Les Derniers Jours de la classe ouvrière
de Aurélie Filippetti

critiqué par Kinbote, le 1 avril 2005
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
La lutte finale
L’auteure rapporte des fragments de la vie de son père (et de sa famille) qui, après avoir été mineur, deviendra délégué syndical et maire communiste. C’est aussi l’histoire d’une région depuis cent ans et de ses habitants (pour la plupart issus de l’immigration), exploitée par le capitalisme local, avec l’assentiment des pouvoirs publics, qu’ils soient de droite puis de gauche, en la personne des Wendel. Puis laissée en friche, exsangue, un terrain propice aux déchaînements racistes. Aurélie Filipetti montre par l’exemple la réalité de quelques principes de base du capitalisme, à savoir que les grandes entreprises usent de l’argent public et de la main d’oeuvre locale pour faire du profit à usage srictement personnel.

« Deux cent milliards de francs. Pourquoi un gouvernement de droite s’est-il donné la peine de nationaliser la sidérurgie lorraine juste avant les fermetures , y engloutissant deux cent milliards de francs. (...) Tout au moins cela aura-t-il permis aux descendants des Wendel, les baron du fer, et aux anciennes grandes familles, de se tirer à peu de frais d’une aventure qui avait pourtant fait la fortune de plusieurs générations de leurs rejetons. »

« Comme les dragons du roi ou les soudards de l’Empereur, ces nouveaux barbares une fois arrivés ont transformé la région, exploité les richesses, saccagé le paysage, distribué quelques sportules, et finalement pillé les dernières pépites des subventions publiques, en laissant à l’Etat la charge des plans sociaux , la reconversion et les réparations. Puis ils ont fait disparaître les entreprises comme des lapins dans un chapeau , vendu leurs parts, déménagé leurs sièges sociaux. Ils ne sont plus responsables. »

Aurélie Filipetti réhabilite ce genre de discours qui n’a plus eu cours avec la chute du communisme à l’Est car ceux qui avaient défendu un communisme à visage humain en Occident ont été accusés de servir l’intérêt des régimes soviétique et chinois. Dans les derniers jours, le père souffre de cet amalgame.
« En face, dans le miroir de l’hôpital, il voyait l’image d’un homme qui avait lutté une vie entière pour des idées qu’on lui jetait maintenant au visage comme un fagot d’orties, ça lui brûlait la peau. »

Avec ce livre résolument engagé, Aurélie Filipetti qui assume des responsabilités au sein du parti des Verts participe de ce retour du politique anesthésié aussi par la gauche modérée, en manque d’idées neuves adaptées au combat actuel, arrêté net depuis le chute du Mur de Berlin et la prolifération des idées capitalistes de l’autre côté de l’ancien Rideau de fer. Elle le fait dans un style âpre, rêche, qui ne joue pas la corde sensible et ne s’embarrasse pas non plus des nuances qui affadiraient son propos. Un livre pour la reprise de la lutte et le combat des idées.
Un roman du coeur et de la raison 8 étoiles

