Solal
de Albert Cohen

critiqué par Gobu, le 3 mai 2005
(Messancy (Arlon) - 70 ans)


La note:  étoiles
Le Seigneur de la Belle
Au commencement était Solal. L’immense succès de « Belle du Seigneur », survenu tardivement dans le cursus littéraire d’Albert Cohen, fut un peu l’arbre – majestueux, certes – qui cacha le reste de son œuvre pourtant foisonnante. A commencer par son premier roman, peut-être le plus réussi : Solal.

Paru tout au début des années 30, alors que Cohen avait déjà commencé une brillante carrière de fonctionnaire international à Genève, le livre avait pourtant été salué par de nombreuses critiques élogieuses, à commencer par celle de Marcel Pagnol. Il faut dire que l’auteur de Topaze et de Marius, alors déjà au faîte de sa gloire, avait été le condisciple d’Albert Cohen sur les bancs de l’école à Marseille !

Solal, le futur héros de Belle du Seigneur, de son vrai nom Solal des Solal, est le fils unique et adoré du Rabbin Gamaliel Solal, chef spirituel de la communauté juive de la petite île de Céphalonie, située au large de Corfou. Autant dire qu’il s’agit là de Juifs de Méditerranée, au parler fleuri, au costume voyant et aux manières extravagantes, comme devaient l’être les propres parents du petit Albert, épiciers sur la Canebière.

Choyé comme un prince par les siens, le jeune Solal, qui avait assisté à l’âge de dix ans au pogrom ayant frappé sa communauté, fait montre dès son plus jeune âge d’un caractère rebelle et de grâces physiques et intellectuelles qui lui valent l’admiration de toute la population féminine de l’île, chrétiennes comprises. C’est ainsi qu’il arrive dès seize ans à séduire la femme du Consul de France. A peine plus âgé, il file à Genève dans l’intention de la rejoindre, où il découvre avec amertume que le petit prince méditerranéen de Céphalonie n’est plus dans la bourgeoise et calviniste capitale helvétique qu’un pauvre immigré, juif de surcroît. Econduit comme un malpropre, il se fait alors le serment de conquérir toutes ces arrogantes créatures enfermées dans leur morgue de caste, et de connaître une réussite éclatante, revanche du paria rejeté sur la Société injuste.

Il séduira à son tour la fille de la consulesse, brisera d’autres cœurs, amassera des fortunes considérables qu’il dilapidera sur un coup de tête, arrivera au sommet des honneurs pour retomber aussitôt dans la fange, avec toujours au cœur le mépris pour les colifichets de la réussite sociale et la babouinerie grotesque du jeu de la séduction, ainsi que le remords d’avoir abandonné son peuple et sa religion pour cette grotesque mascarade.

Car, sans arrêt, les siens se rappellent à lui, et en premier lieu sous forme de ces inénarrables Valeureux qui le suivront tout au long de ses succès et de ses déboires, émouvante galerie de personnages truculents parmi lesquels se détachent la figure du sage oncle Saltiel, celle, baroque et picaresque de Mangeclous « Bey des Menteurs », « Compliqueur de procès » et « Père de la crasse », entre autres statuts surprenants, ou encore celle du gentil Mathias, colporteur de rafraîchissements à l’orange pour les assoiffés. Inutile de dire que cette smala hirsute et magnifique, vibrillonnante et exaltée, à la fois pieuse et irrespectueuse, constitue au moins autant que le personnage principal le sujet central du roman.

Rédigé dans une langue incroyablement savoureuse, dégoulinante de couleurs et de parfums du Sud, cette œuvre unique en son genre torpille les conventions sociales, bouscule les règles de la narration, et surtout se présente comme un hymne d’amour joyeux et désespéré à la fois, composé par Albert Cohen à la gloire des siens, ces Juifs francophones de Méditerranée sur lesquels la barbarie nazie n’allait pas tarder à s’abattre. Comme l’avait fort justement recommandé Pagnol, il faut lire Solal toutes affaires cessantes.

