Le démon des glaces
de Jacques Tardi

critiqué par Sibylline, le 10 mars 2005
(Normandie - 74 ans)


La note:  étoiles
Il vous fera fondre
A nouveau un Librio pour cette excellente bande dessinée, œuvre de jeunesse de Tardi.
Jules Verne et Gustave Doré étant chers au cœur de l’auteur, on retrouve ici un véritable clin d’œil à ces maîtres. Ce clin d’œil tourne même au pastiche. Ce qui donne un spectacle hyper rétro. Nous nous trouvons là, en pleine banquise, auprès de personnages qui ne peuvent pas ne pas faire penser au Capitaine Némo. Le sous-marin est remplacé par autre chose (je ne vous dirai pas quoi), mais le souvenir est là. Le scénario est simple, limite simpliste (et pourtant surprenant), hautement invraisemblable et par là même poétique. De morale, il n’y en a pas. L’on garde cette impression de pastiche. Comme si Tardi avait voulu nous raconter une histoire digne des feuilletons 1900 et nous la raconter à la façon à la fois grandiloquente et naïve dont on le faisait à cette époque. L’abus du passé simple dans les dialogues produit un effet étrange. On dirait ce que l’on retrouve quand des enfants essaient de rédiger un récit, en pire puisque là, ce passé simple abusif est dans le langage des personnages. Encore une forme de clin d’œil. L’humour est partout. Un humour à froid, pince sans rire et acéré. Cette fois, le clin d’œil est vers nous.
Un petit reproche, le découpage à la hache du scénario. Les chapitres coupés net se suivent sans fluidité. Si cela ne gêne pas la compréhension du récit linéaire, cela casse un peu le rythme de lecture.
Le graphisme (clin d’œil à Doré) est celui des débuts de Tardi et j’ai énormément apprécié les énormes décors fouillés, les ambiances Modern-style et le dessin rétro. J’aime ici le noir et blanc.
Par contre, le problème, c’est la taille de ce Librio qui, par définition même ne mesure que 20 cm et franchement, la taille + le dessin noir et blanc foisonnant + texte copieux = on n’y voit rien. Je n’ai plus qu’à racheter le grand format. Il y a des exemples où la formule Librio ne pose pas problème, mais là, je la déconseille. Si bien que si je mets 4 étoiles, c’est à l’œuvre elle-même, pas à cette édition de l’œuvre.
Un excellent Tardi 9 étoiles

Dans ce « one shot », on sent que Tardi se fait plaisir. Il allie d'une part, le kitsch des romans-feuilleton d’avant la « der des ders » — et qui à certains égards avait déjà nourri les aventures d’Adèle Blanc-Sec ; d'autre part, les romans infiniment mieux construits de Jules Verne ; et enfin, les illustrations de Gustave Doré dont de nombreuses planches s’inspirent. C'est un peu un hommage de Tardi envers ceux qui ont inspiré une partie de son univers graphique et narratif.

L’influence de Jules Verne se fait sentir dans le scientisme en vogue à son époque et dont Tardi, pas dupe, fait un usage immodéré. Pas dupe, car si Verne envisageait le progrès technologique comme un vecteur de progrès social, Tardi en voit essentiellement les aspects néfastes, soumis au goût des hommes pour le pouvoir et les richesses. Ajoutons le clin d’œil au romancier de Tardi, qui baptise un navire le « Jules Vernez ».
Le côté kitsch provient du découpage en feuilletons, ou lorsque le narrateur ponctue l’image d’un discours redondant et grotesque, de même que par le ton de ses interventions, volontiers moralisateur, comme celles-ci :

« Ah ! Pourquoi le mal doit-il toujours tenter les hommes ? (…) Pourquoi sommes-nous toujours déçus par ceux que nous aimons ? »
« Ah oui, elle est bien à l'échelle de leur démence, cette réalisation pourtant admirable. Comme il eût mieux valu qu'ils consacrassent leur énergie à d'autres desseins ! N'y aura-t-il donc personne pour les empêcher de nuire ? »


Le kitsch intervient également dans le graphisme dont j’ai déjà dit ce qu’il devait à Gustave Doré. Mais ici, nulle volonté de pastiche ou d’ironie, c’est clairement d’admiration dont fait preuve Tardi en s’inspirant avec maestria des travaux du Maitre.
Pour en finir avec le côté graphique, soulignons la qualité et la richesse de la mise en page. Tardi sort régulièrement du cadre étroit des séquences de vignettes rectangulaires pour composer des planches qui sont autant de modèles d'équilibre visuel et narratif. De vrais bijoux qui mériteraient un encadrement !

Je lis par ailleurs (critique de Sibylline) qu’une édition en petit format est parue de cette histoire. J’imagine sans peine les dégâts qu’un tel format peuvent occasionner à la minutie des planches de Tardi. Préférez donc l’édition originale en 24 x 32.

Minoritaire - Schaerbeek - 64 ans - 1 novembre 2021


BienMal 9 étoiles

Cette BD de Tardi traite sur le mode noir (tout comme les illustrations, splendides au demeurant) du Bien et du Mal, de la destruction possible de l'humanité par des savants fous. J'y ai apprécié un rappel à Jules Verne du Vingt Mille Lieues Sous les Mers ainsi que les images de la froideur de la vengeance (l'iceberg englobant le démon des glaces). Bien que cette BD ne soit plus toute jeune, je ne peux que vous inviter à la lire et à savourer ses dessins, pour le plaisir esthétique et la réflexion qu'elle inspire sur le bien, le mal, la science et son éthique.

Printemps - - 66 ans - 7 mai 2006