Une femme
de Annie Ernaux

critiqué par Clarabel, le 29 mars 2005
( - 48 ans)


La note:  étoiles
Au plus juste dans son portrait
Après avoir écrit sur la mort de son père dans "La place", Annie Ernaux récidive avec la perte de sa mère - "Une femme". Parler de la femme de son imaginaire, mais aussi la femme réelle, celle qui a existé en dehors d'elle, mettre en mots le portrait d'une femme, comme pour "mettre au monde sa mère". Dessiner le parcours de celle-ci, son enfance en Normandie, son milieu modeste, ouvrier, la volonté de s'élever, d'être commerçante, indispensable pour les autres, mais être au-dessus. Pousser sa fille à faire des études, à réussir, à s'en sortir et basculer dans le monde bourgeois, d'où vicieusement la mère se sentira exclue, flouée, déçue, etc...

Le portrait qu'Annie Ernaux fait de sa mère est écrit au plus juste, sans tendance lacrymale, contrairement à "Une place" qui m'avait davantage touchée. "Une femme" est aussi tendre et attendrissant, toutefois la maladie de la mère laisse une traînée presque amère. Cette femme forte et lumineuse devenue démente... dit-elle. Dans un autre livre ("Je ne suis pas sortie de ma nuit") l'auteur s'étend plus à ce sujet. Il y a cependant de très beaux passages sur cette maman, quittée la veille devant Jacques Martin pour apprendre sa mort le lendemain à dix heures. La honte, la colère, le ras-le-bol, la culpabilité... c'est une petite fille qui parle aujourd'hui, qui se sent seule et abandonnée, orpheline. Aussi ce livre est une très belle déclaration d'amour, pleine de délicatesse et d'acuité. "Il fallait que ma mère, née dans un milieu dominé, dont elle a voulu sortir, devienne histoire pour que je me sente moins seule et factice dans le monde dominant des mots et des idées où, selon son désir, je suis passée". Juste monnaie de la pièce...
Portrait d’une femme 9 étoiles

La plume d’Annie Ernaux décrit avec justesse le portrait de cette femme, sa mère. Ce récit est poignant, émouvant, son départ après celui de son père rompt ce lien avec le monde dont elle est issue.

Ichampas - Saint-Gille - 60 ans - 4 juin 2021


Trop de parenthèses 8 étoiles

Il est difficile de séparer les deux récits complémentaires que sont UNE FEMME et LA PLACE , tant ils sont similaires par leur style, leur fonction , leur construction .

Toutefois, si UNE FEMME me touche particulièrement , je suis un peu réservée sur son écriture, régulièrement interrompue par des parenthèses qui brisent le fil de la pensée . Certes, Annie Ernaux se justifie en précisant « Mon projet est de nature littéraire, puisqu’il s’agit de chercher une vérité sur ma mère qui ne peut être atteinte que par des mots …..mais je souhaite rester , d’une certaine façon, au-dessous de la littérature » . Toutefois LA PLACE , qui procède de la même volonté : celle de situer ses parents dans leur histoire et leur contexte social « à la jointure du familial et du social », est rédigé de la même écriture plate mais d’une façon beaucoup plus souple et ne m’a pas donné, comme UNE FEMME, l’impression de me trouver souvent face à une sorte de brouillon présentant une pensée à l’état brut et en devenir .

