Le voyage d'Eladio
de Hubert Mingarelli

critiqué par Tistou, le 21 mars 2005
( - 68 ans)


La note:  étoiles
A pied le voyage.
Pour une fois qu'on peut laisser un auteur présenter son oeuvre ! En octobre 2004, H. MINGARELLI déclarait ceci à C.L. :
"-Et ce livre, qui est fini, qui va sortir, vous l’avez fini depuis combien de temps ?
-(HM) Il y a un an à peu près.
-Vous pouvez en parlez un petit peu ou … ?
-(HM) Ca s’appelle « le voyage d’Eladio ». C’est l’histoire d’Eladio, Eladio c’est un prénom. Ca se passe dans un pays imaginaire, plutôt en Amérique du Sud, un pays en rébellion. C’est un groupe d’hommes en rébellion contre le gouvernement. Ils sont une dizaine, ils rentrent dans une grande maison de maître, non pas pour tout voler, mais pour voler une paire de bottes parce que le chef des rebelles a des chaussures pourries. C’est tout ce qu’ils volent. Ce sont des bons gars au fond, sauf que le vieux monsieur qui s’occupe de cette maison, qui habite derrière, s’aperçoit qu’ils ont volé les bottes de son patron, pour lequel il a beaucoup d’affection …
Ca se passe en quatre pages tout ce que je vous ai dit là, et tout le livre, c’est le vieux qui décide de partir à leur recherche, de marcher derrière eux, pour ramener les bottes.
-C’est à dire que le livre ne se déroule pas sur un laps de temps très court, comme les dernières choses qu’on connait de vous ?
-(HM)Non, celui-ci se déroule sur trois jours et trois nuits. Ce qui est beaucoup pour moi."
Trois jours et trois nuits, ce qui est beaucoup pour moi, dit H. MINGARELLI. Autant dire qu'on n'est pas dépaysé dans ce nouveau MINGARELLI. L'action, ou le pourquoi de l'action, une fois posée dans les premières pages, on ne s'intéressera plus qu'à Eladio. Les autres n'apparaîtront que via le filtre des pensées, doutes, interrogations d'Eladio.
Ce qui est bien avec H. MINGARELLI, c'est qu'un procédé qui pourrait s'avérer ch... marche en fait comme un polar dans la mesure où cette introspection en continue est faite à hauteur d'Eladio, homme simple, aux pensées simples. Et H. MINGARELLI nous fait resurgir des sentiments/situations enfouis en nous par la seule évocation de mots et de pensées simples. Comme une lente régurgitation de mots ingérés dans la vie d'avant. La vie d'avant écrire.
Loin de l’esbroufe, du carnaval médiatique ou des thèmes obligés pour apparaître dans le Top ten des meilleures ventes, il y a ce "Voyage d'Eladio". Un petit bonheur à se mettre dans la tête.
Bouleversé... et toujours humain 10 étoiles

Juste en effleurant une situation politique de rébellion, Mingarelli va ciseler, tel un orfèvre, un plaidoyer de fraternité.
Fraternité ? Pourtant il n'y a qu'un seul personnage dans le roman, le vieil Eladio, qui se parle sans cesse à lui-même comme à une autre personne. Pour la première fois de sa vie Eladio s'aventure dans la montagne, élargit son univers extérieur ; il part à la recherche du jeunot, le rebelle qui a volé les bottes de son maitre et qui a laissé Eladio assommé, sur le carreau. Les bottes du rebelle étaient complètement fichues... Misère et rébellion.
Dans son dialogue intérieur, Eladio se montre tour à tour courageux, généreux, complètement perdu, orgueilleux, hors de la réalité, loyal, fatigué, ou plein d'ardeur. A l'intérieur de lui, ça parle ; il parle à son maitre et au voleur de bottes. Avec ses doutes il élargit son univers intérieur, il négocie, veut rétablir la justice, et en oublie les contraintes du réel : avoir un récipient pour boire, quelque chose à manger, un buisson pour dormir.
Complètement pris dans son devoir, son imprévoyance, et sa loyauté envers son maitre (qui l'a installé dans un logement, lui, ce pauvre hère), Eladio perd en route ce à quoi il tient le plus ; il s'épuise, et continue.
Mais même épuisé, ses qualités de coeur fleurissent : il s'émerveille d'une silhouette au loin, puis il mettra ses dernières forces dans un acte qui peut sembler inutile, mais porteur d'une profonde humanité.
Mine de rien, par petites touches, Mingarelli a l'art de broder un ouvrage, en peu de pages, dans un style toujours dépouillé, un ouvrage qui touche profondément, car cet état intérieur hésitant et tourmenté, bouleversé et déterminé, a quelque chose d'universel.

Sylviastorm - - 66 ans - 5 mars 2023


Un peu déçue par ce dernier Mingarelli 5 étoiles

Quelque part dans un village d'Amérique Centrale, un groupe de guérilleros pénètre dans une maison et vole une paire de bottes, lesquelles appartiennent au propriétaire José Alvaro Cruz, fonctionnaire au cadastre. C'en est trop pour Eladio, le vieux domestique qui les surprend. Lorsqu'il se remet du vilain coup qu'ils lui ont donné sur la tête, il décide de partir sur leurs traces et de récupérer coûte que coûte ces bottes. Il y a quelque chose d'absurde dans cette histoire, cette abnégation du vieux serviteur à rejoindre les montagnes. Plus que les bottes à récupérer, c'est d'abord une question d'honneur et d'orgueil : se prouver qu'il est encore capable de quelque chose. Mais la route est longue et les montagnes bien loin, Eladio n'a rien à boire ni à manger, il est fatigué.
Habituellement assez admirative de l'écriture poétique et des histoires hors du temps de Mingarelli, je suis cette fois un peu plus réservée. Ce livre m'a rappelé par bien des aspects un de ses précédents : la beauté des loutres, pour ce voyage quasi inutile mais l'acharnement des voyageurs, par la volonté d'aller au bout d'eux-mêmes et de surmonter les éléments naturels.
Dans ce voyage d'Eladio, j'ai la fâcheuse impression de tourner en rond : Eladio a faim, Eladio a soif, Eladio est fatigué, et ainsi de suite en boucle. Et l'objectif est vain. Un peu d'ennui dans cette lecture. Je déconseillerais de commencer par celui-ci à qui voudrait découvrir Hubert Mingarelli.

Laure256 - - 52 ans - 22 février 2006