Voilà un titre définitif, racoleur donc, faux évidemment, du point de vue de l’Histoire (comme les thèses des idéologues de la fin de l’Histoire), du point de vue de la réalité actuelle (doivent en savoir quelque chose petites mains et gros bras d’ailleurs et d’ici), du point de vue du récit même (puisque raconter 25 ans après, la liquidation de la sidérurgie lorraine c’est montrer la vie possible après la mort par la mémoire, par l’écriture : les oubliés deviennent des acteurs de leur histoire, de l’Histoire, de leur vie).
Ce titre de dramatisation (moins fort que celui de Karl Kraus avec Les derniers jours de l’humanité, publié en 2 versions par les essentielles éditions Agone de Marseille) a rempli son effet puisque me racolant, il m’a donné envie de lire ce roman. Le plus souvent, je résiste au racolage mais là je me suis laissé attirer. Une autre raison m’a poussé : j’ai des origines lorraines et j’ai un cousin sidérurgiste qui a dû quitter la Lorraine de Longwy où il pensait mener longue vie pour Fos-sur-Mer où ça coule (voir ma pièce : La lutte des places).
Ce court roman de 180 pages tourne autour de la figure du père, Angel, Angelo, fils d’immigrés italiens, ouvrier mineur pendant 30 ans, maire communiste d’Audun-le-Tiche.
Ce roman est construit par tableaux, comme des vignettes. C’est qu’il doit être difficile pour la mémoire de reconstruire, de construire même, la linéarité, la genèse, la chronologie d’une histoire singulière étroitement liée à la grande Histoire que l’on ne vit pas comme telle sur le moment. Il s’ensuit des tableaux, des vignettes dont je n’ai pas cherché à repérer l’agencement dans l’espace et le temps. La complexité de la tâche m’a découragé et j’ai donc pris le roman comme il se présente : flashes. On s’en prend plein les yeux : on visualise très bien les situations, les événements, les gens, les rassemblements, les fêtes, les drames.
L’écriture de ces tableaux est elle-même d’aujourd’hui, à l’économie d’un nombre important de mots présumés importuns, bavards, inutiles. Ce n’est pas une écriture à la Céline de reproduction écrite de l’oralité, c’est une écriture issue de ces tentatives d’éliminer le superflu « idéologique » de la langue comme adjectifs, adverbes, mots de liaison…
Parfois, cela m’a agacé, parfois j’ai adhéré. Car cette écriture n’est pas homogène : elle peut varier de vignette en vignette.
Au milieu des vignettes, des documents officiels, du Parti communiste, le parti de la classe ouvrière comme il le prétendait et comme le croyaient trop d’ouvriers jusqu’à ce que leurs yeux s’ouvrent, trop tard. Le parti de la lutte des classes dans les mots et discours se révélant le parti de la collaboration de classes dans les mots d’ordre et les actions. Le roman montre le dur réveil, les désillusions, le désenchantement, la désespérance, le virage à l’extrême droite, le racisme quotidien…Mon choix du « trotskisme » dès 1969 m’a épargné ces compromissions même si aujourd’hui, je suis en recherche d’autres voies parce que les mentalités ont changé. Avec aussi les compromissions de la gauche, parti socialiste en tête.
Bien sûr, on a droit à des pages sur les maîtres, les de Wendel, leur paternalisme, leurs efforts pour récupérer chez leurs ouvriers, les éléments qu’ils vont mettre à leur service, leur acharnement à isoler les récalcitrants, leur imprévoyance d’entrepreneur, soucieux seulement de profit et donc ne diversifiant pas la production d’acier en produits dérivés issus de la sidérurgie, leur indifférence au sort de ceux qu’ils livrent au chômage, leur capacité à récupérer les aides publiques et à partir avec un gros magot. Ces pages révoltent, même quand on est habitué comme moi à ne pas avoir d’illusions sur le capitalisme, devenu encore plus prédateur depuis 30 ans.
Autre intérêt de ce roman : les plongées dans les pensées, les monologues intérieurs de quelques protagonistes, fidèles jusqu’au-boutistes du PCF, transfuges de classe, rêveurs de promotion par l’école, rêveuses de stabilité par mariage…Des recettes italiennes viennent agrémenter le récit : les allées et retours entre la France d’une ville lorraine et l’Italie d’un village d'Ombrie montrent bien que l’on reste, dans l’immigration et dans l'intégration, hommes et femmes de 2 cultures avec clivages, disharmonies, tensions…
Bref, un roman qui fait chaud au cœur parce qu’une jeune femme de 30 ans, études supérieures, fait retour sur « son » histoire, c’est-à-dire la crée, la construit par documentation, par assimilation amoureuse, filiale. Un roman à lire. Même si comme toujours, on ne tire jamais les leçons du passé, de nos histoires, de l’Histoire.

Grossel - - 84 ans - 9 mai 2007


Toute l’âme d’une région 8 étoiles

Que ce livre ait été déjà critiqué avec noblesse par Kinbote développant si bien son contenu “politique et social” m’arrange bien car, pour tous ceux qui comme moi ont grandi dans ce milieu, il provoque des bouffées d’émotions foudroyantes presque douloureuses. Ainsi l’affectif aurait dominé s’il avait fallu rédiger la première critique.
Je ne suis pourtant pas convaincue qu’il soit un livre profondément engagé. Je pense surtout qu’il est un puissant hommage à cette classe ouvrière issue de l’immigration, pour majorité italienne, dans cette Lorraine industrielle. Son contenu, certes décousu, est pour moi un bouleversant témoignage de toute une population emplie de bien plus de doutes que de certitudes mais dont l’unique couleur était le rouge. Des habitants vite oubliés si tant est qu’ils aient été réellement considérés un jour.
Pour eux, le progrès social reposait pour beaucoup sur la réelle intégration de leurs enfants qui ont tôt fait de quitter la région pour la plupart. La pénibilité du travail et des conditions de vie de toute cette population de “macaronis” la rendait fraternelle et solidaire…Jusqu’au jour où tout s’est effondré avec les fermetures successives des mines et des usines emportant avec elles toutes leurs illusions politiques et sociales.
Ce livre est un travail de mémoire d'une forme de patrimoine où flotte cet accent lorrain aux consonances italiennes dans un fumet de capellet’, de pastachout’ et de gnocch’.

Voni - Moselle - 64 ans - 2 novembre 2005


faux, c'est un bon livre! 8 étoiles

Même si je n'ai pas les mêmes opinions que l'auteur, même si le titre est politiquement orienté, le livre est touchant, bien écrit, décrivant une réalité lorraine; quand on connaît cette région, la sidérurgie, on se dit que l'auteur a su saisir cela.

Un livre qui a des TRIPES, rafraichissant par rapport aux livres bien torchés de nos romanciers et journalistes parisiens.

Alexm - - 64 ans - 2 avril 2005


les derniers jours de la classe ouvrière 2 étoiles

J'ai trouvé ce livre particulièrement indigeste, mal écrit, et rébarbatif. Peu importent les idées qu'il défend, il me semble que ce n'est pas la meilleure façon de les exposer à des lecteurs qui se lasseront vite de la raideur et de la dureté de l'écriture.

Mary.nana - - 75 ans - 1 avril 2005