Gobu
Picaresque 7 étoiles

Ce premier roman d’Albert Cohen, publié en 1930, ne laissait aucun doute quant au talent phénoménal de son auteur et son habileté à rendre merveilleux les décors de sa propre vie et les figures de son entourage.

Le personnage titre, Solal - que l’on retrouve aussi dans les pages de Belle du seigneur – est un héros plus grand que nature s’inscrivant dans la tradition des romans de Dumas. C’est un jeune seigneur juif, un enfant chéri des habitants d’une île grecque. Sa future épouse ne tarira pas d’éloges pour le décrire : « Il était beau, naïf, pénétrant, chaud, hardi, insolent, si courtois, bon, immense, diabolique et vivant. »

Au début de l’aventure, Solal est adolescent. Au sein d’un groupe de joyeux lurons dont les frasques font les délices du lecteur, il en arrive à découvrir l’amour dans les bras de Mme de Valdonne, la femme du consul de France. Celle qui n’avait au départ pour lui qu’une affection filiale, le dépucèle et s’enfuit avec le jeune homme en Europe.

Il s’ensuit des années d’évasion et d’apprentissage avant que la France tombe sous le charme de Solal et le laisse frayer dans les méandres de sa bourgeoisie politisée. Il y trouve une épouse, un certain goût pour le pouvoir, mais aussi il cultive la nostalgie des amis du passé durant cette ascension dans les hautes sphères de la diplomatie.

Une grande épopée romanesque, Solal est le genre de roman que l’on écrit plus. Cohen se détournait de l’actualité et du modernisme dans son œuvre. L’usage du vieux français est donc omniprésent et pourra en rebuter certains. Il ne s’agit pas d’un récit particulièrement serré. Toutefois, les faiblesses dans l’intrigue sont largement compensées par une prose pleine de sève, au rythme effréné. C’est une saga que l’on lit avec l’abandon du troubadour en s’imaginant un soleil de Méditerranée nous réchauffant le cou.

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 55 ans - 17 octobre 2024


Cosmique; Proche 4 étoiles

Il y a tellement de mauvais livres de nos jours, que lire la suite de Belle du Seigneur de Cohen n'est, bien entendu, vraisemblablement pas une tare ni un problème: on sera toutefois légèrement déçu car au contraire de l'oeuvre bien connue, "Solal" semble dénué de logique narrative et dramatique, Cohen consacrant l'essentiel des pages à l'absurde qui fait la vie et à la distorsion de la réalité. Pas que des choses inutiles cependant.


P 170 : "Baiser, cette soudure de deux tubes digestifs. Les seins, ces deux petites bourses molles et pendantes, quoiqu'en dise les romanciers. Je voudrais bien savoir qui je suis, qui je serais [...]

P 171 : Tandis que ces filles vous sortent un petit mouchoir parfumé et armorié et elles font des expirations modestes, pff pff comme un petit chat, des petites mines discrètes, comme si elles disaient: " C'est un petit jeu, notre joli petit nez fait des confidences à notre carré de linon. " En réalité, elles y mettent du beau mucus bien vert, bien solide et bien carré ! [...]

P 437: Il aurait dû manger la crème au chocolat de la petite fille. Quand avait-il vu cette petite fille ? Bonne petite fille. Mais non, une ennemie aussi, celle-là, plus tard !

Antihuman - Paris - 41 ans - 25 octobre 2011


Sublime ! 10 étoiles

Ma mère avait ce livre dans sa bibliothèque depuis des années et ce n'est que dernièrement que j'y ai porté attention. Et j'en ai été toute chamboulée.
Que de soleil, de rire, de pureté ! Cohen sait tellement bien jouer avec les styles que c'en est jouissif. En ce qui me concerne, il y a désormais "l'avant Solal" et "l'après Solal". Splendide !

