poète haïtien, un conteur, un romancier, tout ça à la fois, un vrai jongleur de mots. Son oeuvre est déconcertante, difficile à classer tant elle remue, elle bouge, elle part dans tous les sens. Le théâtre se mêle à la poésie, la prose aux vers... tout cela forme un étrange courant qu'il nomme le spiralisme ("Massif montagneux à plusieurs versants, la Spirale constitue un ensemble spatio-temporel dont les éléments d'appartenances sont susceptibles de permutation, de translation, d'extrapolation. Plans mobiles. Axes variables. Ce complexe toujours en mouvement admet également des changements d'orientation dans le cours des lectures : ce qui fonde aussi la spirale, c'est la dimension plurielle de la lecture").

Une telle énergie se dégage de ces pages ! Il y a une couleur particulière donnée aux mots, une saveur piquante et vive. Oui, ça transpire les Caraïbes et le soleil, mais aussi la misère et la désillusion. C'est noir.
Ultravocal est un roman poétique, l'histoire d'êtres errant dans Port-au-Prince, à l'ombre d'un poète qui se balade au-dessus de leurs têtes. Fantômes omniprésents, chaos perpétuel d'un pays saccagé par Duvalier, douleur de la reconstruction, espoir aussi malgré tout.
A la noirceur de la situation, Frankétienne donne la vie, y ajoute une touche de piment qui ne peut que réveiller tout cela. Il veut que ses personnages bougent, avancent, créent et revendiquent. Vivre c'est bouger. Et puis l'auteur manie bien l'humour et la dérision. Un cocktail réussi.

Sahkti - Genève - 50 ans - 4 mai 2005