Adiós, Tierra del Fuego
de Jean Raspail

critiqué par Anonyme, le 6 avril 2001
( - - ans)


La note:  étoiles
Le mythe patagon
La Patagonie est au bout du monde, c’est une vaste étendue de plaines, de montagnes, de pierre et de glace perdue entre le Chili et l'Argentine.
C'est une destination touristique de plus en plus courue. Des hordes de ‘gringos’ débarquent désormais à Punta Arenas et se dirigent directement vers le parc national ÔTorres del Paine’ pour voir ses fameuses tours de granit et le glacier Gray ou vers Calafate pour voir le glacier se jeter dans le Pacifique. C'est somptueux et on en ramène des photos magnifiques.
Mais ce n’est que le bout de la lorgnette de la Patagonie. Les touristes y vont durant les mois de décembre et janvier lorsque les conditions climatiques y sont favorables. Durant les dix autres mois de l'année, les éléments se déchaînent sans aucune compassion pour les rares personnes qui y vivent. Le froid, l'humidité, la pluie, la grêle et la neige y font le quotidien. Et puis, règnant en maître, il y a le vent austral qui modèle les arbres et dont on dit qu’il fait voler les pierres.
Ces immenses étendues hostiles ont de tout temps fasciné les hommes. Jean Raspail, qui est très attaché à cette terre, mais aussi et surtout au mystère qui l’accompagne, raconte dans la première partie du livre des morceaux choisis de l'histoire de la Patagonie. Et cette histoire n'est pas glorieuse pour l’homme occidental. En effet, voilà cinq siècles, Magellan contourna l'extrême sud du continent américain et ouvrit la route à tous les colonisateurs qui voyaient là un moyen d'étendre leur pouvoir et leurs richesses. Maleureusement, cette terre était habitée par des indiens qui vivaient là depuis toujours, isolés de tout. Et l’homme blanc a eu raison d’eux. Les indiens Alakalufs ont tout à fait disparu depuis une quarantaine d’années et les Yaghans ne sont plus qu’une poignée. C'est une tragédie d’autant plus grande que les Alakalufs étaient les derniers êtres humains issus du néolithique. Leur facon de vivre n’avait pas changé en 10.000 ans ! Ils étaient nomades et se déplacaient dans leurs canots avec le feu qu’ils gardaient toujours précieusement sur de l’argile au centre de l’embarcation. Ils vivaient entièrement nus, été comme hiver, et se nourissaient exclusivement de moules. Finalement, les maladies de l’homme moderne, l'exploitation par des colons verreux et l’obstination de l'Eglise à les évangéliser furent les motifs de leur disparition. Les Alakalufs, les Yaghans, les Onas et les autres, ont tous subi l'arrivée de l’homme blanc, ses excès et son manque de respect.
Dans la deuxième partie du livre, Jean Raspail présente un personnage invraissemblable et pourtant véridique, Orélie-Antoine de Tounens. Rien ne prédestinait ce Francais de province à devenir roi à la fin du siècle passé. Et pourtant, il le désirait tellement qu'il s’en donna les moyens. Convaincu que la Patagonie et l'Araucanie l'accueilleraient à bras ouverts, il s’embarqua pour le Chili avec son costume d’apparat et quelques pièces de monnaies à son effigie frappées pour l'occasion. Il s’en allait fédérer les indiens qui luttaient contre le gouvernement chilien et créerait un royaume. Sans parler espagnol, sans aide car les gens le prennaient pour un fou, sans armée, sans argent, mais avec cette conviction inébranlable qui fait les légendes. Après de nombreuses péripéties, plusieurs essais et d'incroyables revers, il finit par devenir roi l’espace de quelques jours.
Jean Raspail parle avec son coeur, et ses émotions dépassent parfois un peu la réalité. On est perdu par moment, en ne sachant pas trop si ses affirmations historiques sont des souhaits ou des faits. Mais même si cela peut déranger dans la première partie du livre, c'est bienvenu dans la seconde partie, c’est l’essence même du Royaume d’Araucanie et de Patagonie qu'avait voulu Orélie-Antoine de Tounens, et dont il se déclare Consul. Il nous fait voyager dans un monde de songe, de brouillard, d’inconnu et de formes peu définies. Le royaume de Patagonie est devenu un concept plutôt qu'une terre. C’est un refuge pour les esprits libres, pour les aventuriers qui restent chez eux, pour ceux qui pensent que le mystère existe encore et que la poésie lui donne sa substance.
Un très bon livre que je vous recommande chaudement.
Mythique territoire 10 étoiles

Jean Raspail fait ici œuvre d’historien de ce très lointain territoire appelé la Terre de Feu. D’une plume alerte, il nous raconte la colonisation de ce bout du monde si inhospitalier qu’on n’y bénéficie pas de plus de trois jours de soleil par an ! Les tempêtes succèdent aux tempêtes, le froid, la neige, la glace sont les perpétuels compagnons des malheureux qui s’y hasardent. Combien de drames, combien de naufrages se produisirent dans ces lieux sauvages ? Autant sinon plus qu’ailleurs. On est particulièrement ému par la fin des peuplades primitives qui avaient réussi à y survivre : les indiens des canaux comme les Alakalufs ou ceux des terres comme les Onas. En tout moins de 20 000 hommes, femmes et enfants qui disparurent très vite après l’arrivée des premiers colons. L’alcool, les maladies et le mode de vie moderne suffirent à les faire disparaître à tout jamais de la surface de la terre.
Raspail s’attache également à la figure d’Antoine Tounens auquel il a déjà consacré deux romans. Cette fois, il laisse un peu le romantisme, le rêve pour en venir à l’Histoire, à la réalité plus prosaïque. Tounens, simple fils de paysan périgourdin mais véritable mythomane s’était proclamé vers 1868 roi de Patagonie et d’Auracanie. Il rêvait de fédérer les Indiens en révolte et la vie lui fut cruelle. Personne ne s’intéressa vraiment à son projet si ce n’est pour se moquer de lui. Les Chiliens le mirent en prison et le renvoyèrent en France. La bande de Charles Cros, Verlaine et autres, les Parnassiens, se gaussèrent de lui et en firent un roi d’opérette que l’on montrait dans tout Paris comme un personnage de cirque ou de fête foraine. Tounens ruina sa famille et sa santé pour une cause perdue et termina sa vie comme fada dans son propre village. Raspail lui, en grand poète qu’il est, s’est proclamé « Consul général de Patagonie ». Il a donc repris le flambeau. On a les royaumes qu’on peut…

CC.RIDER - - 66 ans - 4 janvier 2008