Full of love
de Richard Morgiève

critiqué par Paracelse, le 2 mai 2005
(Paris - 62 ans)


La note:  étoiles
Autofiction rédemptrice
L’histoire de ce livre de Richard Morgiève (écrivain et scénariste) tourne autour de Gérard (Gégé), personnage probablement autobiographique, quinqua solitaire à l’imagination foisonnante, qui aime à s’imaginer des films « où des figures de son passé le relancent à l’écran, exécutant d’inquiétants numéros ». Mais ses fantasmes souvent morbides (où prédominent le sexe et la mort) tournent et virevoltent autour d’inquiétantes obsessions, faisant resurgir des douleurs archaïques, mélangeant peurs et angoisses. Et Gérard décide alors de mener l’enquête, une enquête pour aller au bout de lui-même et réussir à « fixer le soleil noir de son inconscient »…

Marqué par un destin implacable, où la violence prédomine, il faut à Gérard arriver à accepter enfin ce qui n’a plus lieu d’être, son passé, pour mieux le dé-passer. Concevoir l’obscénité de ce qui lui est arrivé (et qu’il a aussi recherché) pour enfin pouvoir vivre, dans le réel, et non plus dans son monde imaginaire sublimé. Accepter l’inacceptable. « Rien n’est silence » et « tout est à faire ». Catharsis de son dernier film, qui passe pourtant en boucle dans sa tête, pour réussir à espérer, à oser rêver d’être enfin à l’aune d’une nouvelle vie ?

Mais entre les figures parentales, où les rôles s’intervertissent sans cesse, réminiscences de climat incestueux, de violences sado-maso, il est justement difficile pour Gérard de faire la paix avec ses fantômes et avec lui-même, à défaut de s’aimer. Fasciné qu’il est par la promiscuité qu’il a trop l’habitude de vivre avec ses monstres à lui, figures d’un temps révolu qui le rattrapent encore et encore. Fasciné qu’il est aussi par sa logique d’auto-destruction qui lui fait côtoyer le pire, avec parfois ravissement. «Tout est obscur et le ciel invisible, dans cette partie du monde rien n'est silence vraiment et pourtant tout fait silence. Ainsi tout concourt à une harmonie aussi parfaite qu'effrayante...»

Ce livre « lynchien » à l’écriture virtuose, que certains jugeront sûrement inconvenant, est cru et sincère, tourmenté et pathétique, et surtout humain, avant tout humain. Et cela, sans provocation factice, mais tout simplement parce qu’il est authentique. A l’image de son personnage, pourtant ambivalent, et qui n’a que son imaginaire et ses rêves, même torturés, pour s’évader. « Mon cinéma me tue parce que je vieillis, plus je vieillis, plus mon cinéma intègre ce que je n'ai pu vivre, et de fait, mon cinéma m'étouffe, me coule dans son ciment pour me noyer tout au fond de moi. ».

Et cette quête douloureuse, clair-voyante et rédemptrice emmène Gérard (et son lecteur) loin sur un chemin difficile, emporté dans une sarabande mortifère et envoûtante. Et à l’issue de ce voyage qui lui permet, enfin, de « voir le jour », débarrassé de tous ces oripeaux sordides qui le dévoraient jusqu’alors de l’intérieur, on se dit qu’il pourra peut-être accéder à une accalmie, une renaissance possible où pourra pointer un peu de clarté. Loin, bien loin de son « monstrueux cinéma multisalles » et des fantasmes violents qui jusqu’alors comblaient sa vie.

En bref, voici un livre « coup de poing » qui ne laissera pas indifférent.