Attribuer à une critique d’un ouvrage de Mishima un titre digne de Twilight, c’est un peu commettre un crime de lèse-majesté. Pourtant, des obsessions, il en sera beaucoup question dans ce roman un peu à part dans la bibliographie de l’auteur. Si celles de Mishima lui-même semblent transparaître, il sera d’abord question de celles de Reiko, jeune et jolie Japonaise que son incapacité à entendre la musique conduira dans le cabinet du Docteur Shiomi, psychanalyste tokyoïte de son état et qui nous livre ici les notes qu’il a prises à propos du cas Reiko.
Bien plus qu’une frustration de mélomane, ce que cette musique désigne, c’est le plaisir sexuel auquel Reiko ne parvient pas malgré les soins attentionnés de ses amants. D’abord dans le cabinet de Shiomi, puis à travers les courriers qu’elle lui envoie plus ou moins régulièrement, le docteur et sa patiente remonteront donc le fil des obsessions enfouies de Reiko jusqu’à trouver dans son enfance les pulsions de mort et les passions interdites qui expliquent son état actuel. Si le roman est documenté et nous offre un beau cas d’étude romancé, on ne peut pas nier qu’un certain ennui nous enveloppe cependant que l’on suit le récit de la psychanalyse de Reiko, qui semble à la fois un peu convenu et relever de l’ouvrage de vulgarisation psychanalytique. Or, quand on n’y connaît pas grand chose, ça n’intéresse que modérément, et quand on s’y connaît, j’imagine qu’on doit rester sur sa faim tant le docteur comme sa patiente usent d’une symbolique un peu grossière que les spécialistes trouveront certainement surfaite (moi-même qui ne connaît de Freud qu’un peu plus que ce qu’on étudie en philo pour le bac, j’ai trouvé que l’usage de certains symboles - ciseaux en forme de pénis dans les rêves de la jeune fille, par exemple - manquaient de finesse au point de ressembler à de la caricature). Bref, on peine à se passionner pour la quête du plaisir orgasmique de Reiko et le fait que la plupart des personnages soient, au moins dans une certaine mesure, antipathiques ne rend pas la lecture plus plaisante. En outre, la plume de Mishima est loin d’être aussi remarquable que dans d’autres de ses ouvrages - mais peut-être est-ce dû à la narration à la première personne de Shiomi.
Heureusement, cet ensemble plutôt mauvais est sauvé par le dernier tiers du roman où, l’origine des troubles de Reiko étant enfin identifiée, il s’agit de la combattre. Pour ce faire, Mishima nous fait descendre dans les coins malfamés du Tokyo des années 60, avec sa galerie de personnages louches, et presque aussi répugnants que fascinants, et on peut dire que le voyage vaut enfin le détour. Cependant, si cette fin de roman est salutaire, elle peine tout de même à sauver l’ensemble.
On peut imaginer qu’un roman sur le plaisir sexuel des femmes et la psychanalyse (les critiques à propos du côté américain de cette science révélatrice de tabous sont évoquées) a pu faire parler de lui dans le Japon des années 60. Cependant, le sujet a aujourd’hui un peu perdu de sa force novatrice et son traitement, ici, ne mérite pas non plus qu’on s’y attarde. Un ouvrage mineur dans la bibliographie de Mishima, donc, et qu’on ferait peut-être mieux de délaisser pour se consacrer à certains des trésors qu’elle renferme. Quelques beaux passages tout de même.
Stavroguine - Paris - 41 ans - 2 avril 2013 |