Portrait de classe
de Tobias Wolff

critiqué par Clarabel, le 20 avril 2005
( - 48 ans)


La note:  étoiles
La grande classe !
En ouvrant "Portrait de classe", on plonge instantanément dans l'ambiance décalée d'un pensionnat ultra-chic de la Nouvelle Angleterre, début des années 60. Au bout de la plume, le narrateur, en sixième année d'étude en cet automne 1960, livre une histoire introspective, sur cette année particulière. Alors étudiant boursier, un parmi tous ces étudiants arrogants, cordiaux, cultivant la nonchalance calculée, chérissant la littérature et l'écriture, au point d'organiser des concours pour rencontrer des auteurs. Or, ces concours exacerbent certaines passions, brouillent l'esprit de création, relégué après l'esprit de compétition, de secrets, de combines, de non-dits, etc.

On aimerait penser à un ersatz du "Cercle des poètes disparus", ces jeunes soumis au code de l'Honneur, confinés à réussir, travailler, étudier, être le meilleur. Mais dans "Portrait de classe", ce groupuscule d'étudiants imbus d'eux-mêmes vit au grand jour cette ivresse pour la création littéraire. Au fil de l'année, les auteurs interviennent : le poète Robert Frost, la sulfureuse et féministe Ayn Rand, et l'éminent Hemingway. A chaque fois, le narrateur affûte sa plume, aspirant à obtenir l'honneur suprême d'être l'Elu, choisi parmi tous. Ils tâtent ainsi de la muse, tombent dans la spirale de la folie, de l'insomnie, de la page blanche... bref l'esprit de création combiné à celui de compétition ne fait pas bon ménage !

"Portrait de classe", en plus de dessiner une ambiance, une éthique et des déviances, n'hésite pas à absorber le lecteur dans cet univers de création et du goût de l'écriture. L'auteur sait choisir ses mots, soigne son style, sa ponctuation, boudant le principe de signifier un dialogue parmi la narration, brouillant volontairement les pistes. Tobias Wolff a de la classe ! Son roman, malgré les trois derniers chapitres, certes nécessaires pour la rigueur de l'histoire, mais moins intéressants dans la continuité, est un livre lumineux, pétri d'intelligence, porté par un narrateur très peu humble mais bourré d'auto-suffisance, de vanité et d'orgueil. Un livre qui démontre les processus de création, la morgue estudiantine et l'inaptitude de se remettre en question. A lire, tout simplement !!!!
OLD SCHOOL 9 étoiles

Années 60, collège privé huppé pour garçons de la Nouvelle Angleterre, où on voue un véritable culte élitiste à la littérature autour de visites régulières d'écrivains de renom. Un concours littéraire va attiser les pires passions des étudiants, les trahisons, les hypocrisies, les tricheries et les renoncements. Disséquée par Tobias Wolff, l'âme juvénile est tordue d'avance, tandis que les écrivains, débutants comme confirmés, sont plus souvent mégalomanes que talentueux, plus carriéristes qu'ambitieux, plus imbus de reconnaissance que de dignité.
C'est brillant, souvent drôle et presque toujours caustique. L'auteur égratigne au passage la romancière et philosophe Ayn Rand (cela se comprend aisément : Wolff a fait le Vietnam, et durement, il en est revenu encore plus lucide, désabusé mais jamais, au grand jamais déshumanisé. Ayn Rand a fait tous les salons chics de la business class de la City, elle en est revenue shootée, très élégante d'un point de vue vestimentaire et ultralibérale).

Une oeuvre ironique sur la création littéraire autant que sur l'éthique même si la littérature reste pour Wolff une voie de discernement et d'émancipation : il fait le distinguo entre cet art et l'écrivain, son ironie s'adressant à ce dernier, surtout quand l'écrivain s'identifie à une élite sociale et intellectuelle.
Si l'oeuvre de Wolff s'inscrit dans le mouvement du Kmart realism, comme Raymond Carver, (leurs personnages à tous deux connaissent rarement des instants épiphaniques), alors Wolff est une carte au trésor et Carver est le trésor, demeurant l'indétrônable saint-patron de ce mouvement.

Phil SMT - - 64 ans - 19 septembre 2020