Siobtuah - - 41 ans - 11 juillet 2011


Ebloui par le Solal !!! 10 étoiles

J'ai adoré ce style luxuriant d'Albert Cohen qui emporte tout et qui charrie tant de choses dans une même phrase (des choses légères aux choses les plus graves, de l'humour, de la critique sociale, de la métaphysique, de l'histoire, des contradictions, ...).
Et ce style est en variation constante selon les sujets et les personnages.
J'ai rarement été autant séduit par un roman.

Ce nom "solaire" de Solal pour le héros correspond bien à sa vie dans ce roman (de la jeunesse (l'aube) à une nouvelle aube (la fin du roman) en passant par le zénith (la réussite exceptionnelle) et la nuit (la déchéance).

Et il parait que le meilleur de Cohen est encore dans d'autres livres (Mangeclous, Belle du Seigneur; ...).

Une grande découverte pour moi.

JEANLEBLEU - Orange - 56 ans - 8 août 2010


A éclipses 7 étoiles

Quelques romans vous font cette impression : vous les attaquez, maussade, pas trop séduit, vous les continuez un tantinet excédé (irai-je au bout ? Qu’est-ce que je m’em…bête !), vous tenez bon parce que arrêter-c’est pas trop votre truc, et puis … l’horizon s’élève progressivement, un dessein se fait jour (ou alors vous le sentez enfin !), et vaincu, à la fin vous refermez le livre, contraint de reconnaître du génie dans cette œuvre-là. Je dis bien contraint tant ce fût confus, pénible au départ.
Solal est de ceux-ci. Il est donc de la race de certains Faulkner (Le bruit et la fureur, …), Céline (Rigodon, …) sur le plan du génie et de la pénibilité à se mettre en train.
Vous avez déjà entendu parler des juifs, d’Israël ? Sûrement. C’est confus, ça n’a le plus souvent aucun sens logique, concret (je veux parler de tout ce qui s’y rapporte) et le monde tourne comme si la notion de peuple élu était chose bien établie et la justification de chasser de leurs terres un peuple palestinien chose la plus naturelle du monde en dépit de condamnations récurrentes de l’ONU depuis tellement longtemps. Ca défie le bon sens, c’est improbable comme peu de choses le sont, et … tout le monde sent bien qu’il y a un « quelque chose », un quelque chose qui fait que l’improbable peut être la règle là (et ce quelque chose n’est pas que l’appui inconditionnel des américains).
Et bien, Solal, c’est un peu cela aussi. Une histoire et un héros des plus improbables, des successions d’évènements à faire pâlir Alexandre Dumas et un parallèle des plus mystérieux avec les cas précités pour cette sensation de n’accéder qu’à la surface des choses, la partie visible et de n’avoir que l’intuition du vrai rouage des choses qui reste indéfectiblement hors de portée, Deus ex Machina inconcevable. Et pouvoir livrer une œuvre qui laisse cette impression, ça n’est quand même pas rien ! Dans le modus operandi ça fait penser au héros de « La jument verte », peintre qui parvenait à donner l’impression de vie à ses tableaux en mélangeant du « liquide de vie » (du sperme, soyons trivial !) à ses peintures. (Marcel Aymé explique cela beaucoup mieux !) Par contre je ne sais pas quel procédé mystérieux utilise Albert Cohen pour parvenir à ce résultat. Je ne pense pas qu’il s’agisse de la simple incorporation de « liquide de vie » à l’encre par exemple !
Raconter Solal me paraît des plus hasardeux. Disons qu’on est au cœur d’une famille, d’une tribu plutôt, juive, en Grèce, mais française de cœur et de nationalité et que l’irrationnalité va régner en alternance au bon sens, au possible, et que le gosse pénible, Solal, après avoir connu la gloire terrestre (et française) finira en prophète ( ?) errant et illuminé.
Le style n’est pas forcément des plus prenants, loin de la sobriété d’un Camus par exemple. On frise parfois l’exubérance et les outrances d’un Gabriel Garcia Marquez. Il est probablement adapté au propos, et à l’esprit. Une chose est sûre ; Camus n’aurait pas écrit Solal !
« Il soupira, fatigué de ses mensonges.
- Je ne sais plus. Je ne sais plus où était ce Spitzberg et en fin de compte cela m’est indifférent car Dieu est partout. Est-ce qu’il y a des rues dans la mer ? Eau ici, eau là. Ils ont mis sur le Maroc quelques ours ou quelque Esquimau, fils de Cham tous deux. Et qui souffrait de ne pas être en Argentine ? Cent cinquante victimes juives de l’oppression et de l’intolérance religieuse ! Mais le jour du Seigneur luira et nos ennemis seront balayés !

