L'euphorie perpétuelle
de Pascal Bruckner

critiqué par Macréon, le 8 avril 2001
(la hulpe - 90 ans)


La note:  étoiles
Le bonheur obligatoire
Explosion de mai 68 : libération de tous les désirs.
Un an avant, le situationniste Vaneigem prônait “ la libre fédération des subjectivités qui, seule, permettra l'ivresse des possibles, le vertige de toutes les jouissances mises à la portée de tous.
À la pression de la famille et de la tradition succède celle de l'Etat et des experts. La postérité laïque de la douleur sera nietzschéenne. Autant de doctrines qui pour le mal est un moment de bien et qui discernent dans les tourments d’autres sujets que l’auteur approfondit brillamment au fil des pages.
Le fil conducteur du livre de Pascal Bruckner, philosophe, romancier, essayiste et même sociologue sera donc le devoir, l'obligation, le culte du bonheur dans notre société, le souci obsessionnel de l'argent, le poison de l’envie sociale, etc.
“ Le bonheur répond à une économie, à des calculs, à des pesées, il a besoin de variétés autant que de contrastes. " La satisfaction lui est aussi fatale que l'empêchement. Tout ce qui résiste à la satisfaction des sens, à la propagation du progrès, prend alors le nom de souffrance. L'argent suscite l’envie: “ j'apprends qu'un ami passe des vacances plus excitantes que les miennes, connaît une vie amoureuse plus variée, des perspectives professionnelles plus riches. Conclusion : je ne suis qu'un pauvre type attelé à un destin médiocre. "
être né, poursuit Bruckner, c’est être transformable pour le meilleur et pour le pire en attendant le pire. Page 122, on y lit une description imagée de la vieillesse et de la décrépitude : les vieillards à l'hospice qui échangent d'interminables confidences sur l'état de leur prostate, de leurs poumons, etc. Mais l’état de malade peut procurer aussi une personnalité à un patient qui connaît, grâce à son mal, une intensification paradoxale de l'existence.
Le livre fourmille d'analyses et d'observations de ce type, traitées au scalpel et sous le signe d’un grand talent.
Pascal Bruckner se moque aussi du culte qui frise l’idolâtrie dont le Dalaï Lama, haute figure de l’idéal monastique, serait l'objet chez ses disciples occidentaux, “ ardents pourfendeurs de l'obscurantisme judéo-chrétien, et qui se prosternent, s’extasient sans retenue. "
Autres péchés mignons de nos contemporains : un mimétisme omniprésent et bêtifiant, la peur tragique de l'échec, d’avoir raté sa vie.
Mais que propose notre moraliste sardonique comme comportement de rechange ? Une nouvelle morale de la frugalité ? Pourquoi ne pas tendre vers une existence moins asservie à la logique des objets, à la convoitise artificielle ? " Limiter ses dépenses si cela permet de satisfaire ses passions, augmenter la part de vraie vie amoureuse et spirituelle plutôt que de s’endetter sans fin? î Retrouver tout ce qui se fait rare: la communion avec la nature, le silence, la méditation, la lenteur retrouvée, le plaisir de vivre à contretemps, l’oisiveté studieuse.
Autrement dit, préférer sa liberté au confort. Est-ce réellement à la portée de tout un chacun ?
Du chemin de croix au paradis 7 étoiles

Premier livre que je lis de Pascal Bruckner et j’ai quelques réserves. Nul doute que monsieur Bruckner est quelqu’un de très instruit, qui a beaucoup lu et dont l’érudition est incontestable mais il me semble que dans cet essai, il se contente d’énoncer des vérités et des évidences connues de tous. Il débute son livre en retraçant les idées religieuses au moyen-âge à savoir que la vie n’était pas un paradis mais un long chemin de croix avec au bout la délivrance par la mort. Donc, il était inutile d’espérer le moindre bonheur sur terre mais uniquement au ciel. Ensuite, avec l’avènement du siècle des Lumières et du triomphe de la science, les choses ont commencé à évoluer et l’homme aspire à jouir d’une vie plus gaie et plus heureuse. Mais le malheur est toujours présent et jette un voile d’ombre sur cette vie supposément idyllique tant recherchée. Avec les temps modernes, l’homme rejette de plus en plus l’idée d’une vie de malheur. Tout ce qui n’est pas joie et bonheur est ignoré, caché, occulté. La science et les moyens techniques contribuent de plus en plus à créer sur terre une sorte de paradis et le malheur est repoussé encore plus dans ses derniers retranchements. Mais, il est toujours là le malheur et il ne sera jamais totalement vaincu. La mort, la souffrance, les peines et les déceptions font et feront toujours partie de la vie qu’on le veuille ou non.

Voilà en gros le propos de ce livre. Pascal Bruckner ne m’a rien appris ou si peu. Il m’a raconté des choses que je savais déjà depuis belle lurette. Il est agréable à lire, c’est un fin observateur et son livre est une remarquable analyse sociale mais le tout m’a semblé terne, presque ennuyeux parfois. Presque rien ne m’a étonnée, rien ne m’a fait bondir sauf peut-être lorsque monsieur Bruckner qualifie les États-Unis de pays d’une immense vulgarité. Alors là, je l’ai trouvé condescendant et bien français… Non monsieur Bruckner, les États-Unis ne sont pas un pays vulgaire. C’est plutôt l’Europe, et en particulier la France, qui souffre d’un maniérisme ridicule et complètement désuet, engoncée dans son passé de vielles dentelles jaunies et de perruques poudrées d’une laideur sans bornes. Voilà, vous l'avez bien mérité !