Alma - - - ans - 12 février 2010


Un texte qui me touche profondément... 10 étoiles

« Ma mère est morte le lundi 7 avril à la maison de retraite de l’hôpital de Pontoise, où je l’avais placée il y a deux ans ».
Tous les livres commençant par l’annonce de la mort de la mère du héros, d’autant plus quand il est lui-même le narrateur seraient-ils condamnés à se transformer en monuments de la littérature française ? On pourrait rester prudent et affirmer qu’il n’y aura jamais qu’un seul « Etranger » et que tout le reste sera rejeté comme pâle copie, déposé au rebut…
Loin de moi de vouloir comparer Albert Camus et Annie Ernaux qui sont tous les deux des auteurs que j’aime et qui m’accompagnent dans ma vie de lecteur, d’homme… et dont je lis et relis les ouvrages très régulièrement.
Le texte d’Annie Ernaux n’a rien à voir avec le « cultissime » roman de Camus et, pourtant, je ne peux pas laisser ces deux textes séparés puisqu’en les lisant j’ai eu l’impression que l’un renvoyait à l’autre…
Annie Ernaux, pour ceux qui ne la connaissent pas encore, est une romancière contemporaine qui assoit sa littérature sur la vie quotidienne, qui couche ses mots dans le lit de sa vie. C’est la simplicité, la banalité, la répétitivité de nos vies qui en font leur charme, qui les font sombrer dans le drame… Certains adoreront comme moi, d’autres seront révoltés, fatigués, saoulés, blasés et rejetteront livres et auteur à la poubelle… Mais, moi j’aime et je voulais vous le dire, vous l’affirmer, vous le crier…
« L’inhumation a eu lieu le mercredi. Je suis arrivée à l’hôpital avec mes fils et mon ex-mari. La morgue n’est pas fléchée, nous nous sommes perdus avant de la découvrir, un bâtiment en béton sans étage, à la lisière des champs ».
Cette vie conforme à la nôtre, car il n’y a rien de bien étonnant dans ce qu’elle vit, est embellie par une phrase efficace que j’adore. La littérature d’Annie Ernaux est pour moi une des meilleures du vingtième siècle et du début du vingt-et-unième.
D’ailleurs, quand elle parle de son père, de sa mère, de sa sœur qu’elle n’a pas connue, du couple, des voisins, des enseignants, de la séparation, de la passion… sûr ! Elle parle de nous !!!
Le seul problème majeur de cette mère c’est qu’elle est atteinte d’une maladie d’Alzheimer. Elle oublie tout, elle perd contact avec la réalité des choses, avec ceux qu’elle aimait. « Puisqu’elle a oublié l’ordre et le fonctionnement des choses. Ne plus savoir comment disposer les verres et les assiettes sur une table, éteindre la lumière d’une chambre… »
Cette déchéance entraîne une véritable souffrance et la mort vient compléter le tableau avec son absurdité :
« Je n’entendrai plus sa voix. C’est elle, et ses paroles, ses mains, ses gestes, sa manière de rire et de marcher qui unissaient la femme que je suis à l’enfant que j’ai été. J’ai perdu le dernier lien avec le monde dont je suis issue ».
Annie Ernaux livre là un de ses plus beaux textes, de ses livres les plus forts, bref, elle donne la confirmation de son talent. Nous étions, alors, en 1987, et ses écrits suivants furent tout à fait à la hauteur (humble avis, bien sûr).
Je ne l’ai rencontrée qu’une seule fois, au salon du livre de Paris, et je ne l’ai jamais interviewée. Pourquoi ? Par circonstance, tout d’abord, mais surtout parce que je n’aurais pu que rester silencieux. J’ai lu et relu ses textes… à tel point que j’ai l’impression de la connaître. Quand je me pose une question… je vais chercher dans un de ses romans ce que je crois être la réponse… Ses livres m’ont tellement aidé – en particulier quand ma mère est morte en 1995 – que c’est comme si Annie Ernaux était une amie. Elle doit l’être, d’ailleurs…
Pour ceux qui n’auraient jamais eu l’occasion de la lire, il est grand temps, ne serait-ce que pour vous faire une idée, et vous pourriez commencer par ce petit texte par la taille, grand par le thème abordé, « Une femme ».
L’avantage des amitiés littéraires, c’est qu'elles ne sont pas exclusives et donc vous pouvez, vous aussi, devenir des amis d’Annie Ernaux sans que cela ne me pose le moindre problème…

Shelton - Chalon-sur-Saône - 67 ans - 24 mars 2008