Délicieuses pourritures
de Joyce Carol Oates

critiqué par Sahkti, le 26 avril 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Se pervertir par amour
"Délicieuses pourritures" est un titre que j'aime bien. Pas uniquement parce que c'est un vers extrait de "Nèfles et sorbes" de D.H. Lawrence mais parce qu'il résume à merveille la manière de qualifier Andre Harrow et son épouse Dorcas, de délicieuses pourritures. Des êtres malsains et pervers qui prennent plaisir à déstabiliser et abuser de jeunes étudiantes amourachées de ce séduisant et mystérieux professeur de poésie, qui joue la sévérité pour mieux les faire ployer sous ses doigts habiles. Deux êtres qui utilisent les autres afin de se trouver eux-mêmes, des personnes meurtries et torturées qui ne s'aiment qu'à travers le reflet de l'admiration qu'on leur porte et qu'ils lisent dans le regard de ces jeunes femmes tombées dans leur piège.

Nous sommes en 1975, dans une Nouvelle-Angleterre en pleine explosion des moeurs. Une université féminine, un savant cours de poésie, un professeur qui charme et son épouse sculptrice qui récolte les fruits des vendanges. Couple sadique et pervers qui détruit tout sur son passage, en commençant par le mental, c'est plus fragile qu'un corps.
Gillina, la narratrice, nous expose ses mésaventures sous forme d'un journal intime qu'elle tient par obligation, parce que le prof veut tout connaître de la vie intime (surtout sexuelle) de ses élèves et leur a demandé de consigner chaque pensée, chaque propos. Elle le fait et conserve cela pour elle, ce qui nous permet d'assister, mi-spectateur mi-acteur à cette longue descente aux enfers que connaissent la plupart des filles de Heath Cottage. Univers révoltant que Joyce Carol Oates décrit dans un langage simple et familier, alternant monologues intérieurs à descriptions de la vie de tous les jours. Le récit semble réel, palpable, ça lui donne une force qui finit par embarquer complètement le lecteur sur les traces de cette pauvre Gillian, qu'on prend en pitié tout en ressentant un peu d'agacement face à sa naïveté. Mais qu'aurions-nous fait à sa place, en cas de fol amour et de passion dévastatrice? Sans doute la même chose...
Ne nous emballons pas 4 étoiles

Peu de nuances et de subtilités dans ce livre, un malaise tellement fabriqué qu'il en est caricatural... On est même, de temps en temps, à la limite du ridicule. Dommage, l'avilissement par l'amour, un grand sujet, aurait mérité un grand roman. De ce livre, je ne retiendrai que le poème troublant de Lawrence dont est tiré le titre.

Alud - - 48 ans - 21 octobre 2009


Amour et décadence 8 étoiles

J’ai retrouvé dans ce récit tout ce que j’apprécie particulièrement chez Joyce Carol Oates. L’histoire est dense et originale, et les personnages sont fouillés, tourmentés, décrits et exposés jusque dans leurs moindres détails. Particulièrement Gillian, protagoniste qui nous livre son journal intime de jeune fille amoureuse de son professeur de poésie et prête à tout pour un peu d’amour ou de reconnaissance de sa part. Elle est un personnage fascinant et constitue, à mon avis, un digne échantillon de la galerie de personnages tourmentés que l'auteure a su créer au fil des années. C’est un roman court, mais dense et efficace.

Gabri - - 38 ans - 29 décembre 2008


Éros exaltant 9 étoiles

Quel délice que cette incursion démentielle dans l’intimité crue d’une adolescente à ses premiers émois amoureux ! L’étrange combinaison d’une ambiance gothique avec une histoire contemporaine est parfaitement réussie. Le suspense de la spirale cauchemardesque de Gillian est habilement complimenté par des incendies suspects et récurrents, de même qu’une forte imagerie marquée par le symbolisme. De la fiction de haut calibre.


(lu en version originale)

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 55 ans - 20 décembre 2008


Importante réflexion sur l'amour 8 étoiles

Moi qui souhaite m'intéresser de plus près à l'écriture féminine, je dois vous avouer que ce roman de Joyce Carol Oates m'a beaucoup plu, par son honnêteté et sa vision intimiste d'un lieu qui n'est souvent pas accessible à l'homme, soit la psyché d'une jeune femme troublée.

Oates, en très peu de pages (126) nous donne au travers du monologue de Gillian Bauer, une réflexion sur un concept omniprésent de nos jours, soit celui de l'amour. Comment est-ce que l'amour peut prendre corps au delà du désir? Le professeur Andre Harrow lui, qui voue un culte a l'Éros, croit cette hypothèse farfelue et impossible. Pour le professeur de littérature passionné par les travaux de D.H Lawrence, la vie doit se vivre sous la gouverne de l'Éros. Avec comme seule vision, l'assouvissement des désirs, donc comme seul but, la recherche des désirs à assouvir.

Pour Gillian, c'est la mélancolie qui est chef de sa raison. Pour Gillian , l'amour c'est la recherche de l'impossible. D'une relation absolue, dénuée d'objet , deux personnes pour qui les sentiments réciproques sont la seule variable.

Une bel ode à la perte de la naïveté et des illusions. Écrite avec douceur et ouverture.

FightingIntellectual - Montréal - 42 ans - 10 juin 2007