Quelques phrases sont belles, certaines affirmations ont retenu mon attention et m’ont fait sourire par leur justesse. J’ai noté tous les livres cités en référence et il y en a beaucoup. J’en lirai quelques-uns qui me semblent intéressants. Trop doux monsieur Bruckner, pas assez radical à mon goût…mais je continue à le lire.

« Dès lors que le but de la vie n’est plus le devoir mais le bien-être, le moindre désagrément nous heurte comme un affront. »

« Désormais privée de ses alibis religieux, la souffrance ne signifie plus rien, elle nous encombre comme un affreux paquet de laideurs dont on ne sait que faire. »

« Or ce n’est pas la souffrance qui s’est évanouie mais son expression publique qui est interdite (hormis, répétons-le, dans la littérature). »

Dirlandaise - Québec - 68 ans - 8 mai 2009


Ne pas être heureux est immoral aujourd'hui 8 étoiles

Le monde moderne n'a de cesse de nous intimer d'être heureux , de chercher partout et toujours le bonheur , la félicité , la jouissance . Jusqu'aux animateurs des plus imbéciles clowneries télévisuelles qui nous lancent toutes les 10 minutes : " C'est rien que du bonheur !"
Bruckner s'est donc lancé dans cet essai philosophique qui s'étend sur les domaines les plus variés ce qui rend le livre plutôt intéressant . Le style , comme souvent dans ce genre d'ouvrage , n'est pas particulièrement léger . Heureusement l'auteur a ajouté un certain nombre d'encadrés qui illustrent le propos ( par exemple sur le "fun" ou la raison du succès du bouddhisme en Occident ) . En fait depuis Voltaire et Mirabeau , l'homme moderne est lancé dans une perpétuelle quête d'une chimère impossible à atteindre car le bonheur total et perpétuel n'existe pas ici bas . C'est bien pour cela que les religions dans leur grande sagesse , l'avaient placé dans l'au-delà ! Et quand bien même on l'atteindrait qu'on se retrouverait immédiatement dans un désert d'ennui ou de vulgarité , chose fort partagée de nos jours . ( Un très bon chapitre à ce sujet ) . Finalement l'auteur nous livre le " secret " de la bonne vie : se moquer du bonheur , ne jamais le chercher en tant que tel , l'accueillir sans se demander s'il est mérité . Il n'est finalement pas si loin des anciens traités sur le bonheur qui disaient : "Contentez-vous de votre sort , modérez vos envies , désirez ce que vous avez et vous aurez ce que vous désirez ." Un bon livre , mais qui manque un peu de punch dans la critique du monde actuel qui est bien loin d'être plus sage que l'ancien !

CCRIDER - OTHIS - 75 ans - 1 juin 2004


La tyrannie du bonheur 8 étoiles

Est-on obligé d'être heureux 24 heures sur 24 ? Est-ce que la société actuelle, avec son consumérisme forcené, nous apporte le bonheur garanti, celui que les générations précédentes croyaient réservé au paradis et n'espéraient pas connaître sur terre ?
C'est un mérite de ce livre de nous déculpabiliser, nous empêcher de succomber à la tyrannie du bonheur.
Chacun a le droit de revendiquer le fait qu'il peut être malheureux de temps à autre. L'auteur règle aussi son compte à quelques idées à la mode; le culte du dalai lama, la pensée positive, ..
C'est en gros ce que j'ai retenu du livre, très intéressant dans sa première partie, où la plupart des idées intéressantes sont développées, mais qui devient un peu trop dense et ardu par la suite. C'est dommage car l'auteur y développe des sujets importants tel que la souffrance, les soins palliatifs,.. mais il manque l'aspect pédagogique du début.

Saule - Bruxelles - 58 ans - 15 octobre 2001


Une analyse qui paraît pour le moins intéressante 8 étoiles

J'ai vécu mai 68, j'étais à l'ULB à l'époque et tout était bien calme ! Il n'empêche que ce mouvement a bouleversé notre société. Elle était encore assez étriquée, conventionnelle, alors qu'en Angleterre les choses avaient déjà évolué. Beaucoup d'autorités ont volé en éclats: tout devenait contestable et donc contesté. Un bien pour un mal ? Privé de repères, n'ayant plus que soi-même et la consommation pour satisfaction et finalité, l'homme se retrouve, quelques années plus tard, assez paumé et nombreux sont ceux qui retournent vers les vieux démons. On dirait que les bonnes valeurs (démocratie, liberté, tolérance) sont mortes mais que les mauvaises jouent à nouveau le rôle de rassembleur pour tous ces gens perdus et isolés face à eux-mêmes (racisme, fermeture à l'autre, égoïsme, admiration de faux prophètes etc...) Il n'en reste pas moins que, pour ceux qui le désirent, beaucoup de barrières dans le dialogue ont disparu et que beaucoup plus de gens qu'avant sont ouverts au dialogue. C'est déjà un grand progrès. Il ne me semble pas pourtant que l'homme soit réellement plus libre qu'avant: il a seulement changé de chaînes...
Ce livre me semble vraiment à lire.

Jules - Bruxelles - 79 ans - 14 juillet 2001