Le courtier en tabac
de John Barth

critiqué par Benoit, le 23 mars 2005
(Rouen - 43 ans)


La note:  étoiles
Les Mousquetaires revisités!
La première impression que j’eus en débutant ce roman fut que je lisais quelque chose qui ressemblait aux “Trois Mousquetaires” de Dumas. En effet, à première vue, il s’agit d’un roman historique mettant en scène aussi bien des personnages historiques (John Smith, le héros de l’histoire, Ebenezer Cooke a vraiment existé,...) que des personnages de fiction. De plus, l’action se passe dans l’Angleterre et les colonies américaines à la fin du XVIIème siècle et le roman nous conte les péripéties d’un jeune héros de 20 ans qui doit lutter contre un ennemi tout-puissant et est entouré de quelques fidèles. Bref, cela fleure bon les “Trois Mousquetaires” avec D’Artagnan.
Seulement, John Barth a une vision décalée et autant le roman de Dumas est plus ou moins manichéen (les méchants et les gentils sont bien définis) et la cause des héros est noble (sauver l’honneur de la Reine de France) autant là, l’auteur aime brouiller les pistes et nous prendre à contre-pied.
Tout d’abord, l’auteur a voulu écrire ce roman à la manière du XVIIIème siècle (il a en fait été écrit en 1960). Les personnages s’expriment donc dans l’anglais du XVIIIème siècle (ce qui a dû – j’ai lu la version originale – représenter un tour de force de la part du traducteur Claro qui décidément, aime bien les défis – il avait traduit dans le même temps “La Maison des Feuilles” de Danielewski) et chaque chapitre a un titre dans la veine de ces années-là (par exemple : “Le Lauréat est Confronté à Deux Assassinats de Personnages, un Acte de Piratage, une Quasi-Défloration, une Quasi-Mutinerie, un Meurtre et une Effrayante Conversation entre des Capitaines de Navire, Tout Ceci en l’Espace de Quelques Pages”). Déjà, l’originalité de l’auteur transparaît dans ces choix de narration.
Dans les “Trois Mousquetaires”, le héros est un jeune gascon venu à Paris pour s’engager chez les mousquetaires du Roi et qui affrontera des ennemis à la pointe de l’épée. Ici, il s’agit d’Ebenezer Cooke, jeune poète et puceau (il le revendique haut et fort), parti dans le Maryland pour diriger la plantation de tabac familiale. En chemin, bien malgré lui, il tombera sur un commerce illégal d’opium et de traite de blanches, devra résister aux désirs de la chair, affrontera une bande de marins sodomites, fuira devant un troupeau de cochons...
A Paris, D’Artagnan fera la conquête de la très correcte Constance. Ici, les dulcinées sont une putain et une servante au visage ravagé par la vérole !
Là, l’ennemi a la figure du Cardinal de Richelieu. Ici, l’ennemi a un visage inconnu et finalement, l’ennemi ne serait-il pas le gentil et le gentil, l’ennemi ?
Cependant, comme Dumas, l’auteur sait nous tenir en haleine et les rebondissements sont nombreux et surprennent le lecteur. De plus, le roman est émaillé de nombreux récits vraiment intéressants sur la vie en ce temps-là dans la colonie du Maryland et qui alimentent le côté subversif de l’oeuvre (en particulier, nous avons droit à une nouvelle version de l’histoire entre John Smith et l’Indienne Pocahontas, bien loin de celle de Walt Disney, où il est question d’aubergine et de dépucelage... Et le grand Newton s’y révèle pédophile...).
Et le côté action du récit est renforcé par un côté plutôt sérieux tel que quelques parties philosophiques ou un autre point de vue de l’histoire des jeunes colonies (peuplées d’un ramassis de brigands et de profiteurs et où la plus grande peur des autorités se révèle être une union des Indiens avec les esclaves en fuite).
Bref, il s’agit des “Trois Mousquetaires” sans sa miévrerie et son côté bien-pensant, plus une bonne louche de dérision ! Intense plaisir de lecture et bonnes poilades en perspective !