Dans les boutiques vibrantes de mouches et de musc où les barbiers sollicitaient à coups monotones leurs mandolines ou leurs épidermes, les nouvellistes et les politiciens bourdonnaient. Des morues se balançaient au-dessus des épiceries et des tonneaux éventrés s’échappaient les coulées plâtreuses du fromage. Sous les arcades, les colonels de gendarmerie buvaient du café et mangeaient des pâtes roses qui ciraient leurs joues d’une gourmandise distinguée et imposante, puis ils essuyaient leurs mains au mouchoir de soie, respiraient largement, souriaient. Des agneaux écorchés pendaient contre des murs crépis. Des sucreries bleues et des billets de loterie circulaient. Des marchands de nougat rouge, de chapelets et d’œufs durs s’égosillaient. Deux prêtres discutaient ; le plus jeune d’une voix aiguë, tandis que le vieillard, retroussant ses manches de deux doigts délicats, approuvait par politesse tout en attendant son heure de victoire dialectique. Un mendiant immobile répétait dans une rue solitaire sa complainte et implorait la pitié des miséricordieux qui ne lui lançaient pas un regard. »

Tistou - - 68 ans - 16 août 2006


À lire pour son style 6 étoiles

Que dire de Solal ?

C'est effectivement un des grands ouvrage de Cohen.

Ce livre est écrit avec un style absolument fantastique, il regorge d'expressions savoureuses, de pirouettes de langage et de merveilles linguistiques. Il y a une emphase, une verve savoureuse et excessive dont on ne se lasse pas.

L'intrigue, elle débute bien mais se finit malheureusement un peu en queue de poisson, on se dit un peu "Quoi, tout ça pour ça.", d'autant plus qu'elle est assez prévisible. C'est tout de même assez sympathique.

En résumé donc un livre à l'intrigue sympathique, sans plus, largement compensée par un style absolument fantastique.
Si donc vous êtes, comme moi, un fanatique de la verve que nombre d'auteurs savent manipuler avec tant de brio, interessez-vous à Solal qui devrait vous amener quelques bons moments, sinon tentez la lecture de cette ouvrage, il pourrait vous plaire,… ou pas.


Cyprien - Lausanne - 36 ans - 23 mars 2006


Solal, prince ensoleillé! 9 étoiles

« Solal », que dire ? Une verve incroyable ! Un carnaval de mots et de pensées chamarrés à outrance ! Et pourtant une telle sensibilité, une telle tendresse dans tout ce roman ! De toute manière, lire du Cohen est une expérience incroyable et qui ne peut laisser indifférent ! Je n’avais jamais connu ça avant ! Tout se fait à l’excès avec Cohen ! Les émotions, les sentiments sont multipliés par 100 ! Et c’est haletant et complètement fou et adorable et tellement beau ! Solal est un personnage comme il en existe peu dans la littérature. Il est mystérieux et excentrique et impulsif ! J’ai d’ailleurs beaucoup de mal à le cerner. Mais il est certain qu’on ne peut lire « Solal » sans lire ensuite « Belle du Seigneur » qui est encore plus grandiose quoique assez différent finalement. Un livre unique en tout cas que ce « Solal », tout comme son génial auteur.

Cléliadeldongo - - 36 ans - 25 février 2006