La vie nouvelle
de Orhan Pamuk

critiqué par Guermantes, le 2 avril 2005
(Bruxelles - 77 ans)


La note:  étoiles
Du Livre et de la Vie
Polar à tendance métaphysique, roman d’apprentissage, récit d’aventures, à quoi avons-nous exactement affaire avec ce livre de l’écrivain turc Orhan Pamuk ? A un peu de tout cela, sans doute. La première phrase toute simple mais lourde d’interrogations implicites en donne le ton et je ne résiste donc pas au plaisir de la transcrire :« Un jour, j’ai lu un livre, et toute ma vie en a été changée.»
De quel livre s’agit-il et en quoi a-t-il modifié le cours de l’existence d’Osman, le narrateur, jusque là étudiant sans problèmes particuliers dans une école d’ingénieurs d’Istanbul? Nous ne recevrons pas de réponse à la première de ces questions, rien ou presque ne nous étant révélé du contenu de ce fameux Livre, sinon en creux, par ce que les infléchissements qu’il fait subir à la vie bien rangée d’Osman nous en laissent deviner.
Il y a tout d’abord le coup de foudre qu’il éprouve pour la belle Djanan par qui l’existence du Livre lui a été révélée. Mais Djanan aime pour sa part Mehmet lecteur du Livre lui aussi. Lorsque ceux-ci disparaissent mystérieusement, Osman se lance sans hésiter à leur recherche, parcourant la Turquie en tous sens à bord d‘improbables bus, en quête non seulement des deux disparus mais aussi du sens du Livre qu’il croit appréhender dans le cours même de ses errances. Beaucoup de thèmes apparaissent au gré de celles-ci. Celui de l’identité notamment, chacun des héros changeant d’état civil à l’occasion des accidents où les bus se trouvent impliqués et qu’ils mettent à profit pour usurper l’identité de malchanceux passagers. Celui des rapports au père lorsque Osman se trouve confronté à l’inquiétant docteur Lefin qui se révèle être le géniteur de Mehmet. Lequel s’appelle en réalité Nahit et doit se terrer dans une petite ville sous une troisième identité pour échapper aux tueurs affublés de pseudonymes de montres suisses que Lefin a lancés aux trousses du propagateur du fameux Livre qu’ il tient pour responsable du déclin de la Turquie face aux valeurs occidentale, ignorant qu’il s’agit de son propre fils qu’il croit mort. Le thème du double apparaît aussi à mesure qu’Osman découvre les liens étroits qui le lient à Mehmet à travers le culte du Livre.
De métaphysique, le roman devient par moments picaresque et policier en nous offrant une belle galerie de personnages truculents et un portrait de la Turquie ravagée par des conflits entre groupes extrémistes religieux ou politiques. Je vous laisse le soin de découvrir la suite parfois surprenante des nombreuses autres péripéties dans lesquelles l’auteur embarque le pauvre Osman.
Finalement, l’identité de l’auteur du livre nous sera révélée mais nous n’apprendrons rien de son contenu. Osman aura cru lui donner une substance à travers sa quête échevelée de la « vie nouvelle » qu’il pense découvrir au gré de ses pérégrinations (je ne peux m’empêcher de songer ici à André Dhôtel même s’il est peu probable que Pamuk ait jamais lu cet auteur du « second rayon », voire au Grand Maulnes encore que nous soyons loin ici de la féerie d’Alain Fournier).
A l’encontre d’Osman, Mehmet a, pour sa part, adopté une approche du Livre que je qualifierais de « quiétiste », trouvant son bonheur à le recopier maintes et maintes fois. Borges n’est pas loin…
Peut-être le lecteur trop imbibé de rationalisme risque-t-il de demeurer sur sa faim, l’auteur soulevant beaucoup questions destinées à rester sans réponses. Trop de serrures et pas assez de clés. A nous de tenter de les fabriquer ce qui, pour ceux qui s’y laisseront entraîner, constituera l’un des charmes de l’ouvrage. Dans cette tâche, les deux dernières phrases du livre nous offrent peut-être une piste de réflexion (parmi d’autres). Je les cite donc pour conclure : « Je compris qu’il s’agissait de la fin de ma vie. Et pourtant, je voulais rentrer à la maison, je ne voulais pas, mais alors pas du tout, passer à une vie nouvelle, je ne voulais pas mourir, moi… »
La course-poursuite de Drogo 8 étoiles

J'ai lu ce livre en juillet 1999, et je me souviens encore très bien de la première phrase: « Un jour, j’ai lu un livre, et toute ma vie en a été changée.» Un phrase qui avait d'emblée accrochée mon attention, m'avait donnée l'envie de me plonger dans ce livre séance tenante. Guermantes a très bien rendu justice dans sa critique aux multiples aspects de ce livre, polar, quête métaphysique, roman picaresque... Je garde en outre le souvenir de moments de vacuité, vide presque métaphysique, et de la sensation d'une vie rêvée plutôt que vécue. Si bien que finalement la course-poursuite d'Osman semble être un nouvel avatar de la longue attente immobile de Drogo dans "Le désert des Tartares"...

Et je me souviens aussi de la toute dernière phrase, qui arrive comme une gifle et qui surprend le lecteur - alors qu'il aurait pu la voir venir, ce ne sont pas les avertissement qui manquent. Je me souviens de son impact qui demeure vivace longtemps après la lecture. Pour tout dire, je trouve un peu dommage que Germantes l'ai dévoilée dans sa critique. Je conseillerais donc à tous ceux d'entre vous qui aiment découvrir un livre avec des yeux neufs et se laisser mener par le bout du nez à travers les méandres d'une intrigue, de lire "Une vie nouvelle" d'abord, et de revenir lire la très belle critique de Guermantes après.

Fee carabine - - 50 ans - 5 avril 2005